Écrire autrement,
quitte à rompre avec des habitudes, des plis, des conventions.
Désormais, avec d’autre viendrait le changement tant désiré
dans un travail toujours intense, enthousiaste, confiant, propre à se renouveler.
Un travail rêvé pour sortir du marasme.
Il s’agirait de plonger au cœur de ses sujets d’étude, de se suivre elle-même cherchant l’air, de s’accomplir dans des espaces et des temps…
Il fallait oser. Par l’écriture elle y parviendrait.
Comment penser le libre arbitre, le valoriser, le porter haut, le désirer pour les autres et pour soi, aider à s’y construire et le reconnaître...
en dehors des rapports de force, répétitifs, tautologiques,
agis par ceux-là mêmes qui les déplorent et les dénoncent ?
Le développement des filles, le développement en tant que fille
(celle que l’adulte continue de faire exister) est donc en question.
Le développement entendu comme récit et accomplissement de soi,
au travers de tâches, d’épreuves, de réalisations concrètes
dans une vision progressiste et solidaire
vis-à-vis des alliés, des indifférences et des hostilités, d’hier, d’aujourd’hui et à venir,
dans une temporalité longue,
modélisant un sens de la trajectoire qui se fait, se défait, se refait sans cesse,
donnant à l’existence un essor et des ressorts formidables,
une indépendance qui n’a pas de prix,
une jouissance dans l’épreuve qui la fait muter et surmonter.
Elle s’était donc associée aux filles qu’elle étudiait, aux filles qu’elle instruisait.
L’étude des œuvres et des créations serait l’indispensable appui de l’exercice d’une vocation : décortiquées, analysées, interprétées (qu’est-ce qui se produit et se transforme ?), dans une diversité de places, de paroles, de protagonistes et de procès qui les traversent.
Passionnément éprise du médium radiophonique et des écoutes nocturnes (qui « est alors espace du dedans, axe de l’intimité, confidence chuchotée dans le noir et au creux de l’oreille » ) elle avait trouvé, à l’occasion d’un reportage faisant entendre un chœur de jeunes femmes, une puissance d’évocation illimitée . Et compris qu’elle tenait là un objet de travail pour des années. Un art brut.
Elle a connu et reconnu la mise en crise du verbe académique, face au constat renversant que rien ne faisait lien sauf la peur d’être soi et un repli qui ne fait pas grandir.
Elle a connu et reconnu une rupture dans la toile du sens, dans ce qui est censé être partagé (on cherche en vain le fair-play…).
C’est ce fond commun-là qui s’est trouvé déchiré, atomisé, anéanti.
Toiles de fond, toiles de ciels, toiles de sens auxquelles elle contribua un temps,
mais vite révélées vides, impropres à dire et surtout à faire, ce qu’en fait elle tenait pour vrai et qui la tenait…
C’est un tout autre entretien des sujets, des milieux, du dedans et du dehors, des forces et des flux qu’elle désirait développer (est-ce possible ?). Promouvoir un travail analytique du monde et de soi, par l’expérience et l’écriture. Se ressaisir, s’approfondir, dialoguer en soi-même avec des auteurs, qui eux aussi cherchent. Et révèlent nos trésors.
Relisant Sarraute elle avait reconnu…
une rupture avec les écritures de surface motivées par les forces externes, partageant et renforçant un désir de distinction sociale « pour soi » .
une vision de l’intérieur, dont aucune psychologie académique ne rendrait vraiment compte.
une parole venue d’un lieu plus intime et plus profond que celui d’où l’on peut dire « je ».
Le gant retourné, la sous conversation, les tropismes : voilà quelques-uns des mystères du langage, ses richesses et ses violences, le sens qui nous fait sentir, penser, agir. Rire aussi.
Plutôt que s’arrêter au consensus qui prend tellement de temps, occupe tellement d’espaces, brûle tellement de forces, elle veut faire advenir celui qui vient, celui qui va, le sens tout neuf - et que pourtant l’on a toujours connu (d’où vient-il, d’ailleurs ?).
S’intéresser à ce qui résonne au creux de soi n’empêche pas l’unanimisme . Bien au contraire. Il n’y a pas de mur, mais des flux qui traversent, des soifs d’établir le contact, un idéal de communication dans le feuilletage environnant des espaces et des temps.
Les voix des filles sont déjà là, nul besoin de chercher bien loin de nouveaux matériaux, d’imaginer de savants dispositifs ; elle veut plutôt se réformer l’oreille et inventer des modalités nouvelles d’accès au sens et par-là aux subjectivités. Autant de voix, de personnages retournés, « n’exhibant, dans leur penser-parler désincarné, que la profondeur par laquelle ils se ressemblent tous ».
Elle s’intéressera au théâtre, aux intériorités auxquelles il donne accès et qu’il provoque, aux choralités invitant le spectateur à plonger, lui aussi « aspiré par l’invisible », entre surface et profondeur. Le féminin se performe et se fond dans l’interlocution par l’écriture, théâtrale, radiophonique, poétique. Confusion, antagonisme d’Antigone, trouble des identités, chacun fait son chemin, perd, trouve.
Si certains ont des épaules et la carrure pour jouer les conflits, ils manquent aussi d’endurance intérieure pour en venir à bout. Et ainsi les confortent. Pour elle, il s’agit d’avancer, de sortir des ornières et des guerres de position,
enlever ces filles des univers sémantiques et interprétatifs dans lesquels elles sont cantonnées (comprendre et montrer qu’elles s’en défont d’elles-mêmes),
agir pour fuir et aider à fuir les féodalités corporatistes et has been où tout semble joué d’avance, expliqué, justifié, borné (faire exploser les faux-plafonds).
Elle cherche à traiter les questions sur le plan développemental , interlocutoire, symbolique – laissant à l’arrière-plan les polémiques. S’attacher et s’attaquer aux questions vives de manière intime car là commence, recommence, la force du langage, de la parole et de l’action.
Aimer ces questions, les travailler, les partager ; cultiver et entretenir un devenir. Elle écrit des textes poétiques et programmatiques d’hypothèses à creuser, pour échapper aux étiquetages (elle parmi les filles, sur scène, à la radio, au cinéma, dans l’écriture) et partir en quête de raisons autres, plus nomades , et d’un surplus d’imaginaire.
Elle avait aussi découvert la philosophe Maria Zambrano …. mais ceci est une autre histoire…
Pour l’heure, elle fait crédit à l’avenir, à une prochaine fois où elle saura peut-être, si le filon est bon, retrouver le chemin et aller plus loin, dépassionnée, après le premier contact vertigineux, trop intense, un peu hallucinant et peut-être illusoire.















