Il était une fois dans une autre vie : j’étais directrice financière. J’aimais tant mon travail que je lui consacrais trois cent soixante-cinq jours par an, y compris Noël et le premier de l’An. Il me le rendait bien : la gloire, le pouvoir et toujours plus d’argent. Bref, ma vie était une success-story hollywoodienne. Puis, sans doute à cause de l’équilibre cosmique, la vie décida de reprendre ce qu’elle m’avait donné en abondance. Cette garce commença à me voler mon père, puis ma sœur, sans oublier mon travail et enfin ma mère. Pour ne pas sombrer dans la folie, j’ai écrit des livres, beaucoup de livres. Quatre ! Mais la vente de mes romans suffisait à peine à payer les intérêts de mes découverts. Quelle galère ! Mon futur était noir comme une nuit sans lune.

Lors d’un dîner avec mon ami Louis Durot, nous dégustions les nems faits maison lorsque j’ai soudain sangloté. Mes parents avaient passé leur vie à rouler des nems pour me payer des études, et moi, j’avais tout merdé ! Je n’avais même pas de quoi payer les colonies de vacances pour mes filles. Louis m’a tendu sa serviette en papier remplie de sauce nuoc man pour que je nettoie mon nez dégoulinant.

- Vas à mon atelier, choisis une œuvre et vends-la. Ça couvrira plusieurs mois de loyer, m’ordonna-t-il.

- Mais, je fais comment pour vendre une œuvre d’art ?

- Tu apprendras ! me répondit-il en dévorant un nem entier.

J’entends encore la voix de Louis et je revois son regard bienveillant posé sur moi. Il y a bien longtemps, maître Okazé de Kyoto lui a confirmé qu’il était un Kami dans sa vie antérieure. J’avais des doutes, mais plus maintenant.

Le lendemain de ce dîner, une nouvelle Kim est née. D’abord, je crée un compte Louis Durot sur Instagram. Ses deux premiers followers sont Wei Liu, son assistante depuis 17 ans et moi, bien sûr. Jour après jour, j’alimente ce compte du quotidien d’un pop art designer talentueux. Louis souhaite de l’authenticité. Résultat : toutes les photos et les Reels sont #nofilter #nophotoshop. Très vite, des milliers de followers suivent notre aventure. J’espère qu’il y en aura pleins d’autres.
Puis, je dévore tous les livres sur le design. Je me documente sur le fonctionnement des maisons de vente comme Christie’s, Sotheby’s, Philipps en plus des musées de renommés. Je me fais connaître auprès les galeries en France ainsi qu’à l’international. Je présente le travail de Louis aux collectionneurs d’art qu’ils soient confirmés ou amateurs. Chaque week- end, j’organise dans l’atelier de Louis des rencontres entre lui et son fan-club. En parallèle, Louis m’enseigne ce que je dois savoir sur son art. Il se confie sans réserve, allant de la rafle à laquelle il a échappée lorsqu’il avait à peine 4 ans en passant par le souvenir de son premier jouet en argile : un élément déterminant dans son choix de devenir designer et de créer des jouets pour adultes. Il me donne aussi des leçons de chimie car, avant d’être un artiste, il est d’abord ingénieur chimiste renommé. Il m’aide à comprendre ce qu’est du polyuréthane et pourquoi sa résine est unique au monde. Il me raconte sa collaboration avec César et ses rencontres avec Picasso ou Niki de Saint Phalle. Des personnes qui l’ont inspiré et d’autres qui ont abusé de sa confiance. Avec un tel mentor, je ne peux que réussir. Et humblement, je confirme que j’ai mérité mon titre d’agent d’artiste.

Un an après ce dîner, où Louis m’a tendu la main, j’ai signé avec la galerie Sohe à Pékin et à Shanghai des contrats d’exposition ainsi que des éditions de ses iconiques créations en bronze et en aluminium. Le Vitra Design Museum a acquis une « Aspirale », désormais Louis et son œuvre entrent dans leur Collection Online, accessible à des millions d’amoureux du design. De même, j’ai rencontré le curateur et son équipe. Qui sait, peut-être verra-t-on une exposition Louis Durot. Des futures collaborations avec la papesse du design Kelly Wearstlers, Materia Mag, les Éditions Slatkine… La liste n’est pas exhaustive.

Vous imaginez bien que le chemin menant au succès n’est pas un long fleuve tranquille. Je me rappelle un marchand d’art qui m’a harcelée de messages hideux, en me surnommant "la chinetoque". Un autre m’a accusée de vouloir empoisonner Louis pour toucher un héritage. Pour information, Louis a déjà légué sa fortune à une fondation pour la protection des éléphants. Mes vingt ans d’expérience en Finance-Corporate ont forgé mon caractère. Face aux adversités, je pense comme une gagnante et j’agis comme telle.

Moi, Kim Chi Pho, sept fois tombée. Huit fois relevée.