C'est peut-être le plus grand gâchis du XXIe siècle, celui qui devait régner sur la planète foot et être le successeur naturel du (vrai) Ronaldo, avant l'hégémonie de Lionel Messi et Cristiano. Entre pauvreté infantile, blessures et erreurs de jeunesse, sa carrière est aujourd’hui au point mort.

Le talent n'a pas d'âge, mais il est indispensable de le polir si l’on veut devenir une légende. Alexandre Pato a malheureusement fait le cheminement inverse. Fuyant le Brésil pour arriver en Europe à dix-sept ans, il est rapidement intégré au sein du grand Milan du milieu des années 2000 avec ses idoles dont R9 et Sheva1, sacré Ballon d’Or de l'édition 2004.

Né un 2 septembre 1989 dans l'état du Paraná à l’Ouest de São Paulo, le petit canard blanc2 est devenu bien boiteux avec le temps, jusqu'à connaître une cavalcade de blessures et de mauvais choix dont il ne s'est jamais remis. Toujours en activité mais sans club et récent père de famille, il a indiqué lors d’un entretien avec la Gazzetta le mois dernier, de passage à Singapour, que le football n'est plus vraiment sa priorité.

Un talent inné mais inexploité

36 ans est un bel âge pour partir. En tout cas dans le football de haut niveau. L’histoire aurait pu s'écrire autrement, mais pour certains cas, on ne peut jamais réellement prédire la trajectoire. La sienne est aux antipodes de toutes les espérances. On se souvient encore de ses débuts avec le club Rossonero à sa majorité, le contrôle soyeux, dribbles chaloupés, capacité à éliminer, percer les défenses avec une rare facilité et faire dégoupiller le commentateur de la Rai après un but plein d’audace inscrit face à la Roma de Philippe Mexès dans un San Siro aux anges.

La progression aurait dû être linéaire, fulgurante avec l’or comme bouquet final. Le Brésilien n’est ni plus ni moins que l’un des derniers vestiges du Joga Bonito [beau jeu], avec étincelles mais au palmarès léger, ce qui est bien regrettable. De Porto Alegre à São Paulo, son parcours ressemble plus à celui d’un globe-trotter chevronné qu’au footballeur en quête de trophées.

Pour comprendre cette déchéance, il faut comme souvent remonter à l’enfance, le contexte étant, au pays, similaire à chaque pupille quittant le nid. Rosali, mère au foyer en raison de problèmes de santé, c'est son paternel Geraldo, œuvrant dans le BTP local, qui a assuré le train de vie de la famille, chargé de subvenir aux besoins de la fratrie.

Le patriarche qui, avant une détection à l’international à onze ans et un périple de neuf heures de route depuis Pato Branco, n’ayant pas les moyens de lui payer une chambre d'hôtel, l’a fait dormir… dans un établissement pour adultes consentants. La première anecdote lunaire d’un chemin sinueux.

Débuts un peu trop canons

Dès ses quatre ans, il est inscrit au futsal (pratiqué à l'époque sur un terrain de hand) et à sept ans, s’amuse avec des oranges et des citrons dans une épicerie de son quartier. Les choses deviennent vite sérieuses lorsqu’il débute à Porto Alegre à la pré-adolescence et est recruté par O Clube do Povo [le club du peuple]. Les dirigeants, soucieux de le conserver, le couvent le plus longtemps possible jusqu'à ne pas l'intégrer en équipe première avant la signature de son premier contrat professionnel, ce qui sera officiel le 2 décembre 2006, la veille du dernier match du Brasileiro [le brésilien].

110 secondes

Ce pourrait être le titre d’un blockbuster dont Hollywood a le secret, mais ce chiffre symbolise autre chose : il s'agit du temps qu’il lui a fallu pour ouvrir son compteur, quelques jours seulement après s'être engagé sous ses nouvelles couleurs. Palmeiras s’en souvient encore puisque c'est dans son antre que le phénomène a imposé sa patte. L'écran géant du stade de Palestra Italia ce soir-là scintillera quatre fois en quarante-cinq minutes, avec notamment deux passes décisives du prodige, provoquant l’ire de Rodrigo Jamanta, supporter des locaux, arguant d’un soupir : “même un canard peut marquer contre nous ! Mais qui est ce gosse ?”.

