Trap constitue la réaction à une forme d’art politique consensuel, que l’on pourrait qualifier de ''police de la réalité''— un concept emprunté à Jacques Rancière. Ici, la ''police'' ne renvoie pas à une institution répressive, mais plus généralement à la ''distribution du sensible'' opérée par un système donné, déterminant ce qui peut être vu, dit, pensé et ressenti en son sein.

Allez voir une exposition qui ''s’attaque à un problème'', ''aborde des enjeux'', ou ''explore des possibilités'', et vous en sortirez généralement avec, au mieux, une anecdote marrante ou bien un nouvel argument renforçant l’une de vos convictions, déjà acquise depuis longtemps. D’où cela vient-il ? D’artistes prosélytistes ? De curateurs tièdes ? De critiques paresseux ? La description précise ou partielle de la réalité ne suffit pas — pas plus que les métaphores évidentes, les critiques molles ou les analyses fades.

Certaines œuvres parviennent à générer un sens ou une émotion d’une grande intensité lorsqu’elles sont imaginées et conçues comme des ''pièges conceptuels''. La clarté de ce qu’elles semblent suggérer, la simplicité de ce qu’elles sont censées montrer ou dire, dissimulent une raison d’être plus profonde, plus opaque et plus sincère. C’est une dialectique simple et ludique, mais néanmoins puissante : on saisit l’idée, on en perçoit les limites, et on devine que quelque chose se cache derrière tout ça.

Ici, des toilettes. Là, une table imprimée. Ailleurs, deux photographies et les pages d’un carnet de notes. Là, dans le cœur secret des œuvres, se dissimule quelque chose d’assez beau à mes yeux — quelque chose de ''plus'' qu’il n’y parait.

Quitter une galerie d’art pour occuper la rue est un événement si improbable qu’il en est presque dangereux. Je cherche moins que ça : la discussion, le débat, le doute, le trouble… Faire fausse route devant une œuvre, c’est faire l’expérience de son armure. La difficulté de la transmission est comme une condition nécessaire — et le risque de la séduction une épreuve à part entière. Et quelle est la récompense ? Certainement pas la vérité — peut-être un sentiment plus précis.

(Texte de Simon Gerard)