Après la finale d'anthologie de Roland-Garros entre Carlos Alcaraz et Jannik Sinner, la plus longue de l’histoire du tournoi (5h29), l'Espagnol a fait étalage de sa force de caractère pour venir à bout de l’Italien. Au terme d’un super tie-break en apothéose, la victoire finale et son cinquième Majeur en carrière, la question se pose : le mental est-il inné chez lui ? Tentative d’explication.
Juan Carlos Ferrero était dithyrambique à ce sujet la semaine passée au cours d’un entretien pour Eurosport, son poulain à cela en lui. Et c’est sûrement vrai. L’histoire de ce match est assez singulière et n’a aucun rapport avec leurs derniers affrontements Porte d’Auteuil ni même depuis qu’ils se croisent en Grand Chelem. Chaque fois peu ou prou la même rengaine : chacun prend son set et l'affaire se règle au cinquième (exception faite à Wimbledon lors de l'édition 2022), où l’Italien avait plié le match en quatre.
Cette fois, malgré un début de rencontre assez solide, l’Espagnol a perdu le fil à 4-3 15/15 sur un petit incident, sollicitant un temps mort médical. Visiblement gêné à l'œil et sorti de son match, il a laissé Sinner prendre les commandes jusqu'à la fin de la seconde manche (6-4, 5-2).
C’est le premier tournant, sans que ça ne paraisse forcément flagrant sur le moment. Sûr de ses forces et de son tennis, le numéro un mondial lâche pourtant la troisième manche (4/6), mais parvient à obtenir trois balles de match dans ce qu’il pensait être le momentum. Trois occasions de tuer la bête ibère. Ce fut le moment choisi par le protégé du Moustique1, pour changer le cours de cette finale. À ce moment, il n’y eut probablement que deux personnes sur la planète pour croire en l’impossible : lui et son coach.
Dans la tension du Chatrier, devant 15 000 personnes et plusieurs autres millions devant leur télévision, le gamin de Murcie s’est retrouvé dos au mur. À 3-5 0-40 sur son service et craignant la qualité de relance de Sinner, en plus de son inconstance patente, il fallait avoir un sacré flair pour deviner la suite. Mais pour son adversaire, le souvenir malheureux du quart de finale de l’US Open 2022 est sûrement réapparu, encaissant cinq points d'affilée et malgré le fait de servir pour le match, est tombé sur un Carlitos héroïque en défense, remportant le tie break (7-3), pour arracher la cinquième manche.
À l'image d’un Novak Djokovic à Wimbledon 2019 face à Roger Federer, d’un Rafa Nadal à Melbourne en 2022 face à Daniil Medvedev, Alcaraz à su serrer le jeu à l’instant idoine, au bord du précipice pour retrouver tout son allant. Ce qui le distingue donc aujourd’hui d’un Sinner qui ne gagne que lorsqu’il se trouve supérieur à son adversaire et craque lorsqu’il ne maîtrise plus ses émotions.
Il y a trois ans à Flushing, une seule opportunité de battre Carlos s'était présentée à lui, à une époque où les deux étaient encore vierges en Majeur.
Ce dimanche, il en a eu le triple et n’en a converti aucune. Les fantômes du passé sont donc revenus chez l’Italien, toujours incapable de briser ce plafond de verre quand ce n'est pas Medvedev, Zverev ou un Djokovic sur le déclin en face. À Melbourne en 2024, mené de deux sets à rien par le Russe, il avait su trouver les ressources pour s’imposer en cinq, mais face à un joueur qui avait subi la loi de Nadal deux ans auparavant et ne disposait pas de la résilience ni de la caisse physique pour tenir un tel marathon. Les choses ont été plus faciles pour effacer l’Allemand en terre australe et ainsi, conserver son titre cette année. Quant au Serbe, il n’a pas les armes pour lutter contre l’hyperpuissance.
Cette fameuse résilience, donc, si importante dans la vie quotidienne du citoyen lambda, est l'élément clé qui a permis à Alcaraz de se sortir du bourbier. Il est cependant important de nuancer : tout le monde n'est pas égal en la matière et il est indispensable de rappeler que le Murcien est un phénomène de précocité, à tous les niveaux. Il serait par conséquent absolument faux de dire que les problèmes de la vie peuvent se résoudre en quelques heures comme sur une finale de Grand Chelem, aussi monumentale soit-elle comme celle-ci et peut-être même scénaristiquement parlant, la plus intense et irrationnelle qu’il ait été donné de voir.
Mais cela fait appel à des capacités que parfois, même le meilleur thérapeute au monde est bien incapable de lire. Le désormais double vainqueur de la Coupe des Mousquetaires a confirmé qu’il a cela de plus que l’originaire du Sud-Tyrol : le fait d'être plus clutch dans les moments importants, d'en mettre plus dans la raquette, de savoir donner la bonne longueur au bon moment pour faire dégoupiller son adversaire. Il n’est ainsi pas illogique ni trop hâtif de dire qu’aujourd’hui et avant l'ouverture des hostilités à Wimbledon, Carlos Alcaraz a pris un sérieux avantage psychologique sur son rival historique, lui qui vient de remporter le Queen’s pour la deuxième fois en trois ans (il avait été sorti la saison passée par le local Jack Draper), tandis que Jannik Sinner a été éliminé par le Kazakh Alexander Bublik dès les huitièmes sur le gazon de Halle (6-3, 3-6, 4-6).
Une pause semble s’imposer pour l’Italien, car comme il l’a indiqué à la presse : après quelques nuits blanches, se mettre au vert lui permettrait d’éviter l’implosion.
Un état de santé mentale qui prédomine, donc, d’où l'intérêt de panser ses plaies et de revenir plus fort, parce que le tennis a besoin de lui.
Bibliographie
1 Surnom donné à son entraîneur, Juan-Carlos Ferrero, en raison de son physique élancé et de son élasticité.