Le 25 août 2025, la Cour constitutionnelle du Mali a rendu une décision attendue concernant l’organisation de l’exécutif malien. En déclarant conforme à la Constitution la loi organique adoptée par le Conseil national de Transition (CNT) le 5 décembre 2024 et fixant le nombre maximal de membres du gouvernement à trente, elle a donné un cadre juridique nouveau à la structuration de l’exécutif. Cette décision, publiée officiellement au Journal officiel le 27 août 2025, marque une étape importante dans le processus de transition politique engagé dans le pays depuis plusieurs années.
L’adoption de cette loi avait fait l’objet d’un large consensus au CNT, qui l’avait votée à l’unanimité, avec 129 voix pour, aucune contre et aucune abstention. Ce consensus traduisait une volonté partagée de rationaliser l’appareil gouvernemental dans un contexte de transition et de réformes institutionnelles. Conformément à la Constitution du 22 juillet 2023, toute loi organique doit être soumise à la Cour constitutionnelle avant d’être promulguée. Le Président de la Transition, Assimi Goïta, avait donc saisi la juridiction suprême pour qu’elle exerce son contrôle obligatoire de constitutionnalité.
La Cour a considéré que la saisine était régulière, que la procédure législative avait respecté les délais et formes prescrits par la Constitution et la Charte de la transition, et que le contenu du texte ne contrevenait à aucune disposition constitutionnelle. Elle a jugé que le recours à une loi organique pour fixer le nombre de membres du gouvernement relevait bien de l’article 75 de la Constitution, et que la limitation à trente n’était en rien contraire aux principes fondamentaux de l’organisation institutionnelle du Mali. Dès lors, elle a validé l’ensemble du texte, ordonné sa notification au Président de la Transition et exigé sa publication officielle. La promulgation par Assimi Goïta constitue désormais la prochaine étape de ce processus.
Cette décision, en apparence technique, revêt en réalité une portée symbolique et politique notable. Elle reflète d’abord la consolidation du rôle de la Cour constitutionnelle dans la vie institutionnelle malienne. En procédant à un contrôle rigoureux et en respectant les exigences de transparence, la juridiction rappelle que la transition en cours reste encadrée par le droit, même dans un contexte politique instable. Cette validation illustre également une volonté de rationaliser la gestion de l’État. La réduction du nombre de ministres, fixée à un maximum de trente, peut être perçue comme une réponse aux critiques souvent formulées à l’égard des gouvernements jugés pléthoriques et coûteux, peu compatibles avec les impératifs budgétaires et l’efficacité de l’action publique.
L’histoire politique du Mali montre que la taille des gouvernements a souvent évolué en fonction des contextes politiques. Sous la présidence de Moussa Traoré, les équipes ministérielles restaient relativement limitées, reflétant un système centralisé. Après la chute du régime en 1991 et l’ouverture démocratique, les gouvernements se sont progressivement élargis, en particulier sous Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré, pour intégrer diverses sensibilités politiques, régionales et sociales. Dans les années 2000 et 2010, il n’était pas rare de voir des gouvernements dépasser les trente-cinq membres, traduisant une logique d’équilibre politique mais aussi une fragmentation du pouvoir exécutif. Sous Ibrahim Boubacar Keïta, certains remaniements avaient donné lieu à des gouvernements de près de quarante ministres, une situation qui avait alimenté les critiques de la société civile et de l’opposition, accusant l’exécutif d’alourdir inutilement l’administration et d’accroître la dépense publique.
Les périodes de transition, qu’il s’agisse de celle de 1991-1992 ou de celle de 2012-2013 après la chute d’Amadou Toumani Touré, avaient souvent été marquées par des tentatives de rationalisation. La transition actuelle, ouverte après le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, s’inscrit dans la même logique mais avec une volonté plus marquée d’inscrire cette rationalisation dans le droit. La révision constitutionnelle de 2023 et la loi organique validée en 2025 visent ainsi à poser des limites claires et contraignantes pour l’avenir.
Cette limitation à trente ministres rapproche le Mali de plusieurs autres pays africains qui ont adopté des règles similaires. Au Sénégal, par exemple, le gouvernement compte généralement entre vingt-cinq et trente ministres, avec une volonté affichée de contenir la dépense publique. Au Burkina Faso, après la transition de 2015, les équipes ministérielles avaient été réduites à une trentaine de membres pour afficher une gouvernance plus sobre, même si cette tendance s’est estompée avec le retour au régime civil.
