La photographie de Béatrice Helg se distingue nettement de la production artistique dont nous avons l’habitude. L’abstraction – totale – qui la caractérise devient un motif de réflexion sur ce que nous recherchons dans les arts visuels, elle interroge sur les raisons de notre plaisir et sur les réponses que nous aimons découvrir dans les œuvres d’art. Et pourtant, quand nous lisons le poème dédicace de Robert Wilson qui accompagne ou plutôt qui introduit la monographie de l’artiste publiée en novembre 2019, nous nous rendons compte que le travail de Béatrice Helg est abstrait, certes, mais de manière concrète. Les lignes horizontales et verticales, qui renvoient à la notion de temps et d’espace, nous laissent fermement arrimés aux questions fondamentales. Le temps de Béatrice, comme le suggère Wilson entre autres, n’est pas fait d’absence mais de présence dense. Et ainsi la lumière n’est pas élément hétérogène, mais matière, musique, théâtre, ciel et enfer. La lumière est et contient « le tout », d’où la référence – obligée – à Einstein qui parlait de la lumière comme « la mesure de toutes les choses ».

Je regarde les photographies de Béatrice Helg, je feuillète et refeuillète son livre. À un certain point, je me rends compte que ce qu’elles représentent pourrait être, pour moi, une métaphore de l’instant de la création. Wilson a raison : j’y trouve une matière dense, palpable. J’y retrouve la mise en œuvre d’une vision inédite et provocante.

J’y trouve une invitation à imaginer, ce qui serait impossible dans des œuvres d’art marquées par le figuratif. La matière est prête à être modelée par nos pensées, nos désirs, nos souvenirs… À un moment donné, tout apparaît extrêmement concret et, en observant la série que je préfère – Esprit froissé –, je ne peux éviter de me fondre dans ces visions, d’en percevoir la délicatesse et la dimension éphémère, d’y chercher des concours du réel et les possibles consonances avec la mémoire et notre part onirique.

Les photographies de Béatrice Helg deviennent des univers où il est possible de voyager, seul de préférence, pour entendre des échos et des évocations venus de loin qui nous permettent d’entreprendre de nouvelles narrations.

Je remercie Béatrice pour sa disponibilité et je lui cède la parole afin qu’elle nous fasse prendre part à son voyage…

Quels sont vos modèles et vos sources d’inspiration ?

La vie, l'expérience du réel, d'un événement, une rencontre bouleversante, mais également la contemplation d'un tableau, la musique, l'opéra sont des sources d'inspiration extraordinaires ! Ces expériences suscitent en moi des émotions fortes, elles s'inscrivent dans ma mémoire et réapparaîtront peut-être dans mes photographies sous une autre forme.

Si je n'ai pas de mentor ou de modèle, j'ai beaucoup d'affinités avec des mouvements tels que le Constructivisme et le Suprématisme. Certains architectes et metteurs en scène créent des œuvres qui stimulent mon imagination. Pour revenir à Robert Wilson, il crée des mises en scène époustouflantes par la lumière, il y intègre avec talent différents médias. Son œuvre si particulière est une source d'inspiration exceptionnelle.

De quelle manière la musique et le théâtre constituent-ils une part fondatrice de votre travail artistique ?

Chaque image est conçue comme une mise en scène de théâtre pour un champ de vision unique, à savoir l'appareil photographique. Ma passion pour la musique influence certainement la manière avec laquelle j'utilise la lumière et la couleur : les harmonies ou les tensions créées ont, me semble-t-il, quelque chose de très musical.

La musique suscite en moi des émotions fortes, insoupçonnées. La photographie me permet d'exprimer des sentiments, des pensées que je ne saurais évoquer par des mots ou par une image de la réalité, et de transmettre – peut-être – des émotions aux spectateurs.

L’absolu que vous exprimez est-il quelque chose qui caractérise votre quotidien ? De quelle manière ?

Bien entendu, mes recherches et mon expérience de vie sont indissociables ! La photographie est une écriture de lumière – de l’obscur et de la lumière dans l’espace. Elle me permet de questionner le réel, la vie, le monde, mais également d’explorer l’invisible, l’intérieur.

L’importance de l’espace et le fait de le modeler grâce à la lumière artificielle vous ont-ils jamais donné envie d’aborder d’autres modes d’expression artistique (comme la sculpture par exemple) ?

Si mon travail est avant tout une écriture de lumière, matière, espace, il relève également d'un travail de mise en scène, de construction, d'installation. Je crée de la matière, la sculpte… Cette pratique de la photographie pourrait très bien évoluer et devenir sculpture de lumière ou s'intégrer dans une mise en scène.

Pensez-vous que votre œuvre puisse évoluer (peut-être est-ce déjà le cas) ? Et si oui, dans quelle direction?

Mon œuvre est l'expression d'un cheminement de pensée, d'une intériorité. Par conséquent, elle évolue. Elle va de plus en plus vers l'abstrait. Résonance, une nouvelle série reproduite dans cette importante monographie parue chez 5 Continents Editions, illustre bien mon propos. L'image n'exprime pas un sujet précis, identifiable. Elle est l'expression d’une ouverture, du jaillissement d’une émotion, d'une épiphanie…

Avec quels artistes et œuvres d’art aimeriez-vous faire dialoguer votre travail ?

Il serait prétentieux de répondre à cette question ! J'admire l'œuvre de bon nombre d'artistes extraordinaires : Brancusi, James Turrell, Moholy-Nagy, Louis Kahn ou Palladio ; la musique de compositeurs aussi différents que Bach ou Wagner me touche profondément, la liste est infinie !