Autour de La salle de jeux (1998), pièce historique et participative de Rirkrit Tiravanija, la galerie présente une sélection d’œuvres de Abraham Cruzvillegas et Danh Vo.
Abraham Cruzvillegas. Depuis 1985, ses dessins, peintures et sérigraphies de primates — inspirés par sa fascination pour les gorilles — deviennent autant de métaphores de la condition humaine. Dans l’œuvre Autorretrato oponible actual, 31 (2023), l’artiste observe les similitudes entre ces animaux et ses proches, tissant un lien entre animalité et humanité. À travers ces figures simiesques, il interroge son propre reflet, brouillant les frontières entre l’humain et l’animal.
Dans la série Blind self portrait, il poursuit cette exploration introspective en recouvrant de peinture des éléments du quotidien : documents personnels, coupures de presse, prospectus ou objets trouvés. Ces supports sont masqués sous une couche d’acrylique qui en efface le contenu visible. Organisés dans une composition à la fois chaotique et rigoureusement structurée, ces fragments donnent naissance à un « autoportrait aveugle » où la signification se brouille volontairement, laissant place à une forme d’introspection abstraite.
Avec l'installation Empty lot, présentée en 2015 à la Tate Modern, Abraham Cruzvillegas aborde de manière plus directe la tension entre nature et urbanisation. À travers un agencement géométrique de jardinières remplies de terre mais initialement vides, il invite la nature à s’inscrire dans le cœur de la ville. La croissance spontanée des plantes, rendue possible par un système d’éclairage et d’irrigation, devient une métaphore de la transformation constante, du potentiel latent et de l’imprévisibilité du vivant.
Abraham Cruzvillegas explore les relations complexes entre l’être humain, l'identité et la nature. En articulant représentations de primates, autoportraits abstraits et installations sculpturales, il construit une œuvre centrée sur l'identité en constante évolution. L’artiste explore les liens mouvants entre l’individu et son environnement — qu’il soit naturel, urbain ou social — et nous invite à repenser les connexions invisibles qui façonnent nos identités ainsi qu'à voir la coexistence entre nature, culture et mémoire comme un processus en constante évolution.
Rirkrit Tiravanija. La salle de jeux (1998), de Rirkrit Tiravanija évoque un café ou un club, lieux de sociabilité où les individus ont l’habitude de se retrouver pour boire un thé, regarder la télévision, jouer aux cartes ou se raconter leurs souvenirs. Une sélection de jeux, de DVD et de CD est mise à disposition du public, invité à investir l’espace d’exposition. La présence d’un panneau en liège — destiné à accueillir les pensées ou dessins que les visiteurs souhaiteraient partager — encourage les interactions sociales.
Depuis la fin des années 1990, Rirkrit Tiravanija crée des installations participatives, offrant au public des plateformes d’expression au sein même de l’espace d’exposition, qui s’affirme comme un lieu d’échange et de partage. Inspiré par des formes artistiques telles que les happenings des années 1960, l’art participatif renverse les conceptions traditionnelles de l’œuvre et interroge les conventions sociales. L'artiste se met en retrait pour offrir au visiteur la possibilité de s’approprier l’espace et, ainsi, de donner vie à l’œuvre.
Danh Vo. Untitled (2023) de Danh Vo réunit douze photographies de fleurs, sous lesquelles Phung Vo, le père de l’artiste, a inscrit au crayon la première partie de leur nom latin. Ce geste prolonge la collaboration entre père et fils, surtout connue à travers 2.2.1861 (2009-), une œuvre dans laquelle Phung recopie la lettre d’adieu que le missionnaire français Théophane Vénard adresse à son père avant d’être exécuté par des moines bouddhistes au Vietnam. Réfugié catholique installé au Danemark, Phung a fait de cette lettre une vocation, à la fois source de revenus et acte de prière.
L'intérêt de Danh Vo pour la photographie de fleurs a commencé avec la série untitled (2021), réalisée à l’iPhone dans ses jardins de Güldenhof (Allemagne) et Pantelleria (Italie). À la même période, l'artiste se lie d’amitié avec une famille de fleuristes germano-vietnamiens qu’il accueille dans le local situé sous son appartement berlinois. Au départ, il leur offre des fleurs de Güldenhof, mais celles-ci sont cultivées non professionnellement, donc « imparfaites » et ne sont pas adaptées à la commercialisation. Cette observation nourrit la curiosité de Danh Vo pour les espèces florales et donne naissance à untitled (2023). Il photographie des fleurs coupées dans la boutique, souvent mises en scène dans des contextes solitaires : une rose seule sur une balance, un œillet posé sur du bois. Inscrit sous chaque photographie, le nom latin des espèces florales questionne les rapports de pouvoir et de domination entre les cultures. Le choix des cadres prolonge cette réflexion politique. Ils sont réalisés dans du noyer noir offert à l'artiste par Craig McNamara, fils de Robert McNamara, secrétaire américain à la Défense et architecte majeur de la guerre du Vietnam, conflit qui a précipité l’exil de la famille de l’artiste. En utilisant le bois provenant de la propriété des McNamara, Danh Vo tisse des liens entre histoire familiale et histoire mondiale.