Pour commencer l’année sur une note optimiste, Xippas Paris a le plaisir de présenter New Day, la première exposition personnelle de John Phillip Abbott à la galerie, rassemblant sur deux étages des œuvres allant de 2012 à ses réalisations les plus récentes.

Depuis ses débuts, John Phillip Abbott explore la relation entre le texte et l’image, brouillant la frontière entre les deux. Les mots, les noms ou les phrases courtes organisent ses compositions en une structure similaire à une grille et fonctionnent comme des images plutôt que des concepts. Complexes et visuellement intenses, ses structures linguistiques défient la lisibilité et invitent le spectateur à entrer dans une zone interstitielle, entre ”lire” et ”voir”.

Chaque entité lexicale que l’artiste incarne en peinture se présente sous forme de problème ou de puzzle. Le point de départ est un mot, qui a valeur diaristique, faisant référence à ses expériences et souvenirs passés. Par exemple, Pontiac était sa première voiture ; In the Pines de Huddie Ledbetter, un morceau avec lequel il a grandi et qu’il écoutait souvent en peignant ; Phaedrus un personnage du Traité du zen et de l’art de l’entretien des motocyclettes de Robert M. Pirsig. Quant à ses tableaux ”tennis”, ils renvoient à un autre livre, The Inner Game of Tennis de Timothy Gallwey ; un ouvrage qui traite de l’importance d’être dans l’instant présent et l’a incité à considérer le sport comme une métaphore de l’art et de la vie. Par voie de conséquence, le processus de création artistique est devenu pour l’artiste une forme d’exercice cathartique qui sollicite le corps physiquement dans l’acte de peindre et défie l’esprit, au moment où il se lance à la recherche de souvenirs et de mots associés.

Le processus créatif de John Phillip Abbott commence toujours par un souvenir cristallisé en mots. Une fois le contenu lexical (puisé dans son histoire personnelle) déterminé et stabilisé, vient l’acte de peindre, qui consiste à épeler des mots ou des phrases courtes avec un vocabulaire calligraphique composé de formes géométriques (rayures, rectangles, diamants, pyramides, etc.). Ces formes, s’entremêlant à la configuration habituelle des mots, sont soigneusement choisies et deviennent des solutions formelles aux problèmes picturaux rencontrés par l’artiste. L’acte de transformation – celui qui déguise les mots et métamorphose les lettres en grilles – est donc purement formel et s’affranchit de la charge sémantique initiale. Pour cette raison il se sent proche du mouvement Support / Surface, la recherche formelle étant primordiale. Il ne considère pas les mots comme des concepts, mais adopte une approche sensorielle à leur égard – comme la toile ou la peinture, les mots doivent être ressentis, manipulés, vécus.

L’acte de peindre peut donc être considéré comme un détachement progressif de tout sens dont le mot serait doté. Il est aussi possible de voir son processus créatif comme un passage du ”lire” au ”voir”; une fois l’œuvre réalisée, le spectateur est invité à suivre le même chemin, dans le sens inverse, en passant de l’acte de ”voir” à celui de ”lire”. Mais les mots lus dans les œuvres d’Abbott restent énigmatiques puisqu’ils sont autobiographiques et sujets à interprétation. Suffisamment ambiguës, ses peintures ne se renferment donc pas sur elles-mêmes. Elles restent ouvertes à différentes lectures. Ainsi, grâce aux formules visuelles d’Abbott, le spectateur peut se replonger dans son passé ou inventer sa propre histoire.

Basculant entre ”lire” et ”voir”, entre des souvenirs mis en mots et un certain détachement par rapport au sens initial des mots, les tableaux d’Abbott renferment un paradoxe. D’une part, on perçoit une dimension rationnelle dans sa recherche picturale formelle (dictée par la géométrie, la logique ou la nécessité). D’autre part, il y a toujours un vécu sentimental qui détermine le choix des mots et des formes. Tout cela confère aux peintures d’Abbott une dimension similaire à celle de la madeleine de Proust ou d’une machine à remonter le temps, destinée à faire ressurgir le passé.

Les expérimentations calligraphiques et les voyages dans le temps ne sont pas les seules préoccupations de John Phillip Abbott. L’artiste n’a de cesse d’expérimenter différentes techniques. Il combine le pinceau et la peinture à l’aérosol, utilise le pochoir et les rubans de masquage et travaille aussi bien sur des toiles brutes que préparées (il en arrive même à transformer des T-shirts en toile). L’artiste invente et réinvente constamment sa façon de travailler et de penser la peinture. Il reste à l’écoute des matériaux et demeure ouvert aux surprises qu’il pourrait rencontrer, bienveillant envers les déformations et les imperfections. Cela est d’autant plus vrai de ses nouvelles peintures présentées dans l’espace à l’étage. Dans ce corpus d’œuvres, John Phillip Abbott travaille d’abord sur la toile non tendue, en la recouvrant de points ou de rayures, puis il la tend pour ensuite procéder à la construction habituelle de ses mots-images. Ce travail sur la toile non tendue laisse place aux accidents picturaux et autres effets inattendus. Pour cette raison il considère le moment où il tend la toile sur châssis comme un moment de sérendipité. Comme pour nous rappeler que malgré toutes les surprises rencontrées, il y a toujours une place pour l’intuition (certains l’appellent espoir) qui nous laisse penser qu’un nouveau jour viendra, et qu’il sera cool.

John Phillip Abbott (né en 1975) vit et travaille à Albuquerque, New Mexico, les États-Unis. L’œuvre de John Phillip Abbott a fait l’objet d’expositions internationales, récemment à Gleichapel (Paris, France); COUNTY Gallery (Palm Beach, États-Unis), Galerie Bertrand (Genève, Suisse), Pierogi (New York, États-Unis) et Devening Projects (Chicago, États-Unis). Ses œuvres ont été présentées dans des expositions institutionnelles telles que This One’s Optimistic: Pincusion au New Britain Museum of American Art à New Britain (commissaire Cary Smith).