Strip to the bones établit un dialogue entre l'œuvre cinématographique de Barbara Hammer, Sanctus (1990) et une nouvelle série de peintures abstraites sur papier clouté et sur toile de Margaux Meyer.

Les deux artistes rejettent toute représentation classique et rompent avec une certaine tradition esthétique, où le cinéma expérimental se substitue au cinéma de genre, et l’abstraction à la figuration. Leurs pensées sont façonnées par des réactions et des sensations qui placent le corps au centre de leur travail. Leurs pratiques s’articulent à partir d’éléments phénoménologiques — sensibles et gestuels —, se traduisant par une tension organique, puis érotique, très forte, permettant ainsi aux sujets représentés d’exister librement. La peinture de Meyer se détache des lois physiques qui contraignent le corps dans sa représentation, ce qui se manifeste par la distension des tissus cellulaires, lesquels semblent s’étendre jusqu’à la rupture, jusqu’à l’extase.

Composée d’après des radiographies animées en 70-35 mm empruntées au Dr James Sibley Watson, Sanctus révèle toute la subtilité et la sensibilité du cinéma expérimental. En passant la photographie dans une imprimante optique 16 mm, Hammer obtient un effet de décalage qu’elle appelle ''halo de couleurs'' et qu’elle utilise en complément de ses couleurs primaires. Tout comme Meyer monte en couches pour ensuite soustraire de la matière, Hammer réduit les images, les superpose, et joue par surimpression et collages de négatifs jusqu’à obtenir des auréoles contrastées1.

Si Meyer dépeint la fragilité des systèmes organiques et cellulaires, tandis que Hammer les préserve en se cantonnant à une représentation ''osseuse'', les deux artistes introduisent néanmoins l’idée de fatalité. Hammer, diagnostiquée d’un cancer des ovaires incurable seize ans après la réalisation de Sanctus, nous interroge sur les effets néfastes des images radioactives subies. La peinture de Meyer, quant à elle, exhibe des corps en perpétuelle mutation, non sans évoquer les cycles naturels et biologiques. La série des Pelvis (n° 30, 41, 33, 27, 52, Girl) traduit cette (dé)gradation par différents états du ''subject-matter'' : alors que certains papiers transpirent les couches successives d’huile, d’autres sont essentiellement carboniques (Girl). L’exposition introduit l’image du ''corps-charogne'', dont l’organique se nécrose et où seule la carcasse subsiste.

Intitulé Sanctus, le film évoque la dualité entre science et religion. Si, pour le corps médical, sanctus signifie ''en bonne santé'', selon l’adage Mens sana in corpore sano, dans le Livre de l’Apocalypse, il s’agit d’un appel à la prière au Seigneur Sabaoth, dieu céleste de la nuit. Cette référence religieuse entre en résonance avec la partition analogique créée par Neil Rolnick, qui rassemble la section Sanctus de cinq compositeurs différents. Telle une danse macabre, des squelettes se meuvent au rythme de prières expérimentales. Cette chorégraphie envoûtante et érotique se prolonge dans Tarp, œuvre inspirée des Apparitions de la mort à la manière de Holbein (1785)2, où un squelette, émissaire mortuaire, capture à l’aide d’un drap deux amants en train de s’embrasser.

Dans Puce moment (1949), Kenneth Anger se réapproprie le culte glamour de l’actrice des années folles, fétiche de société, où le cinéaste met en scène un ballet incessant de drapés qui se soustraient les uns aux autres. Détournée de l’expression striptease, Strip to the bones se détache des codes sociaux traditionnels qui sexualisent le corps. Ici, le dialogue établi met l’accent sur les phénomènes internes perceptifs du corps féminin, tels que les fluides menstruels, les muqueuses, et souligne leurs fonctions émancipatrices vis-à-vis des images-fantasmes instaurées par nos sociétés patriarcales. Dans son ouvrage On female body experience, Iris Marion Young défend l’idée que le sujet s’affranchit de l’aliénation masculine en se réappropriant ses propres expériences personnelles. Pour Margaux Meyer et I. M. Young, cette émancipation prend source dans le ventre, comme épicentre sensible.

La sensation de la couleur se situe dans le ventre.

(M.Meyer)

(Texte par Clément Caballero)

Notes

1 DocFilm Forum: Barbara Hammer & Cheryl Dunye, DocFilm Institute, 2017.
2 Johann Rudolf Schellenberg, Gestöhrte Liebe. Der Tod bedekt zwey Liebende mit einem Nez., in Freund Heins Erscheinungen in Holbeins Manier, 1785.