Le 17 mai 1995, François Mitterrand transmettait les clefs de l’Élysée à Jacques Chirac après quatorze ans de présidence. Personnage florentin au destin exceptionnel teinté de zones grises, il conquit le pouvoir rose au poing.

Mitterrand, Montherlant, Mauriac et Morland

Chez Mitterrand, tout est complexe et controverse. Issu d’une famille nombreuse, catholique, conservatrice et bourgeoise, le futur président lit Montherlant et Mauriac. Ses origines sont fort éloignées du socialisme. Dans les années 30, l’étudiant Mitterrand adhère aux Croix-de-Feu, mouvement nationaliste, puis le soldat fait une pige à Vichy durant la Seconde Guerre Mondiale et se voit même décoré de la Francisque, avant de devenir Morland le résistant. C’est le tournant d’une trajectoire personnelle et politique.

Après la Libération, Mitterrand participe à divers gouvernements d’inspiration centriste sous la Quatrième République. Il est notamment nommé ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Pierre Mendès France, entre 1954 et 1955, soit au début de la Guerre d’Algérie. Mitterrand affiche alors son opposition à l’indépendance du pays et tient des propos controversés à la tribune de l’Assemblée nationale : « L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra chez elle d’autre autorité que la sienne. » Il devient ensuite ministre de la Justice entre 1956 et 1957 avant que la Quatrième République ne soit bientôt emportée par son instabilité chronique.

Mitterrand s’insurge contre la prise de pouvoir du général de Gaulle en 1958, dont il dénoncera plus tard Le Coup d’État permanent dans un pamphlet virulent. Il appelle à voter non au référendum sur la Constitution, qui est néanmoins adoptée à une large majorité puis promulguée. Mitterrand entame alors une longue période de 23 ans d’opposition, menant « une vie de missionnaire » selon Jacques Chaban-Delmas. Le député de la Nièvre sillonne les quatre coins de la France, laboure le terrain politique, convainc un à un les militants socialistes.

La gauche unie

Après le passage au suffrage universel, Mitterrand est de toutes les campagnes présidentielles ou presque. Logiquement battu en 1965, hors-sujet en mai 1968 puis hors-jeu en 1969, si près du but en 1974, le candidat opiniâtre est enfin élu le 10 mai 1981. Immense manœuvrier, l’homme à la rose a progressivement estompé le rouge communiste sur la route du rassemblement des gauches. Premier secrétaire du Parti socialiste de 1971 et 1981, Mitterrand signe le Programme commun avec Georges Marchais et Robert Fabre en 1972, puis n’aura de cesse de dominer ses alliés.

Flanqué de Pierre Mauroy en tant que Premier ministre, le président socialiste met en œuvre de grandes réformes dans divers domaines. Robert Badinter, emblématique ministre de la Justice, présente sa fameuse loi abolissant la peine de mort, qui est votée dès septembre 1981. La fin du monopole d’État sur les chaînes de télévision et les stations de radio est également officialisée. Se multiplient alors lesdites « radios libres ». Sur le plan économique, les nationalisations de dizaines de banques et d’entreprises sont adoptées, ainsi que les 39 heures travaillées et la cinquième semaine de congés payés. Le double septennat mitterrandien est par ailleurs marqué par les Grands Travaux sous la forme d’opérations d’architecture et d’urbanisme promouvant les monuments modernes de Paris.

Monarque républicain « au-dessus des partis », Mitterrand incarne la France Unie en 1988 et est réélu après une cohabitation musclée avec Jacques Chirac, qu’il écrase de toute sa science politique. Alors chef de l’opposition, il stigmatise le bilan du RPR au pouvoir, se pose en rassembleur et joue la carte de la jeunesse. Pour les enfants de la Génération Mitterrand, Tonton fut un grand-père lointain et protecteur. Grosso modo, du bac à sable au baccalauréat, ils n’ont connu que lui.

Un socialisme sans successeur

Après sa réélection, Mitterrand nomme Michel Rocard Premier ministre, tout autant dans un esprit d’ouverture vers les centristes qu’avec le désir de « lever l’hypothèque » sur son ennemi intime au sein du PS. Après trois ans de bons et loyaux services, Rocard est congédié puis remplacé par Édith Cresson, qui devient la première femme à diriger le gouvernement. La ratification sur le fil du référendum sur le traité de Maastricht en 1992 est le dernier succès politique d’un président crépusculaire. Il affronte un Philippe Séguin compatissant lors d’un fameux débat et reçoit le soutien de divers ténors de la droite, dont Chirac qui se positionne pour la campagne de 1995.

Dans son ouvrage Vies parallèles, paru en 2020, Michel Onfray encense De Gaulle autant qu’il éreinte Mitterrand. Au-delà d’un manichéisme assumé, le fielleux philosophe a parfaitement raison sur un point. Le général a su quitter le pouvoir avec élégance quand le président s’y est maladivement accroché. Mourant, Morland aurait dû capituler en 1993 après la débâcle des élections législatives. En outre, les révélations sur les zones grises de sa vie personnelle ou politique donnent à sa fin de règne un parfum d’amertume.

Que reste-t-il de François Mitterrand ? Une figure majeure de la Cinquième République et un personnage de roman balzacien, stendhalien, florentin. Sur le plan politique, Badinter dit de son mentor qu’il a « rendu à l’alternance sa simplicité ». François Hollande sera néanmoins successeur rose pâle et homme gris en 2012, doué dans l’art de la manœuvre mais dépourvu de charisme et d’autorité. Les candidatures de Benoît Hamon en 2017 et d’Anne Hidalgo en 2022 ont quant à elles été jetées aux oubliettes de la conquête présidentielle. À l’approche de 2027, alors qu’Hollande tente un retour audacieux, Mitterrand demeure la statue du commandeur d’un socialisme moribond.