La Galerie Marian Goodman a le plaisir de présenter pour la première fois une exposition personnelle de Peter Fillingham avec un nouvel ensemble d'œuvres sculpturales évoquant la mémoire et l'histoire. Travaillant principalement avec des matériaux trouvés – des objets souvent délaissés en raison de leur faible valeur culturelle ou économique –, Peter Fillingham transforme ces éléments de fortune en sculptures et en installations empreintes d'une certaine théâtralité. Ancrée dans les marges, tant géographiques que matérielles, sa pratique existe là où l'art coexiste avec la vie quotidienne. Il s'inspire des structures et des systèmes qui opèrent en coulisses dans les zones de transit, de commerce et d'échanges quotidiens, où les couleurs sont aléatoires et où les matériaux donnent lieu à des « événements » sculpturaux.
Dès l’entrée de la galerie, les visiteurs découvrent Fruit salad (2025), une installation composée d'une veste, d'un manteau et de deux pantalons offerts à Peter Fillingham par son amie de longue date, l'artiste Tacita Dean. Cet ensemble de vêtements qui appartenait à son grand-père, Basil Dean, a inspiré Fillingham pour évoquer l'ENSA (Entertainment National Service Association) créé par Basil Dean en 1939. L'ENSA avait pour objectif de divertir les forces britanniques et alliées dans les zones de guerre grâce à des comédiens, des chanteurs, des danseurs et d'autres artistes qui se consacraient à insuffler un peu de légèreté dans leur quotidien tout au long du conflit. Peter Fillingham s’est reconnu dans la philosophie de l'ENSA, qui prônait l'improvisation, l'économie de moyens et l'inclusivité, ainsi que dans son lien avec les « Pierrot troupes », ces troupes d’artistes costumés en Pierrot actives dès l'époque de la Première Guerre mondiale.
Le manteau et la veste ont été recréés avec fantaisie par Peter Fillingham, ornés de pièces de satin vintage aux couleurs vives, de pompons noirs et de fraises de Pierrot, en référence à la manière ludique dont la troupe de l’ENSA a bousculé les codes formels à travers l’usage éléments improvisés. Pour la commissaire d’exposition Cécile Bourne-Farrell : « C'est dans cet espace de rupture avec la discipline militaire rigide, d’autant plus significatif qu’il est marqué par l’improvisation et l’aléatoire, que Peter Fillingham se sent chez lui. Pour lui, ces lieux marginaux et liminaires, où une faille s’est ouverte, révèlent la résilience humaine et les liens profonds qui unissent les individus. »
Le titre de l’exposition fait référence au terme désignant l’uniforme militaire que Basil Dean encourageait les artistes de l’ENSA à porter, afin de légitimer leur présence au sein des forces armées et de garantir leur sécurité lors de leurs déplacements.
Les œuvres 17s strip et 8s helter skelter ont elles aussi une dimension théâtrale, mais de manière plus abstraite. Composées de bâtons de bois recouverts de tissu ou de ruban colorés, elles oscillent entre le langage formel de la sculpture minimaliste et le vocabulaire visuel de la culture populaire. La diagonale flottante dans Small drop (2025), inspirée du tableau Le cylindre d’or (1910) de Paul Sérusier, y est transposée en trois dimensions, démultipliée pour donner naissance à une installations d’un équilibre fragile. Egalement exposé en suspension, Here (2025), un petit récipient abandonné, agrandi puis peint devient objet sculptural enigmatique.
Dans le deuxième espace de la galerie, l’œuvre BF, RE, FW, DJ, CG, GJ, GB, MJ (2024) prend la forme d’un quadrillage mural constitué de cartes illustrées des lettres de l’alphabet, organisées en lignes et colonnes, conçu volontairement comme indéchiffrable. Le public est invité à sélectionner des lettres pour composer les initiales de personnes dont il souhaite célébrer la mémoire ou rendre hommage, à l’aide d’un marchepied en bois mis à disposition pour atteindre les lettres choisies. Réalisée pour la première fois en réponse à « Exile Street / High », une exposition organisée l’année dernière par l’artiste Peter Lewis à l’Ealing Project à Londres, cette œuvre rend hommage à l’histoire musicale fluide et radicale de ce lieu, autrefois fréquenté par de nombreuses rock stars, tout en créant un espace intergénérationnel destinés à de nouveaux publics.
« En pensant à Peter, explique Tacita Dean, je m’aperçois qu’il adore les écheveaux : non seulement les fils, les tissus, leurs couleurs, mais aussi ces écheveaux d’histoires qu’il aime tant dévider. Il se place à la confluence des traditions orales de ses deux parents, à la confluence du grand art et de l’art mineur. Au premier coup d’œil, ses sculptures peuvent sembler improvisées ou bricolées, mais cette apparence cache une structure profonde et un dessein qui guident chacun de ses choix. Malgré l’espièglerie sans prétention de certaines de ses œuvres, Peter est un sculpteur très formel. Son processus fait la part belle aux gréements et au tissage, ainsi qu’à l’humour, au jeu, à la camaraderie et à l’entrain, avec à l’occasion un soupçon de fantaisie. »