Passé ce tour de force, c'est à l’autre bout du globe qu’il dispute le deuxième match de sa vie de footballeur professionnel. Là aussi, il marque les esprits et son deuxième pion, battant les égyptiens d'Al-Ahly (2-1) au Stade National de Tokyo. La suite se passera à Yokohama avec un succès surprise sur le Barça de Deco (1-0), élu par ailleurs meilleur joueur de la compétition. Émerveillé car jusque-là habitué à les jouer sur Playstation, il quitte la cité nippone avec une ligne de plus au palmarès.

Nouveau coup d'éclat en Libertadores [libérateurs]

Trois mois passent et le jeune talent frappe encore, cette fois à domicile dans un Beira-Rio bouillant face à Emelec. Avec un centre déposé sur la tête d’Indio peu avant l’heure de jeu suivi d’un joli enchaînement pour le 3-0 et sorti sur une standing ovation [acclamation] à vingt minutes du terme. Le timing est important car la veille du match, l'entraîneur de l'équipe équatorienne, Carlos Torres Garces, avait déclaré ne pas connaître le crack dont tout le pays parlait, ajoutant : « Mais pour qu'il fasse autant parler de lui, j'ose croire qu'il possède plus de deux jambes ! ». Il a donc ce jour-là fait la connaissance de l'élégant numéro onze d’alors.

Même s’il s’en est défendu après coup, préférant l'humilité à l'enflammade, son entraîneur n'était pas du même avis, osant même le hisser une classe au-dessus de Cristiano Ronaldo.

Lampo Rossonero

Plusieurs top clubs européens sont donc logiquement aux aguets et c'est le Milan de Silvio Berlusconi qui prend l’initiative. Le petit ne va pas faire long feu dans le berceau du football, tout le monde l’a compris. Une dizaine d'heures de négociations en plein été 2007, quelques semaines seulement après le Mondial des moins de 20 ans où il s’est illustré, battant un record de Pelé (plus jeune joueur à marquer un but en compétition officielle), son agent s'accorde avec le club lombard et le grand saut peut alors se faire. Le fantasque patron transalpin prend vingt-deux millions dans l'opération, deuxième plus gros transfert à l'époque pour un joueur brésilien après Robinho. Le jeune auriverde traverse l’Atlantique, les débuts sont remarqués et remarquables avec le rêve éveillé de jouer en Serie A.

L’Europe du football découvre alors un talent brut, qui sorti de son cocon, se montre insouciant, au volume de jeu prometteur en balayant le front de l’attaque et déjà buteur malgré des statistiques modestes.

Un enfant dans un jeu vidéo

En 2022 pour le média The Players Tribune, alors sous contrat à Orlando City, il expliquait avec une rare franchise son parcours. Passé tout près de l'amputation à la jambe suite à un accident anodin, il s'en est fallu de très peu pour que sa carrière ne décolle jamais. La religion tenant une place forte chez lui, Il est piégé dans un corps chroniquement fragile suite à des pépins physiques survenus dès 2010. Consultant divers experts aux quatre coins du monde pour des résultats loin de ceux escomptés, il a tout de même pu, grâce à Bruno Mazziotti, ancien physio d’O Fenomeno, faire un bon passage à Villarreal en 2016 et laissé un souvenir agréable aux supporters, avant de tenter l’aventure en Chine (et s’y perdre) pour revenir au pays non sans quelques soucis : ratant sa panenka en quarts de finale de la Coupe du Brésil contre le Grêmio, la colère des supporters fut telle qu’il dût circuler dans São Paulo en voiture blindée équipée de gaz lacrymogènes, avant que ces mêmes personnes ne viennent aux entraînements armés de battes et de couteaux. Ambiance…

