Galleria Continua est ravie de présenter Need, la première exposition personnelle de Berlinde De Bruyckere dans son espace parisien du Marais, couronnant plus de 25 ans de collaboration. Figure majeure de la scène artistique internationale, l’artiste belge investit la galerie avec un ensemble de sculptures d’une grande intensité plastique, accompagnées d’œuvres plus intimistes explorant certains des thèmes principaux qu’elle a développés ces dernières années.
Le titre de l’exposition, Need - que l’on peut traduire par besoin en français - reflète l’impératif qui traverse la pratique de De Bruyckere: la nécessité de donner forme à ce que le langage peine à exprimer, abordant les extrêmes de l’expérience humaine à travers la transformation et la sublimation - qu’il s’agisse de douleur ou de désir, de répulsion ou d’attraction, de déclin ou de régénération. “C’est l’horreur et la beauté récurrentes que nous, en tant qu’êtres humains, ne comprenons pas entièrement, mais dont nous faisons néanmoins partie”, explique De Bruyckere.
L’univers captivant de De Bruyckere se compose d’œuvres imprégnées de poésie et de références à l’histoire de l’art, notamment l’iconographie religieuse, la mythologie classique et les chefsd’œuvre des maîtres anciens de la Renaissance européenne et de la peinture flamande du XVe siècle. Ces influences lui permettent d’explorer le monde contemporain avec une précision saisissante, mêlant des thèmes universels qui dépassent les notions de temps et d’espace, et des atmosphères tout à la fois sombres et apaisantes, empreintes d’un réalisme troublant qui déconcerte autant qu’il fascine.
Depuis plus de trente ans, l’artiste a développé un vocabulaire et une technique unique combinant cire, peaux animales, textiles usagés, métal et bois. Au centre de son travail demeure toujours la vie, que ce soit dans son état de vitalité ou de déclin, dans sa métamorphose éternelle. Ses couvertures cousues ou perforées, marquées par l’usage et le temps au point d’en rendre visible le passage, ses corps suspendus et ses moulages en cire sous cloches en verre témoignent d’une condition perpétuellement suspendue dans une tension, au seuil entre la vie et son absence, l’animé et l’inanimé.
Au rez-de-chaussée, la sculpture monumentale en cire Palindroom (2019) évoque ce que, dans le milieu vétérinaire, on appelle une «jument fantôme»: un substitut de l’animal utilisé pour l’insémination artificielle, destiné à stimuler le désir du mâle. Bien qu’elle soit censée représenter le sexe féminin, elle suggère paradoxalement une forme phallique. C’est précisément cette ambiguïté qui constitue le cœur de la réflexion de l’artiste. Corps inanimé et pourtant vecteur de pulsions sexuelles, Berlinde De Bruyckere met en scène un objet dépourvu de vie mais destiné à la générer, où le féminin et le masculin se rejoignent dans une lecture à double sens.
En contrepoint de la nature audacieuse et du volume imposant de Palindroom (2019), la série It almost seemed a lily introduit fragilité et délicatesse, accompagnant le visiteur du rezde-chaussée au premier étage avec douceur. Profondément marquée par les Jardins clos, des cabinets de dévotion privée réalisés au XVIe siècle par les Sœurs hospitalières de Malines, Berlinde De Bruyckere s’inspire de ces objets fascinants - ornés de fleurs minutieusement façonnées à différentes étapes de croissance et de déclin, de messages cachés, d’ossements humains et d’autres reliques - pour en proposer ici une réinterprétation en matériaux mixtes. Ceux-ci combinent différents types de papiers calques anciens avec des motifs floraux pour créer de nouvelles compositions. Bien qu’associés à la dévotion religieuse, les autels privés du XVIe siècle exprimaient également une forme d’intimité spirituelle et de désir sublimé. Cette dimension érotique est particulièrement perceptible dans les collages de 2023, où des dessins au crayon d’organes génitaux masculins se transforment en pistils et étamines de lys fanés.
Le concept de fragilité, fil conducteur de l’œuvre de Berlinde De Bruyckere, atteint l’une de ses expressions les plus marquantes dans ses Glassdome : des sculptures intimes en cire enfermées sous d’anciennes cloches en verre, brouillant les frontières entre protection et dévoilement. L’exposition présente plusieurs versions de ces pièces, accueillant ses célèbres archanges ainsi que d’autres représentations du corps. Dans Madonna del parto (2025), présentée au public pour la première fois, se révèle une tension subtile entre masculin et féminin, entre impudence et chasteté. L’œuvre fait référence à la fresque éponyme de Piero della Francesca (vers 1460, Museo della Madonna del Parto, Monterchi, Italie), représentant deux anges ouvrant un rideau pour révéler la Vierge enceinte, qui, à son tour, pointe l’ouverture de sa robe. Vêtue d’un manteau violet en soie, la sculpture évoque le sexe féminin tout en renvoyant aux tuniques portées par les prêtres lors des rituels de Pâques et des funérailles. Cette composition, à l’iconographie richement stratifiée, incarne simultanément la source de la vie et la présence de la mort.
Intéressée par l’union des opposés coexistant dans le monde, De Bruyckere propose dans ses nouvelles œuvres de la série Plunder une représentation frappante d’une des vérités les plus sombres de l’humanité : la violence que nous sommes capables d’infliger aux autres et la capacité de préservation de soi que nous exerçons simultanément. Le titre (pillage, en français), généralement connoté négativement, soulève des questions sur la propriété, les droits fondamentaux de l’homme et les codes moraux fluctuants, nous invitant à nous abstenir de jugements unilatéraux et à explorer les subtilités de la condition humaine. La série Plunder est inspirée de l’expérience de visites de plusieurs musées en Iran en 1996. Après les pillages survenus pendant la Révolution, les musées étaient laissés à moitié vides, conservant souvent les empreintes des objets volés ainsi que les rubans qui les maintenaient.
Le parcours de l’exposition trouve son aboutissement dans les deux vitrines intitulées Need, continuation d’une série initialement conçue pour la Basilica di San Giorgio Maggiore lors de la 60e Biennale de Venise en 2024. Inspirée par les sculptures en bois du chœur principal de la basilique - représentant des scènes de la vie de Saint Benoît de Nursie, et en particulier son acte extrême de pénitence, lorsqu’il se jette dans des ronces pour surmonter la tentation charnelle et purifier son âme - Berlinde De Bruyckere a présenté des reliques sculpturales dans quatre vitrines, combinant branches personnifiées, peaux écorchées et corps blessés moulés en cire. Les œuvres Need exposées ici intègrent un élément supplémentaire de la présentation de 2024 dans la basilique : le miroir. L’écorce d’arbre déchirée, couleur chair, soutenue par une structure en fer dans Need VII (2025), tout comme les branches fragiles en cire, semblables à de la chair et littéralement maintenues par un fil en s’appuyant les unes sur les autres dans Need VI (2025), sont éclairées par un fond de miroirs anciens. Ces derniers permettent au visiteur de percevoir l’ensemble de l’œuvre d’un seul regard et d’en devenir, ainsi, partie intégrante. Les vitrines de la série Need incarnent simultanément la vie et la mort immortalisées dans leur forme la plus vive, brouillant toutes les frontières entre permanence et fugacité.
L’exposition déploie toute la puissance de l’art de Berlinde De Bruyckere, confrontant le spectateur à la complexité et à la nature transitoire de la condition humaine, défiant tout critère de jugement, tout en l’invitant à contempler, ressentir et réfléchir sur les tensions profondes qui traversent l’existence et l’expérience que l’on fait de l’art.
















