Du 17 septembre au 20 décembre, VivoEquidem présente Ce Qui Fait Fragilité, dont le commissariat a été confié à Nathalie Blanc et Emeline Eudes, artistes et scientifiques (Nathalie Blanc est directrice de recherche au CNRS et Emeline Eude est chercheur en esthétique environnementale). Lors de cette exposition, elles s’interrogeront sur la façon de faire de la fragilité un outil de la transformation contemporaine à la mesure du politique.

À partir des oeuvres des six artistes présentant des dessins, des vidéos, des textes sonores, des installations et des performances l’exposition se développera au fil du temps sur les réseaux informatiques. Des contributions extérieures, textes, sons, images et conférences seront ainsi mises en ligne sur un site web dédié. Le but affirmé des commissaires est de construire une proposition artistique et réflexive rhizomatique qui pourra être déplacée et amplifiée sans limitation de durée.

La Fragilité, pourquoi ?

La maladie, celle de Nathalie Blanc en particulier, a été le point de départ de cette exposition. C’est cette fragilité qui a fait surgir le questionnement, mais aussi le transitoire, la possibilité de modification : ce qui fait fragilité s’avère un potentiel largement inexploré de la condition humaine.

La fragilité c’est aussi s’intéresser aux relations entretenues avec l’environnement, pierre d’achoppement du développement de nos sociétés. La perspective de la crise environnementale infléchit les croissances, modifie les comportements, joue sur les responsabilités individuelles et collectives : la fragilité revient à mettre en avant ce qui façonne nos conditions environnementales.

Quels sont les gestes esthétiques qui peuvent revendiquer la fragilité ?

Le Manifeste de l’exposition est comme un appel à entendre aussi bien les façons de «faire ensemble» que de «vivre ensemble». Les objets plastiques tentent alors de désigner ce phénomène invisible, qu’est la fragilité.

Ainsi au centre de cette exposition se trouve le Manifeste projeté à travers l’espace. Ce dispositif, conçu par Philippe Brioude, met en jeu sa préhension par le biais d’une feuille de papier, réceptacle des bribes textuelles que le spectateur doit chercher à recueillir.

Il s’agit de tâtonner, de tenter de faire pour accéder à la lecture d’une intention. Ce n’est rien de moins qu’une mise en situation du transitoire et de la perte.

Proche de cette expérience, la pièce en cire naturelle réalisée par Emma Bourgin s’adresse à la lumière et joue tout en réflexions et diffractions. La porte élevée au centre de la galerie filtre en effet les faisceaux lumineux venus du dehors et la redistribue, à travers le filtre de la cire, matière vivante, sur un pan de mur couvert d’une fine couche de chaux. La matité, l’hapticité des matériaux et leur coévolution au fil du temps et des intensités lumineuses révèlent ainsi des processus vivants et fragilisés.

Le retour à des matériaux premiers, simples, et la figure de la porte comme ouverture vers d’autres possibles invitent à réapprendre à observer avec nos sens et toute l’inexactitude qu’ils mettent en jeu.

Face à elle se trouve un écran sur lequel est diffusé un film de 39 minutes et 39 secondes intitulé Clara-Clara, double reflet de l’oeuvre de Richard Serra exposée au Jardin des Tuileries. Ce film, réalisé par Philippe Brioude, Amaury Bourget et Nathalie Blanc, met en exergue la fragilité de tout cheminement humain en proie aux interrogations multiples qui gouvernent nos personnes. À côté sont disposées les outres émaillées en terre cuite d’Emeline Eudes. En penchant l’oreille sur elles, on entend un son qui filtre à travers la terre. Caverneuses, difficiles à entendre, des bribes de textes écrits par Nathalie Blanc sur un accompagnement sonore d’Amaury Bourget nous parviennent. Ce son évoque celui de la grotte de Calypso où l’amour de la nymphe échoua à se faire entendre, et celui du « personne ! » d’Ulysse, en réponse au cyclope Polyphème qui se laissa tromper.

La parole ainsi déceptive ne remplit pas ses promesses, ce qui la rend définitivement fragile, illusoire.

Les dessins présentés au mur par Natalia Jaime-Cortez font parler de la fragilité à deux titres : le premier est celui du matériau ; le papier léger, mobile à chaque courant d’air, imbibé de jus colorés allant s’évaporant, instaure un régime du diaphane. Par ailleurs, la fragilité de ce travail tient aussi à l’irrégularité, la variation infime qu’apporte chaque nouveau morceau déplié et chaque jeu de couleurs déployé. À tour de rôle, exposition et performance, les dessins pliés et dépliés par l’artiste s’offrent comme les facettes multiples, rayonnantes et absorbantes, d’un jeu de langage entre soi et le monde.

Enfin, les copies du carnet de dessins anatomopathologiques de Lucy Lyons dévoilent l’intérieur de corps déformés, assaillis par une maladie où les squelettes augmentés d’excroissances cartilagineuses finissent par empêcher la forme humaine. Ces transformations et déformations montrent encore une fois la fragilité de nos espérances en ce qui concerne la vie humaine. Forte de ses propres intentions, la vie se développe telle qu’en elle même. Elle prend des directions certes souhaitées, mais souvent inattendues pour ceux qui les observent.

Reste enfin à se demander comment peut-on faire de cette fragilité un outil de la transformation contemporaine à la mesure du politique ?

Assurément, la Fragilité est une forme de politique de soi, et qui ne peut se réaliser que par sa mise en oeuvre dans un ensemble : celui des reconnaissances de soi, mais aussi de celles des autres.

Par les autres, nous voulons dire tous les autres. Nous incluons les objets, les évènements, les sujets qui forment le centre d’une expérience esthétique et permettent aux individus de se constituer. Il s’agit donc d’une reconnaissance des points de fragilité des ces «autres» en ce qu’ils sont «moi».

Ainsi, la reconnaissance du point de brisure, de fragilité, établit l’être humain qui se tient debout. Car il peut tomber.

Nathalie Blanc & Emeline Eudes