Longtemps guidé par le flair des entraîneurs et les coups de génie des recruteurs, le sport s’écrit désormais aussi en langage informatique. Des A’s d’Oakland aux clubs de Premier League [championnat d'Angleterre de football], les ordinateurs s’invitent dans les vestiaires.
Moneyball, la révolution venue du baseball
Tout commence au début des années 2000 avec une petite équipe de baseball : les Oakland Athletics. Sans gros moyens financiers, ils décident de miser sur les chiffres plutôt que sur les stars. Le manager Billy Beane s’appuie sur les ordinateurs pour analyser des milliers de statistiques et dénicher des joueurs sous-estimés. Résultat : les A’s rivalisent avec les géants du championnat. Leur histoire sera immortalisée par le livre puis le film Moneyball, avec Brad Pitt, devenu une référence pour comprendre la puissance de la data dans le sport.
Brighton, le Moneyball du football
Dans le football européen, l’exemple le plus frappant est celui de Brighton & Hove Albion, en Premier League. Avec un budget limité et peu de notoriété, le club du sud de l’Angleterre a choisi une voie radicalement différente des mastodontes : faire confiance aux algorithmes. Tout part de son propriétaire, Tony Bloom, ancien parieur professionnel surnommé The Lizard [le lézard]. Multi-millionnaire grâce à ses modèles de calcul dans le monde des paris sportifs, il a transposé ses méthodes au football. Brighton dispose aujourd’hui d’une cellule de data unique en Europe : des statisticiens, des codeurs et des analystes qui traquent les joueurs méconnus dans les championnats exotiques.
C’est ainsi que Brighton a découvert et recruté des talents comme Alexis Mac Allister, argentin acheté pour 8 millions et revendu champion du monde, puis cédé à Liverpool pour près de 40 millions. Moises Caicedo, pépite équatorienne recrutée pour 5 millions et vendue à Chelsea pour plus de 115 millions. Yves Bissouma, trouvé à Lille pour une somme modique avant d’être transféré à Tottenham. La logique est implacable : acheter bas, développer le joueur dans un système adapté, vendre haut, et recommencer. Le tout, sans jamais déroger aux modèles prédictifs. Résultat : Brighton est devenu l’un des clubs les plus rentables et les plus intelligents d’Europe, qualifié pour les compétitions européennes malgré des moyens dérisoires face à ses concurrents.
Les géants ne sont pas en reste. Liverpool, avec l’appui d’experts en statistiques comme Ian Graham, a révolutionné son recrutement et sa préparation tactique. Le club a exploité la data pour construire l’équipe qui a remporté la Ligue des champions 2019 et la Premier League 2020.
La NBA et Haralabos Voulgaris, le parieur devenu gourou
En NBA, les Golden State Warriors ont poussé l’analyse vidéo et statistique à l’extrême : leur stratégie de tirer massivement à trois points n’était pas seulement une intuition, mais une décision validée par les modèles de probabilité. Résultat : une dynastie construite autour de Stephen Curry.
Dans le basket, un nom incarne cette bascule vers la donnée : Haralabos Bob Voulgaris. Fils d’un immigré grec au Canada, il se passionne très tôt pour la NBA… mais pas seulement pour le jeu : pour les chiffres derrière le jeu. Dans les années 1990 et 2000, il mise des millions sur les matchs en repérant des schémas que les bookmakers ignoraient. Son coup de génie : comprendre que certains entraîneurs avaient des habitudes quasi prévisibles dans leurs rotations ou leurs choix tactiques. Grâce à ses modèles, il pouvait anticiper des tendances et parier avant même que les cotes ne bougent.
Résultat : il bâtit une fortune colossale et devient une légende du monde des paris sportifs, surnommé le roi des parieurs NBA. Mais Voulgaris ne s’arrête pas là. En 2018, les Dallas Mavericks de Mark Cuban le recrutent comme director of quantitative research and development [directeur de la recherche et du développement quantitatifs]. Sa mission : appliquer ses modèles statistiques à une franchise NBA. Une trajectoire digne d’un roman : du parieur autodidacte traquant les failles des bookmakers à l’analyste officiel d’une équipe professionnelle. Preuve que, dans le sport moderne, la frontière entre chiffres et parquet est plus fine que jamais.
Moneyball : quand la fiction rejoint la réalité
De Brad Pitt à Haralabos Voulgaris, l’histoire du sport moderne ressemble à un scénario de cinéma. Moneyball a popularisé l’idée que les chiffres pouvaient battre l’argent. Deux décennies plus tard, cette fiction est devenue réalité dans les stades du monde entier. Au-delà du recrutement et des paris, l’analyse de données sert aussi à préparer les matchs. Les ordinateurs passent au crible les habitudes des adversaires : zones faibles en défense, schémas répétitifs sur coups de pied arrêtés, comportements sous pression… De quoi donner à l’entraîneur un plan de bataille ultra-précis, presque chirurgical.
Une question demeure : jusqu’où ira cette logique ? L’IA, les algorithmes et les bases de données géantes peuvent-ils prédire tout ce qui se joue sur un terrain ? Probablement pas. Car il restera toujours l’imprévisible : la folie d’un dribble, la magie d’un but venu de nulle part, l’énergie d’un public qui transcende son équipe. Le sport de demain s’écrira donc sans doute à deux voix : celle des ordinateurs et celle du cœur. Et c’est peut-être ce mélange qui le rend plus passionnant que jamais.














