Quand on pense aux monastères et aux ordres monastiques, on revient à des images plus ou moins stéréotypées d’un Moyen Âge uniforme, où les premiers siècles se confondent avec les plus tardifs et où les édifices prennent une forme au « goût » médiéval, figée dans le temps et dans l’espace, sans qu’elle ait pu évoluer au cours des différentes époques … Même les stéréotypes ont une origine réelle et concrète, les grandes abbayes sont effectivement nées au Moyen Âge, mais elles ont aussi changé pendant les siècles, suite à de nouvelles exigences et surtout à de nouvelles idées : alors les monastères baroques allemands, ou des exemples particuliers comme le Monasteiro dos Jeronimos à Lisbonne, ou les réalisations de la Renaissance italienne nous font comprendre comment ces ordres ont pu survivre, en évoluant avec les nouvelles façons de penser toujours en gardant leurs principes fondateurs.

Le Monastère de Saint Jean Evangéliste à Parme est un de ces exemples : bijou situé dans le cœur médiéval de la ville, il témoigne de l’esprit humaniste qui a envahi toute l’Italie même dans les endroits urbains les plus petits et apparemment éloignés des principaux centres culturels. Il est intéressant de remarquer qu’à Parme, faut d’une cour laïque comme par exemple celle des Gonzaga à Mantoue ou des Este à Ferrara, cet esprit soit arrivé justement grâce aux monastères bénédictins, d’abord grâce à celui féminin de Saint Paul et juste après à celui des moines de Saint Jean.

Bâti sur le lieu d’un précédent monastère du X siècle, on renouvela complètement ce grand ensemble entre 1490 et 1524. L’actuelle façade pourtant ne fut réalisée qu’en époque baroque et même le clocher date de 1613 ; elle surmontée par un aigle énorme en bronze, symbole de l’Evangéliste, qui surveille toute la place et l’entrée du monastère. L’intérieur de l’église est en croix latine marquée par des piliers romans, mais tout le décor est en pur style Renaissance, comme l’ornement des arcs des voûtes de la nef centrale, blanc aux amphores et grotesques sur fond noir (repris dans las arcades des cloîtres), ou la décoration de la frise de la même nef reliant les piliers, avec des couleurs clairs, gris, ocre, ton sur ton, presque un trompe l’œil qui imite un bas relief, comme on peut voir par exemple dans certaines salles du Palais Te ou du Palais Ducale à Mantoue. Cette dernière réalisée par Corrège n’est sûrement pas sa meilleure création à l’intérieur de l’église.

Dans le bras nord du transept, sur l’entrée de la sacristie et des espaces réservés aux moines, une lunette avec l’image de Saint Jean donne une atmosphère spéciale à cet endroit : Saint Jean est en train d’écrire peut-être son Evangile ou l’Apocalypse, protégé et en compagnie d’un grand aigle noir à sa gauche, il rappelle aux moines un de leurs devoirs, la culture et la lecture, la méditation des écritures et la prière ; par cette porte les moines avaient accès à leurs espaces privés, dont une extraordinaire bibliothèque à fresques et très riche. Dans cette représentation Saint Jean est un jeune homme et son regard se dirige tout en haut vers la coupole de l’église, où un vieux Saint Jean, avec les autres apôtres, attend la descente du ciel du Christ. Le regard du jeune Saint Jean se tourne vers le Christ comme doit le faire le moine bénédictin, puisqu’il est le centre de sa règle, le pivot autour duquel toute sa vie est rythmée.

En plus, le saint est un exemple à imiter pour les bénédictins, puisque comme le dit la devise autour de la lunette « ALTIUS CAETERIS DEI PATEFECIT ARCANA » , il est «celui qui plus qu’aucun autre ne révéla les mystères de Dieu ».Corrège a bien compris tout cela et l’a exprimé dans sa fresque de la coupole : la figure du Christ au centre s’impose par son geste et par la perspective tout à fait nouvelle, grâce à l’effet des nuages qui s’ouvrent à spirale et aux vêtements qui enveloppent son corps, effet avec lequel le peintre efface et perce les limites des parois et de l’espace. Corrège unit donc ici ce qu’il avait vu dans la Chapelle Sixtine à Rome et dans la Chambre des Epoux de Mantegna à Mantoue : cet effet de percement de l’espace, d’une perspective hardie n’a pas seulement une fonction décorative (qu’il avait déjà essayé dans la chambre de l’Abbesse des Bénédictines du monastère de Saint Paul), ici cette perspective devient thème religieux, elle relie ciel et terre, comme la prière des moines. Comme le veut Saint Benoît, le moine est ascète puisqu’il doit dialoguer constamment avec Dieu, en silence écouter ce que Dieu lui révèle, mais il est aussi homme de la communauté qui s’enrichit de la prière et de la méditation de chacun. La travail spirituel et manuel de chaque moine est réalisation de l’œuvre de Dieu, de l’Evangile puisque la communauté vit dans la paix de Dieu, mais il est aussi réalisation de l’individu : le bénédictin développe sa pensée et ses qualités pour le bien de toute la communauté religieuse qui répand et divise ses biens spirituels et matériels avec toute la communauté chrétienne en dehors du monastère. Le côté artistique est aussi appréciable si l’art n’a pas le but en soi-même : les livres, les manuscrits aux enluminures raffinées, la peinture, la musique sont aussi un œuvre et une expression de la parole de Dieu qui se concrétise dans l’espace et le temps.

C’est pour cela que les monastères bénédictins ont toujours été aussi des foyers culturels et des vrais ateliers, puisque le règle de Saint Benoît veut que les moines soient des hommes de leurs temps, pas des ascètes au-delà du temps et de l’histoire. Les monastères sont un terrain fertile pour les artistes comme Corrège, désireux d’expérimenter et d’exprimer de nouvelles façons de penser. L’atelier et le travail comme réalisation de l’individu, un germe humaniste dans la règle bénédictine qui a sûrement plu au Corrège, homme issu de la Renaissance, capable de mélanger dans sa peinture soit les idéaux laïques de la philosophie néo-classique du Quattrocento (déjà réinterprétés par le peintre dans la chambre de l’Abbesse dans le monastère de Saint Paul), soit les idéaux chrétiens jamais abandonnés par la culture occidentale. Son art pousse jusqu’au bout la perspective, jusqu’à des phénomènes d’illusion comme dans la coupole de Saint Jean où Corrège, en éliminant les éléments architectoniques et en utilisant les couleurs et les nuances, crée un nouvel espace qui a deux points de vue principaux d’observation : celui de la grande nef, donc des fidèles, et celui du chœur, donc des moines, les seuls qui peuvent voir le vieux Saint Jean parmi les autres apôtres, représentés dans la couronne inférieure de la coupole, un vieux qui enfin reçoit son salut, puisque le Christ descend pour l’amener au ciel.

Le travail de Corrège, comme celui des bénédictins, met donc en relation les deux communautés, celle des religieux et celle laïque des fidèles et de la ville, en insérant parfaitement le monastère dans le monde et dans le temps historique, hier comme aujourd’hui. Les bénédictins hier comme aujourd’hui continuent à travailler et produisent du miel, de la pharmacopée, vous accueillent dans leurs hôtellerie même si vous n’êtes pas pèlerins, vous accueillent dans leur bibliothèque (riche de plus de 60.000 volumes), avec un système automatisé de recherche et emprunt des livres, vous accueillent aussi virtuellement sur leur page internet, puisque la prière la parole de Dieu courent sur le web aussi…