De mai à juin 2013, il y a donc précisément deux ans, le parc Gezi, près de la place Taksim, au cœur de la partie européenne d’Istanbul, est devenu un centre de coordination du Gezi Movement (#occupygezi), une manifestation antigouvernementale rejointe par plus de 2 millions de citoyens.

La protestation a été déclenchée par la décision du gouvernement d’abattre les arbres du parc pour construire un centre commercial. Les manifestants qui ont organisé un sit-in ont été brutalement expulsés par la police armée de bombes de gaz lacrymogène et de canons à eau. Suite à cette violente réaction, le gouvernement turc a été obligé de faire face à une insatisfaction croissante des citoyens contre l’administration d’Erdogan.

Ainsi, à partir d’un sit-in écologiste, la manifestation a dégénéré en un mouvement anti-gouvernement à l’échelle nationale, gagnant d’autres grandes villes comme Ankara et Izmir. En outre, les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans la diffusion mondiale des informations conduisant plusieurs actions de protestation dans les métropoles européennes comme Paris, Berlin et Londres.

GRIS — GEZI PARK, Istanbul est un travail photographique sur ce parc, réalisé 3 à10 mois après le mouvement. Ces images constituent la collecte de résidus des évènements qui s'y sont déroulés. L’un des sujets centraux de ce travail est la représentation des arbres.

Dans ce mouvement de protestation, les arbres et le parc ont été mis en opposition avec le centre commercial et il est intéressant de rappeler que le concept de centre commercial, le « passage » (rue d’arcade), est né à Paris au 19e siècle, presque en même temps que les parcs urbains et la photographie. Tous trois sont considérés comme des symboles de l’époque moderne.

À l’origine, « passages » et parcs urbains étaient associés les uns aux autres comme des espaces équilibrés de vie et de consommation dans la ville. Aujourd’hui, l’économie contemporaine a donné la préférence aux centres commerciaux avec des « passages » hypertrophiés, tandis que les arbres et les parcs ont été progressivement exclus ou intégrés dans d’anciennes structures urbaines.

À Istanbul, après le mouvement, le parc a été recouvert par les autorités de peinture grise. Les graffitis et les messages multicolores laissés par les manifestants sur les murs, les dalles et les troncs des arbres ont été masqués et supprimés avec une teinte monochrome grise comme si rien ne s’était passé. Restent cependant ces tableaux gris et obstinés, témoins de l’oppression, rappelant l’intensité des voix réprimées.