En Côte d’Ivoire, les gouvernements oscillent entre trente et quarante membres, mais la taille reste un sujet de débat récurrent, surtout en période électorale. Au Niger, la tradition est plutôt celle de gouvernements resserrés, souvent autour de vingt-cinq ministres. En Guinée, les transitions successives ont souvent donné lieu à des gouvernements de taille intermédiaire, mais là encore les critiques sur la dépense publique et la représentativité n’ont jamais cessé. Ces comparaisons montrent que la taille des gouvernements est un enjeu récurrent en Afrique de l’Ouest, révélateur des tensions entre rationalisation et nécessité politique de coalition.
Pour le Mali, la limite à trente traduit à la fois une volonté de sobriété et une recherche de stabilité. Sobriété, parce que la gestion de l’État doit s’adapter à des ressources limitées dans un contexte économique difficile, marqué par l’insécurité, les sanctions internationales et la faiblesse des recettes budgétaires. Stabilité, parce qu’il reste nécessaire de donner une place à des acteurs multiples – militaires, politiques, technocratiques – dans le cadre d’un gouvernement de transition. La barre fixée à trente n’est ni trop basse, ce qui aurait rendu la constitution d’un gouvernement politiquement équilibré difficile, ni trop élevée, ce qui aurait renvoyé l’image d’un exécutif lourd et dispendieux.
La décision de la Cour constitutionnelle prend donc une valeur de référence juridique et politique. Elle rappelle que la composition du gouvernement n’est pas un domaine laissé à la seule discrétion du chef de l’État, mais qu’elle s’inscrit dans un cadre légal précis, imposant des limites et assurant une certaine transparence. Elle illustre aussi l’importance de l’État de droit dans la période de transition. Alors que les autorités de transition ont parfois été critiquées pour leur centralisation du pouvoir et leur faible ouverture politique, le respect scrupuleux de la procédure constitutionnelle dans ce cas montre que les institutions continuent de jouer leur rôle d’arbitre.
Au-delà des aspects techniques, cette réforme suscite aussi des attentes de la part de la population. Nombre de Maliens espèrent que la limitation du nombre de ministres se traduira par une action gouvernementale plus cohérente, plus efficace et moins coûteuse. Dans un pays où la défiance vis-à-vis des élites politiques est forte, cette mesure peut être perçue comme un signe de bonne volonté. Toutefois, son efficacité réelle dépendra de la manière dont le gouvernement sera formé et des personnalités qui seront choisies pour occuper les portefeuilles. Un gouvernement restreint ne garantit pas en soi une meilleure gouvernance ; tout dépend de la qualité des hommes et des femmes qui le composent, ainsi que de la cohérence des politiques publiques mises en œuvre.
Dans une perspective comparative, il est intéressant de rappeler que de nombreux pays africains ayant fixé des limites au nombre de ministres ont parfois contourné ces règles en multipliant les postes de ministres délégués, de secrétaires d’État ou de conseillers spéciaux. Le Mali devra donc veiller à ce que la limite des trente membres soit effectivement respectée dans l’esprit comme dans la lettre, sans recours excessif à des artifices institutionnels qui videraient la réforme de son sens. La vigilance de la société civile, des médias et des institutions de contrôle sera déterminante à cet égard.
La prochaine étape, la promulgation officielle par le Président de la Transition, sera un acte symbolique fort. Elle entérinera la volonté politique de rationalisation et donnera un cadre clair aux futurs gouvernements. Les regards se tourneront ensuite vers la composition effective de la prochaine équipe ministérielle, qui constituera le véritable test de cette réforme. Si le gouvernement respecte le plafond des trente membres et parvient à allier efficacité, représentativité et rigueur, la loi validée par la Cour constitutionnelle pourra être perçue comme une avancée significative dans la gouvernance du pays.
L’arrêt du 25 août 2025 restera donc comme une date marquante dans l’histoire institutionnelle récente du Mali. En confirmant la validité d’une loi organique qui limite la taille du gouvernement, la Cour constitutionnelle a contribué à instaurer un cadre juridique clair, à renforcer l’autorité du droit et à répondre, au moins symboliquement, à une demande sociale de réforme. La suite dépendra de la capacité des autorités de transition à traduire cette volonté en actes concrets et durables, au service d’une gouvernance plus sobre et plus efficace.