Ventiquattro secondi [Vingt-quatre secondes]

Nous voilà devant le principal fait d’arme du prodige, ce soir de septembre 2011 quand il prend le ballon au milieu de terrain et transperce la colonne vertébrale du Barça de Pep Guardiola pour aller tranquillement battre Victor Valdés. 24 secondes, le sixième but le plus rapide de l’histoire de la Ligue des Champions. Un golazo [but incroyable] en solitaire dont on ne peut pas s'empêcher de penser qu'il résume à lui seul sa carrière : un éclair sans lendemain qui fait désormais partie de son histoire. Au pays, pas un jour ne passe sans qu’un fan, ami ou ex-coéquipier ne lui en parle. Quelque part, il peut se consoler d'avoir laissé un sacré souvenir, celui-ci étant du genre impérissable, garnissant toujours, quatorze ans après, les plateformes d'hébergement de vidéos d’internet.

Le jour où Berlusconi a snobé le PSG

Ce qu’on sait moins, c’est que la Ligue 1 a bien failli le voir sur ses pelouses. En 2012, encore au Milan mais pas dans les plans de Max Allegri, le PSG nouvellement sous pavillon qatari le contacte. L’offre n'est pas refusable, le canard veut tenter le coup et retrouver Carletto dans la capitale, mais il Cavaliere [le Chevalier] l’intime de rester, son bras droit Adriano Galliani étant au même moment en Angleterre pour recruter Carlos Tevez. Blessé, il reste donc en Lombardie, générant la colère des tifosi [les supporters] persuadés de remporter à nouveau le Scudetto3 avec le “petit taureau”4.

Encore aujourd’hui, il en veut aux médias d’avoir monté l’histoire et attisé la gronde à Milanello. Deux ans après avoir raté le Mondial sud-africain, le mental dans les chaussettes et incapable d’enchainer deux matchs, l'état major de Doha choisit finalement son coéquipier Zlatan Ibrahimovic pour lancer son premier projet : « rêvons plus grand ». La suite donnera raison à Nasser Al Khelaifi, qui en fera sa tête de gondole pour professionnaliser le vestiaire et ainsi préférer le leadership pour incarner au mieux la viabilité du concept.

Pas de retour à son premier amour

Même s’il en a peut-être encore sous la semelle, Andrea Ramazzotti lui a tout de même posé la question : il ne reviendra pas dans les bras de celui qui lui a donné sa chance sur le Vieux-Continent, malgré le souhait qui était le sien il y a quelques années. Le temps est passé, les souvenirs doivent rester. Même s’il a et aura toujours ce club dans son cœur et qu’Allegri restera une figure marquante, sa famille passe désormais avant tout. Le football a changé, Pato a su se faire une raison. Un avenir sur le banc semble aussi compliqué, de même qu’un rôle de manager, même s’il laisse planer la possibilité de reprendre un jour une franchise. Dans tous les cas, ce sera loin des terrains.

Solo Dio sa cosa sarebbe potuto diventare. Noi abbiamo visto solo frammenti.

[Dieu seul sait ce qui aurait pu advenir, nous n’en avons vu que des fragments.]

Notes

1 Sheva : surnom de la légende ukrainienne Andriy Shevchenko.
2 Canard blanc : traduction du mot Pato en portugais, diminutif affublé au joueur en rapport à sa ville natale, Pato Branco.
3 terme italien signifiant « petit bouclier », il désigne le trophée attribué au club de football champion d’Italie, symbolisé par un écusson en forme de drapeau tricolore cousu sur le maillot.
4 Petit taureau : surnom de l’Argentin Carlos Tevez.

Milan's Alexandre Pato scores after just 24 seconds against Barcelona.
Pato: "Il calcio? Mi è passata la voglia. Avrei potuto gestire meglio gli infortuni".
Canard certes, mais pas boiteux.