Un arbre peut-il être un protagoniste ou bien un espace ? En quoi cela affecterait-il les règles de la narration à travers l'action ?
(Eija-Liisa Ahtila)
La Galerie Marian Goodman a le plaisir de présenter une nouvelle exposition d’Eija-Liisa Ahtila qui dévoile pour la première fois en France deux grandes œuvres vidéo, On breathing et April ≈ 61°01' 24°27' (2024). Reconnue internationalement pour ses installations cinématographiques, Eija-Liisa Ahtila remet en question la notion de perspective dans l'image en mouvement et construit une expérience où plusieurs temporalités et espaces coexistent. Dans le prolongement de ses recherches menées au cours de la dernière décennie, les œuvres de l'exposition explorent chacune à leur manière des formes de narration et des modes de présentation conçues autour de la nature et du vivant. Abandonnant un point de vue anthropocentrique, Eija-Liisa Ahtila cherche à rendre visible le monde non-humain et en particulier les arbres. Alors que On breathing dépeint les entrelacs délicats entre un arbre et de la brume matinale, April capture le passage silencieux d'une saison à une autre, à travers des mouvements subtils entre les arbres et l’observation attentive d’une forêt.
Au rez-de-chaussée de la galerie, On breathing (2024), une projection d’une durée de 9 minutes, s’apparente à un poème visuel qui met l'accent sur le mouvement lent et hypnotique de la brume s’évaporant autour d’un chêne. Ce phénomène matinal est typique des conditions automnales et hivernales, lorsque la mer demeure plus chaude que l'air et le sol environnants. Le déplacement de la brume et le son qu'elle produit dans les branchages évoquent poétiquement une respiration végétale. « L'air autour du chêne est comme palpable, et l'espace à l'intérieur devient réel, comme si la respiration de l'arbre devenait, pour un instant, perceptible », note l’artiste.
Eija-Liisa Ahtila, qui recourt fréquemment à plusieurs écrans et split-screens pour révéler simultanément différents aspects d'un même récit, utilise ici des incrustations vidéo afin de superposer des temporalités distinctes. La dérive du brouillard et son interaction avec les feuilles, le rythme et les plans de la caméra ; tout concourt à composer un tableau animé singulier.
Envisageant ses œuvres récentes comme un continuum, l'artiste remarque que chaque processus créatif la conduit naturellement vers le suivant. Depuis 2011, elle a ainsi progressivement remplacé les protagonistes humains par des arbres ou d’autres organismes vivants, donnant naissance à une série d'œuvres qui abordent « le récit écologique de l'image en mouvement ». Cette nouvelle orientation remet en question la relation contemporaine entre nature et humanité, ainsi que la frontière artificielle séparant les êtres humains et le reste du vivant. « J'ai tenté de développer des approches visuelles et des méthodes de narration qui pourraient nous montrer une voie pour sortir de l'anthropocentrisme et permettre la présence d'espèces non humaines dans notre imaginaire », affirme Eija-Liisa Ahtila.
Au niveau inférieur de la galerie, April ≈ 61°01' 24°27' (2024), exposée pour la première fois au musée Kröller-Müller aux Pays-Bas, immerge les visiteur·euse·s dans la forêt du parc naturel d'Aulanko, en Finlande, à proximité de la ville natale de l’artiste. Connue comme un environnement naturel encore préservé de l'activité humaine, cette forêt a été filmée pendant deux années consécutives, en 2022 et 2023, entre la fin mars et la fin mai. Si le titre de l'œuvre se réfère au mois d’avril associé à la régénération de la nature, la projection longue de près de 12 mètres et composée de huit sections, montre la transition subtile entre la fin de l'hiver et l’arrivée de l’été. Les séquences sont agencées de manière chronologique : de gauche à droite, la forêt apparaît d’abord aux premiers moments de la fonte des neiges, jusqu'à l'arrivée prématurée de l'été.
L'échelle et l’horizontalité de l'installation évoquent Horizontal (2011), œuvre emblématique de l’artiste, née de sa volonté de représenter un épicéa dans son intégralité. Pour éviter les distorsions liées à l’usage d’un objectif grand angle, Eija-Liisa Ahtila avait choisi de capturer l’arbre en plusieurs sections horizontales, avant de le présenter lui aussi sous la forme horizontale sur une série de six écrans de projection.
Avec April, la forêt envisagée comme un écosystème où les arbres et une multitude d'organismes interagissent en permanence, est pour la première fois au centre de l'attention de l'artiste. La source de l'œuvre est la vie sylvestre, où chaque être singulier est un élément intégré de l'ensemble et où cet ensemble existe en retour dans cet être singulier. Pour créer un langage cinématographique adapté au sujet, les mouvements de caméra dans chacune des huit sections sont fluides et asynchrones, alternant ralentis et arrêts momentanés. « Le thème d'APRIL est la spatialité de l'être, le changement constant et la prise de forme de la forêt, qui est sa qualité fondamentale », explique Ahtila.