Ma chance est de ne savoir ni peindre ni dessiner. Je suis donc obligée de tout inventer.
Catherine de Saint Phalle est née le 29 octobre 1930 à Neuilly-sur-Seine. Elle passe son enfance entre New York et le château familial de Huez, en Isère. Un havre de paix qu’elle affectionne, loin du brouhaha et de la cohue de la grande pomme. Il sera une source d’inspiration. Si Catherine, que sa mère surnomme Niki, s’épanouit dans une famille aisée, elle va rapidement tenir tête à ses parents. À peine dix-huit ans et la voilà qui épouse le poète Harry Mathews, un ami d'enfance qui fait son service militaire. C'est d'abord un mariage civil. Puis, sous la pression insistante des parents Saint Phalle, les jeunes gens se marient religieusement. De leur union naîtront deux enfants. Encouragée par le peintre Hugh Weiss, Niki travaille d'abord comme mannequin pour les magazines Vogue, Life et Elle. Elle pose également pour des campagnes publicitaires. Elle est photographiée par Robert Doisneau en août 1952.
En 1953, victime d'une grave dépression nerveuse (et l’on comprendra plus tard pourquoi), elle est soignée en hôpital psychiatrique. Les électrochocs altèrent sa mémoire :
J'ai commencé à peindre chez les fous… J'y ai découvert l'univers sombre de la folie et sa guérison, j'y ai appris à traduire en peinture mes sentiments, les peurs, la violence, l'espoir et la joie.
Niki de Saint Phalle ne suit aucun enseignement académique, mais elle se nourrit de multiples échanges artistiques avec ses aînés contemporains. Elle est proche de Jean Dubuffet, le théoricien de l’art brut, cette forme d’art qu’elle affectionne particulièrement. En 1961, la belle autodidacte rejoint ainsi le groupe des Nouveaux Réalistes (Deschamps, César, Klein...), dont elle est la seule femme. L’artiste franco-américaine est gourmande et touche à tout : peintre, graveuse, plasticienne, sculptrice et réalisatrice de films, elle aime s’inspirer de tout ce qui l’entoure.
Au début de sa carrière, Niki de Saint Phalle se joue des assemblages qu’elle détricote et de sa peinture qu’elle achève à travers des séances publiques où elle performe. Dans les années 1960, les performances où elle tire avec de vraies balles sur ses propres réalisations, leur donnent une nouvelle trajectoire de vie. Ses Tirs l'ont rendue célèbre. Internationalement reconnue, Niki dévoile son combat contre toutes les formes d’oppression : le patriarcat, avec une intensité à la mesure de ce qu’elle a subi, l’Église et son hypocrisie perverse, et les guerres désastreuses. Artiste particulièrement engagée , elle soutient la cause des femmes, des Noirs américains et, plus tard, des malades du sida.
En 1971, elle se marie en secondes noces avec l'artiste suisse Jean Tinguely. Avec lui, elle réalise un grand nombre de sculptures monumentales, sur commande (à Jérusalem, la municipalité lui commande un monstre pour enfants, Le Golem, inauguré en 1972 dans le parc Rabinovitch, qui porte désormais le nom familier de The Monster Park) ou par pur plaisir, avec ses deniers personnels. Lors de son voyage à Barcelone, elle est hypnotisée, magnétisée, par Gaudi et son parc Güell. En 1979, elle se lance dans la création du Jardin des Tarots, en Toscane. Il compte vingt-deux sculptures qui représentent les arcanes majeurs du jeu du tarot. Elle va vivre plusieurs années dans l’une d’elles, L’Impératrice :
Je me sens comme l’ermite dans le jeu du tarot qui, une lanterne à la main, cherche un trésor et apprend que la recherche elle-même est le trésor.
Pendant très longtemps, elle cache un lourd secret : à ses onze ans, elle est violée par son père. Elle ne parviendra à le révéler qu’après la mort de son second mari, dans son livre Mon secret, qu’elle rédige à l’aube de ses soixante-quatre ans. L’on comprend mieux pourquoi Niki s’est pleinement consacrée à la sculpture de ses monumentales Nanas, symboles de l’émancipation des femmes, enfin libérées du patriarcat. Exubérantes, elles se sont affranchies des diktats du mâle dominant. Ses héroïnes, aux corps pulpeux, ronds et puissants, colorées, souvent recouvertes de miroirs et de mosaïques, évoluent dans un monde peuplé de créatures fantastiques :
J’aime bien les monstres. Au moins avec eux, on ne s’ennuie pas.
Le bestiaire de l’artiste est imprégné de l’univers du conte. Il marie les couleurs flashy de la pop culture à l’imagerie médiévale. Niki s’inspire autant des monstres du cinéma japonais que des créatures mythologiques.
On peut dire que Niki de Saint Phalle a démocratisé l’art. Elle revisite les objets du quotidien, les ballons, les vases, les broches. Et elle colorie les aires de jeu, les jardins, les fontaines, avec ses sculptures qui donnent vie aux espaces publics. Ses serpents, ses araignées et ses oiseaux racontent son histoire personnelle. Aux frontières du réel et de l’imaginaire. Aux résonances universelles.
Ses créations l’exposent continuellement aux poussières de polyester. À la fin des années 1970, Niki souffre d’une insuffisance respiratoire qui devient chronique. Elle meurt le 21 mai 2002 à La Jolla, dans le comté de San Diego, en Californie.
L’exposition au Caumont-Centre d’Art est un parcours initiatique. La visite est peuplée d’êtres menaçants, et puis d’autres protecteurs. Les dragons et les monstres incarnent l’anguleux, le mal ou le mâle. En fait, les blessures et les peurs de l’artiste. Que son art apprivoise. Le corps féminin et ses rondeurs parfaites dans leur imperfection, telle la beauté de la « Mère Nature », nous invite dans l’univers onirique de Niki de Saint Phalle. Et les deux se rejoignent là où l’harmonie règne, parmi toutes les formes de vie.
La grande actualité du message porté par l’artiste, c’est cet idéal d’une nature respectée dans un monde qui n’est plus dominé par les Hommes.
Niki est une pionnière de l’écoféminisme, ou plutôt, de l’éco-humanisme.
Le bestiaire magique, l’exposition de Niki de Saint Phalle, est à voir jusqu’au 5 octobre 2025 au Caumont-Centre d’Art, Aix-en-Provence.