Ego est un mot qui est entré dans le sens commun, il est devenu populaire à partir de la diffusion de la pensée psychanalytique, mais l’usage qui en est fait n'est pas toujours fidèle au concept freudien. On entend souvent, par exemple, des phrases comme « un tel a un gros ego », pour se rapporter à des personnes présomptueuses ou arrogantes. En psychanalyse, l’Ego est un concept développé par Freud dans sa théorie de la personnalité. C'est l'une des trois instances psychiques : le Ça (pulsions et instincts), l’Ego (principe de réalité) et le Surmoi (ensemble de valeurs morales et culturelles).
Nous allons ici penser l'ego non pas tel que le définissent les psychanalystes, ni tel que l’emploie le langage populaire, mais tout simplement à partir de sa signification en latin : ego est égal à je/moi. Pensons à cette référence présente chez chaque être humain et aux questions qui en émergent inévitablement : qu’est-ce qui permet que je me reconnaisse et que je sois identifié ? Qu'est-ce que le moi ?
Dans mon livre « La question de l’être, de soi-même et de moi », je réponds à cette question de la façon suivante :
Nous sommes dans le monde et nous sommes en relation avec lui. La relation est le contexte à partir duquel tout peut être focalisé, configuré, pensé ou perçu. Le moi est un système de référence. Des fichiers, des dictionnaires, des index, des icônes, des catalogues, des cartes et des boussoles existent dans ce système.
La mémoire est le processus psychologique responsable de son maintien. Sur le plan neurologique, les cas d’amnésie sont exemplaires pour montrer la fonction de la mémoire dans le maintien du moi. Sans mémoire, il n’y a pas de moi, il n’y a pas de familiarité. Les archives sont effacées, l'individu ne sait pas qui il est, il perd l’ego - le moi -, les références. Si l’on est dans le monde, il y a toujours de nouveaux systèmes de référence. Le moi surgit, peu importe qu’il soit nouveau ou ancien – c’est le moi.
Ce que je dis, donc, c’est que le moi est un système de référence structuré par la perception de l’autre, du monde et de soi-même. Plus la fragmentation engendrée par l’auto-référencement est importante, plus les systèmes de référence sont restreints : car ceux-ci étant envisagés ponctuellement, la synchronisation n’a pas lieu, la contradiction n’a pas lieu. C’est précisément là, dans cette fragmentation, que de nombreuses contradictions qui pourraient être configurées et comprises, sont rejetées. Par exemple, un père qui abuse de sa propre fille est, par elle, considéré comme bon, et pour cette raison ne peut être dénoncé ou critiqué, car, à ses yeux, il fait tout par amour,
Qui sait, peut-être même à des fins didactiques, pour lui apprendre les méandres de la sexualité.
L’absence de critique et les divisions ne sont pas remises en question. Tout existe pour le bien commun, pour une solution à l’amiable. Des situations comme celle-ci sont plus courantes qu’on ne voudrait l’admettre et entraînent des problématiques psychologiques aux graves conséquences.
Plus l'être humain s'auto-référence, plus il entre en relation avec le monde, avec les autres et avec lui-même par le moyen de son moi, de son système de référence. Plus il filtre, plus il dilue ce qui se présente à lui dans ses références et, par conséquent, nous rencontrons là moins de dynamique, moins de possibilité de transformation, et plus d'ajustement, plus d'adaptation.
Ce processus de déploiement et de fragmentation de l'Ego se constitue par la manière dont les individus sont déshumanisés par des processus de soumission basés sur des références considérées comme salvatrices, telles que : l'argent, l'amour, la protection et la reconnaissance sociale, par exemple. C’est la règle qui les empêche ou qui les aide. Maintenir certaines images, certains masques socialement acceptables, a pour conséquence que les gens ne perçoivent pas les contradictions relationnelles. Cela les fait « embrasser la main qui frappe », ou cacher l’agression et l’oppression pour ne pas entacher ni attirer l’attention sur la bonne réputation de la famille, par exemple, ainsi que pour ne pas perturber la trajectoire du succès.
Cacher le bourreau est une façon de sauver sa propre peau, cependant c'est aussi le processus qui débouche sur le déploiement de l'Ego, c'est la destruction des archives qui sauve tout, mais qui détruit les repères et les trajectoires, plaçant dans les limbes du futur ce qu’il faut affronter pour dépasser les divisions, la dispersion et l’éclatement de l’ego.
Lorsqu’il se positionne, l’individu établit un contexte auto-référencé à partir duquel sont structurées les relations, il se met à lutter pour ce qu’il crée et produit (famille, travail, biens, créativité en général). Il transforme les possibilités en besoins, c’est-à-dire qu’il engendre des engagements : il se met à éviter les remises en question, les contradictions et les changements. Éviter les contradictions, c'est empêcher l'unification, c'est s'exiler de soi-même, de ses possibilités de relations qui ont été transformées en besoins à satisfaire, en images acceptables à fabriquer et à maintenir.
Il se trouve que les possibilités sont infinies pour l’être humain, il suffit qu'il ne stagne pas sur les positionnements du Moi, qu’il accepte la dynamique du processus relationnel. L’essence humaine est la possibilité de relation et cette possibilité est exercée dans la relation avec le monde, avec les autres. Ce processus relationnel est la perception. Par conséquent lorsque nous parlons de vie psychologique, nous parlons de vie perceptive, et les problèmes psychologiques sont donc des difficultés perceptives. Si l’on change la perception, on change le comportement, et ce changement se déroule dans la dynamique des questionnements thérapeutiques.















