La rhétorique protectionniste opposée à celle du libre-échange1, repose sur la volonté de retrouver des industries jugées délocalisées ou en déclin (acier, aluminium, textiles, automobile, par exemple). A cette fin, en taxant les importations, la logique de Trump est de rendre plus coûteux l'accès au marché américain pour les produits étrangers, réduisant ainsi leur compétitivité. Cela inciterait les entreprises à relocaliser leur production aux États-Unis, même si cela va à l'encontre des avantages comparatifs naturels.
Une vision partiellement crédible, mais contre-productive…
En taxant fortement tous les produits importés, Donald Trump vise ainsi, à mon sens, à supprimer les avantages comparatifs des pays concurrents, un concept développé par l'économiste David Ricardo au XIXe siècle2. Si tous les pays décidaient demain de fermer leurs frontières économiques en imposant des taxes drastiques sur leurs importations, à l’instar des Etats-Unis, cette tentation du « chacun pour soi », signerait l’abandon pur et simple des avantages comparatifs. Ce pilier de la prospérité mondiale depuis deux siècles plongerait les nations dans une concurrence stérile où tous seraient perdants.
La mort programmée des avantages comparatifs
Pour David Ricardo, la richesse globale augmente lorsqu’un pays se spécialise dans ce qu’il produit de mieux et échange avec les autres. Cette logique, tirée par la complémentarité, a permis une croissance sans précédent, même si les économies modernes sont plus complexes que celles du XIXe siècle. Aujourd’hui, les avantages comparatifs ne se limitent plus aux ressources naturelles ou à la main-d'œuvre, mais incluent également la technologie, l'innovation et les compétences spécialisées.
Les leurres du protectionnisme : entre illusions et réalités
Les partisans du protectionnisme invoquent la souveraineté économique et la sauvegarde des emplois. Mais en érigeant des barrières douanières massives, les États imposeraient une production forcée de biens pour lesquels ils ne sont pas compétitifs. Résultat : des coûts de production explosifs, une baisse de la qualité et un appauvrissement général. Imaginez l’Europe subventionnant du riz cultivé sous serre, ou les États-Unis fabriquant des textiles à prix d’or : l’inflation deviendrait la norme, et les consommateurs en seraient les premières victimes.
Ajuster les règles au lieu de les supprimer
Bien que la taxation des importations puisse offrir une protection à certaines industries nationales, elle risque de nuire à l'économie globale en augmentant les tensions économiques. La théorie de Ricardo reste un fondement solide pour comprendre pourquoi la spécialisation et l'échange sont essentiels à la prospérité économique. Face aux subventions déloyales, et au dumping écologique, une réforme du commerce mondial réside dans des accords multilatéraux renforcés, ciblant les pratiques anticoncurrentielles tout en préservant les échanges. À l’heure où la planète affronte des défis communs – réchauffement climatique, transitions technologiques –, le repli nationaliste serait une tragédie. La prospérité ne naît pas de la défiance, mais de la capacité à coopérer, sans renoncer à se protéger intelligemment.
Application de la théorie des avantages comparatifs avant l’élection de Donald Trump
La théorie des avantages comparatifs de David Ricardo reste un pilier fondamental de l'économie internationale. Cependant, la réalité contemporaine du commerce international est plus complexe et nuancée que ce que la théorie originale de Ricardo pourrait suggérer. Les pays continuent de se spécialiser et d'échanger en fonction de leurs avantages comparatifs, mais ces avantages sont influencés par une multitude de facteurs, y compris la technologie, l'innovation, les interventions gouvernementales et les préoccupations environnementales et sociales, qui ne favorisent pas une spécialisation équilibrée et durable. Sans avantages comparatifs et avec un protectionnisme dogmatique, on obtiendra une économie de farce… mais une farce extrêmement coûteuse pour les consommateurs.
Exemples en absurdie
Si l’on supprimait les avantages comparatifs, consommerons-nous un jour :
Des bananes norvégiennes.
Du poisson suisse.
