Sur une route poussiéreuse, entre les frontières vietnamiennes et cambodgiennes, un bus ralentit et s’immobilise devant un check-point. C’est un bus local, avec des banquettes en bois, où les passagers sont assis face à face. D’un côté, il y a une touriste de type européen et une Asiatique serrant dans ses bras un nourrisson enrobé dans une serviette usée, le visage tendu, des goulettes de sueur perlant singulièrement sur son front. Une fillette eurasienne au regard perdu se tient blottie contre elle. De l’autre côté, sont assis deux hommes, des locaux à la peau très mate et brûlée par le soleil. Il fait terriblement chaud et humide. Pas une seule brise, seuls les battements d’ailes des mouches créent l’illusion d’une source de fraîcheur. C’est étrange qu’il y ait autant de mouches volant autour de ce nourrisson.

Des pas s’approchent et un douanier en uniforme kaki apparaît. Il balaie le bus de son regard glacial et y monte. Les deux hommes se regardent. Un imprévu dans leur plan. Ils ne connaissent pas ce visage. "Qu’est-ce qu’il est arrivé à notre contact ?" se demandent-ils simultanément. Voyant que la mère commence à trembler, ils envoient discrètement des signaux pour qu’elle garde son calme.
"Vacances ?" le douanier interroge la touriste.
"Oui. Première fois au Cambodge", lui répond-elle, un sourire aux lèvres.
L’agent écoute à peine sa réponse. Il feuillette le passeport et le lui rend avant de s’avancer vers le fond du bus. Il regarde la fillette collée contre sa maman, les yeux baissés. "Quel ange cette enfant, si calme. Pas comme mes gamins, petits monstres qui ont la bougeotte et parlent sans jamais s’arrêter" se lamente l’agent. Il fait deux pas en avant et s’immobilise devant la maman. Son regard se pose sur le nourrisson qui dort profondément.
"Est-il malade votre bébé ? Son visage est tout bleuté !" exclame le douanier en tendant sa main en direction de l’enfant.
Mais la femme repousse violemment sa main. Bondissant sur ses jambes, elle jette le bébé à terre et s’enfuit en dehors de véhicule. En tombant sur le plancher du bus, la serviette qui couvre le nourrisson s’enlève, dévoilant un petit corps sans vie bourré de sacs de poudre blanche. Le temps s’arrête. Tout le monde retient sa respiration. Les mouches s’activent plus que jamais autour du petit corps inerte. Aussitôt, le douanier sort son arme de service, se jette hors du bus et tire sur la fugitive. Touchée, celle-ci s’écroule par terre. Les deux hommes bondissent aussi, poursuivant l’agent et tirent sur lui. Touché, la victime tombe sur le cadavre de la maman. Leurs sangs s’entremêlent et forment un petit tapis rouge. Un autre agent quitte le poste de contrôle, se précipite sur le lieu du drame et fait feu sur les trafiquants. Un des deux s’écroule par terre. L’autre dans sa fuite, vide son chargeur et prend la vie du douanier. Le chauffeur abandonne son véhicule et s’enfuit dans le sens opposé du mafieux.

A l’intérieur du bus, la fillette cache son visage entre ses petites mains et pleurniche. Depuis qu’elle avait lâché la main de sa mère dans la foule à Saïgon, il ne lui arrivait que des malheurs. Cette petite, naïve, croit vraiment que ces mafieux l’emmènent à ses parents. Pendant ce temps, la touriste extirpe les sacs de cocaïnes du cadavre du nourrisson et les range dans son sac à dos. Puis, elle s’approche de la gamine et lui prend la main. Elles descendent du véhicule et regardent le bain de sang avant de s’enfuir dans la jungle cambodgienne. Dans leur fuite, la mafieuse marmonne : "La prochaine fois, il faudra juste enlever les reins de cette petite puis remplir son corps de marchandises. C’est plus discret que de voyager avec un cadavre de nourrisson".