Always on my mind, la quatrième exposition personnelle de Mathieu Cherkit à la galerie Xippas et la deuxième exposition dans son espace parisien, puise son inspiration dans l’univers intime de l’artiste et son quotidien domestique. Si certaines de ces onze nouvelles peintures revisitent des lieux emblématiques déjà présents dans des œuvres antérieures — à l’image de Glissement (2025), dominée par un jaune escalier en colimaçon — d’autres explorent de nouveaux territoires, notamment sa cuisine (Yelo voodoo, 2025), son bureau (TT, 2025), son jardin (Iris et Cerasus serrulata, 2025), ou encore la rue pavée qui s’ouvre devant sa porte (Grande rue, 2023–2024). Rappelant la ferveur avec laquelle Van Gogh peignait l’intérieur et les environs de sa chère « maison jaune » à Arles, les représentations de Cherkit de son environnement immédiat sont ancrées dans le réel et témoignent d’expériences affectives et fugaces liées aux lieux.
Si des détails concrets — logos de marques reconnaissables, objets familiers de décoration, appareils électroniques du quotidien — relient fermement ces scènes à l’instant présent, les références à la temporalité et à l’abstraction viennent dilater l’espace-temps. Des scènes intérieures offrent un aperçu de la façon dont les enfants transforment le rôle et la sensation d’une maison au fil du temps, tant physiquement que conceptuellement. Les billes éparpillées dans l’escalier de Glissement traduisent un mélange entre jeu et précarité. Une petite main désincarnée tendue vers le comptoir de Yelo voodoo, quant à elle, consacre la cuisine comme un lieu d’éveil et de découverte. De même, les paysages de Cherkit font référence aux changements saisonniers, montrant des plantes à différents stades de croissance et de flétrissement.
Les techniques picturales de Cherkit soutiennent son désir de prolonger les scènes qu’il peint au-delà d’un instant figé dans le temps. Construites à partir de multiples couches et d’épais empâtements, les surfaces stratifiées et texturées des peintures agissent comme des traces matérielles du temps nécessaire à la réalisation d’un tableau. Chaque œuvre présente un bord biseauté unique, formé par l’accumulation de peinture qui s’étend bien au-delà du périmètre naturel de la toile. En ajoutant de la masse à ses compositions, Cherkit pousse littéralement et physiquement ses sujets au-delà des limites de la toile. À l’inverse, l’artiste travaille aussi de manière réductrice, gravant la surface de ses tableaux de manière à suggérer de subtiles références au passé. Dans Grande rue, il utilise le manche de son pinceau pour graver un visage caricatural sur le mur extérieur de la maison d’un voisin. Ces présences fantomatiques enfouies dans les strates des peintures, renforcent leur puissance matérielle et profondeur conceptuelle.
Si les peintures de Cherkit élargissent notre perception de la temporalité, elles effacent également les distinctions traditionnelles entre figuration et abstraction. L’espace de cuisine de Yelo voodoo présente des meubles, des aliments et des produits d’entretien familiers, disposés dans une pièce étroite qui s’éloigne vers un mur du fond percé d’une porte ouverte. Outre un espace habitable aux connotations narratives, cette composition peut également être appréciée comme une symphonie de rectangles aux nuances de jaune, d’orange, de rouge et de blanc.
Évoquant l’expérience inverse consistant à apporter des références du monde réel à des peintures abstraites – reconnaître un paysage urbain chez Mondrian ou un paysage chez Rothko, par exemple – les peintures de Cherkit représentant des scènes domestiques parsemées de formes abstraites élargissent notre expérience de l’espace, du lieu et du temps.
(Texte par Mara Hoberman)