La Patinoire Royale Bach est heureuse de présenter La fin du monde, la première exposition de l’artiste chilien Alfredo Jaar au sein de la galerie. Artiste majeur de la scène contemporaine, Alfredo Jaar est connu pour ses œuvres architecturales et conceptuelles puissantes qui abordent des questions sociales urgentes, les droits de l'homme et l'éthique de la représentation.

La Fin du Monde explore l’industrie extractive et les chaînes d’approvisionnement mondiales des minéraux stratégiques – ces ressources naturelles indispensables aux outils et technologies qui rythment notre quotidien, des téléphones aux ordinateurs, en passant par les voitures électriques. L’exposition s’articule autour d’une œuvre unique, The end of the world (2023– 2024), composée de dix des minéraux les plus précieux au monde : le cobalt, les terres rares, le cuivre, l’étain, le nickel, le lithium, le manganèse, le coltan, le germanium et le platine.

« La fin du monde est une provocation, mais c’est aussi le reflet du triste état de notre planète et de son écologie », confie Jaar. « Je pense que les gouvernements et les entreprises du monde entier ont fait preuve d’une irresponsabilité criminelle quant à la préservation de la Terre. C’est donc une provocation très directe, qui vise à susciter la réflexion, le dialogue et une prise de conscience sur ce que nous pouvons faire dès maintenant, alors que nous sommes au bord d’un basculement qui transformera radicalement la vie des générations à venir. »

Alors que les guerres pour le contrôle des ressources se multiplient à travers le monde — de la dévastation causée par l’extraction de lithium dans le désert d’Atacama, au Chili natal de l’artiste, jusqu’aux ambitions impérialistes des menaces d’annexion du Groenland par le président américain Trump et aux négociations autour de l’accès aux ressources naturelles de l’Ukraine — La fin du monde met en lumière la capacité d’Alfredo Jaar à rendre sensible l’injustice contemporaine, au cœur même de la capitale européenne.

Pour concevoir cette œuvre, l’artiste a mené cinq années de recherche, en collaboration avec le géologue politique Adam Bobette. « Les minéraux dits “critiques” ne le sont pas par nature, mais par choix politique », écrit Bobette dans l’introduction d’une série de dix essais, chacun consacré à l’un des minéraux présentés dans l’œuvre. En retraçant les circuits complexes et les conséquences humaines de leur extraction et de leur commerce, Bobette appelle également à une nouvelle ontologie, afin de transformer notre rapport à la nature : il propose de dépasser l’idée d’une séparation entre des humains dotés d’une intention et une matière brute considérée comme inerte, pour imaginer une communauté écologique incluant la Terre elle-même. « Imaginer de nouvelles formes d’extraction qui ne soient pas violentes pour les humains et la nature exige un acte profondément créatif : inventer une ontologie inédite de la géologie, qui reconnaisse qu’elle est fondamentalement sociale, qu’elle nous interpelle, que nous lui sommes redevables de notre propre existence. Extraire ne devrait donc pas consister à prélever une matière morte de la Terre, mais à demander la permission de participer à un processus terrestre et à entrer en collaboration avec cette capacité planétaire de transformation, afin de reconfigurer ce que signifie être humain par la rencontre avec les matériaux géologiques. »

Créée à l’origine comme une installation in situ dans le bâtiment Kesselhaus du Kindl Center for Contemporary Art à Berlin, un cube industriel d’environ 20 mètres de côté, l’œuvre est ici réinventée dans la majestueuse nef de la galerie. Ce lieu offre un cadre idéal pour déployer l’ampleur et le jeu d’échelles et de lumière de l’installation. Le vide qui l’environne fait pleinement partie de l’expérience, une manière de conférer à l’objet et à tout ce qu’il incarne, la gravité qui lui revient. « J’essaie de condenser la complexité de cette planète en train de s’effondrer en quelque chose de concret », confie Jaar.

Formé à l’architecture et au cinéma, Jaar manie une précision chirurgicale pour exprimer sa critique sociale à travers la poésie et le pathos, créant une expérience sensible des injustices et des violences qui structurent notre quotidien. Ses œuvres sont toujours ancrées dans des événements bien réels. S’il revient inlassablement à des thèmes traumatiques, c’est avec un optimisme gramscien, convaincu que l’art peut susciter une prise de conscience et amorcer le changement. « J’ai toujours pensé que les artistes ne représentent pas la réalité ; ils inventent de nouvelles réalités », affirme-t-il.