Du chocolat made in Sahara
Des microprocesseurs artisanaux canadiens
Des porte-avions boliviens
Du café islandais
Des voitures électriques amazoniennes
Du fromage mongol
Du pétrole japonais…
Le protectionnisme et ses conséquences économiques et sociales
Le protectionnisme et le déprotectionnisme se sont succédé à différentes périodes de l’histoire pour réguler le commerce international. Voici quelques exemples illustrant ces vagues :
1° Les lois sur le blé en Grande-Bretagne qui imposent à partir de 1815 des taxes sur les importations de céréales pour protéger les propriétaires terriens britanniques. Les « corn Laws » ont été abrogées en 1846 sous l’influence des idées libre-échangistes suite à l’augmentation de la pauvreté dans les villes (prix du pain élevé) et l’opposition des industriels (coûts salariaux accrus).
2° A deux reprises, les États-Unis protègent leur industrie naissante au XXe siècle, face à la concurrence. Tout d’abord, durant la Grande Dépression (crise de 1929), ils adoptent une loi augmentant massivement les droits de douane de 40 % à 60 % sur plus de 20 000 produits importés. La loi Hawley-Smoot (Smoot-Hawley Tariff Act), promulguée aux États-Unis le 17 juin 1930, a été suivie d’un effondrement des échanges mondiaux (-66 % entre 1929 et 1934). Puis en 1861, contre la concurrence britannique, le Tarif Morrill instaure des tarifs douaniers élevés (jusqu’à 45 % sur certains produits). Le soutien massif à l’industrialisation du Nord entraîne des conflits avec les États sudistes, dépendants des exportations agricoles.
3° Lors de son ouverture forcée à l’Occident durant la Restauration l’ère Meiji (fin XIXe siècle), visant à égaler le niveau de développement des civilisations occidentales, le Japon réussit une transition réussie vers une économie industrialisée en subventionnant des secteurs stratégiques (textile, sidérurgie).
4° Le renforcement de l’industrie française sous Colbert au XVIIe siècle avec l’instauration de droits de douane élevés sur les produits étrangers, les subventions aux manufactures royales (ex. Gobelins), et le contrôle des exportations de matières premières.
5° La Politique Agricole Commune (années 1960), visant à garantir l’autosuffisance alimentaire après la Seconde Guerre mondiale. La PAC subventionne les agriculteurs avec des prix garantis et des quotas d’importation. Cette politique génère des excédents agricoles (montagnes de beurre, par exemple), et des distorsions des marchés critiques des pays en développement.
6° Après son indépendance, l’Inde adopte une politique d’autarcie (1947-1990) avec des mesures protectionnistes strictes : licences d’importation, tarifs douaniers élevés (jusqu’à 200 %) et promotion des industries locales. Le Licence Raj ou Permit Raj oblige les entreprises indiennes d’obtenir des licences du gouvernement pour pouvoir opérer. Cette politique a conduit à une croissance faible, une bureaucratie paralysante et l’ouverture libérale forcée en 1991.
Ces politiques de fermeture des frontières ont été entrecoupées d’accords de libre-échange, tels que l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) en 1947), culminant avec la formation de l’OMC, la création du Marché unique européen dans les années 1990 qui a fortement réduit les barrières commerciales entre États membres, favorisant la déprotection des marchés internes, l’accord de l’ALENA en 2018 entre les États-Unis, le Canada et le Mexique et la politique de libre-échange sous Reagan dans les années 80 dans le cadre d’accords bilatéraux ou régionaux.
Bibliographie
1 L'histoire du protectionnisme renvoie à l'évolution dans le monde des politiques, et mesures protectionnistes des états à travers l'histoire face à l'évolution concurrente du libéralisme économique poussé par d'autres puissances. Les débats entre les partisans du libre-échange et du protectionnisme s’appuient sur les théories économiques. Les choix des décideurs ne se basent pas sur une vérité "scientifique" établie mais sur l'opportunité dans un moment historique.
2 David Ricardo (1772-1823) est un économiste et philosophe britannique, influent de l'école classique. Il a écrit sur la monnaie, le blé, la distribution, le travail, la valeur et la rentabilité.