Art Nouveau, Jugendstil, Sezessionstil, Nieuwe Kunst, Stile Liberty, Modernismo[1]… Une multitude d’appellations pour désigner le mouvement Art Nouveau qui émerge simultanément dans plusieurs pays d’Europe à la fin du XIXe siècle. Ce foisonnement s’explique par un désir des artistes de transgresser l’art classique en s’affranchissant des règles préexistantes car : « À chaque époque son art, à chaque art sa liberté![2] ». C’est alors que naît l'expression « Art nouveau », employée pour la première fois par Edmond Picard, en 1894, dans la revue belge L'Art moderne pour qualifier le travail de l’artiste belge Henry van de Velde. En 1895, l’expression arrive en France en devenant le nom de l'enseigne de la galerie d'art de Bing Siegfried à Paris : la maison de l'Art nouveau.

«Ma bibliothèque est mon jardin[3]»

Les artistes prônent un art nouveau inspiré par la nature : ses motifs, ses courbes, ses couleurs, ses lumières. Émile Gallé (1846-1904), fondateur de l’École de Nancy, réalise des lampes à partir de l’observation passionnée qu’il fait des plantes mais aussi des insectes (Lampe de table rhododendron[4]). C’est ainsi qu’il s’intéresse à la gravure sur acier qui permet de réaliser des nuances sur verre plus proches de celles de la nature. L’espagnol Antoni Gaudí (1852-1926) donne un style organique à La Sagrada Familia : les colonnes sont des arbres qui se ramifient. Les bijoux de René Lalique (1860-1945) sont inspirés par la faune et la flore (Bracelet iris[5]).

«La ligne est une force[6]»

Les artistes stylisent la nature grâce au motif de la ligne. Celle-ci, fluide, sinueuse, arabesque, souple, libre, devient une composante essentielle de l’Art Nouveau (Klimt, L’Arbre de la vie[7]). Henry van de Velde (1863-1957) dans ses peintures (Composition végétale abstraite[8]), dans ses meubles (Candélabre[9]) et Hector Guimard (1867-1942) dans ses constructions (ferronnerie de la Villa Berthe; papier peint du Castel Béranger) amènent le motif de la ligne jusqu’à l’abstraction.

«Au siècle de la fonte on gâche l’espace par des colonnes épaisses en maçonnerie[10]»

Ce nouveau langage – alors libéré de l’historicisme dominant – se construit, en outre, par l’utilisation de nouveaux matériaux. L’acier et le verre s’unissent au bois (Victor Horta, Hôtel Van Eetvelde), les pierres précieuses cohabitent avec les pierres semi-précieuses (Pendentif « Sylvia »[11]) Un renouveau formel voit le jour grâce aux constructions métalliques qui permettent de durcir la mollesse des lignes (entrée du Castel Béranger d’Hector Guimard). Henri Sauvage (1873-1932) est l’un des premier à avoir utilisé le béton armé dans la construction d’immeubles d’habitation (Immeuble, 7 rue Trétaigne à Paris).

«Je ne m'intéresse pas à ma propre personne […] mais aux autres êtres, surtout féminins[12]»

Si la nature est omniprésente dans le travail des artistes du mouvement Art Nouveau, la femme joue également un rôle important. Les sculptures de l’artiste français Maurice Bouval (1863-1916) représentent des femmes qui se prolongent en fleurs (Sommeil[13] ). Les peintures de Gustav Klimt (1862-1918) ou encore les arts graphiques d’Alfons Mucha (1869-1939) mettent à l’honneur les femmes dans des portraits somptueux (Portrait Adèle Bloch-Bauer II[14]) pour Klimt mais aussi dans des frises jugées scandaleuses (Les forces du Mal et Les Trois Gorgones[15]). L’actrice Sarah Bernhardt sera une muse pour Mucha (La Dame aux camélias, Médée).

«Notre style c’est la mise en beauté des organes utiles de nos muets serviteurs[16]»

Pour mettre en œuvre l’harmonie désirée par les artistes, l’art doit être total. Pas de hiérarchisation des pratiques, le beau et l’utile doivent cohabiter. C’est ainsi que lampes, vases, bureaux, lits, broches… fleurissent. De la peinture à la joaillerie, des arts graphiques à l’ébénisterie, de l’architecture à la verrerie, l’Art Nouveau est partout. L’Hôtel Tassel de Victor Horta se présente comme un ensemble dans lequel les meubles répondent à l’architecture, les vitraux participent à la mise en valeurs des formes intérieures. L’ossature du bâtiment se prolonge dans l’ornement qui l’entoure. Les lignes courbes, inspirées par le motif de la tige, traversent la maison. Le palais de la Sécession viennoise, de Josef Maria Olbrich (1867-1908), est construit dans le but d’accueillir la célèbre Frise de Beethoven[17].

«Produire des œuvres d'art […] à des prix peu élevés[18]»

Enfin, il est nécessaire de préciser que les artistes essaient de faire de l’Art Nouveau un art pour le peuple (Bouches de métro parisiennes d’Hector Guimard, Maison du Peuple de Victor Horta). Toutefois, malgré cette idéologie sociale, l’Art Nouveau restera un art cher et bourgeois. Le raffinement de ce dernier (par ces matériaux) ainsi le côté artisan qui en émane (et qui empêche la production en série) éloignent cet art des classes moyennes vers les sphères du luxe. L’art Nouveau se détourne ainsi d’un de ces préceptes.

Texte par Julie Langlais

Notes

[1] Le Jugendstil, « Art jeune », est l’appellation du mouvement Allemand ; Sezessionstil, « Sécession Viennoise » correspond au mouvement autrichien ; Nieuwe Kunst est la traduction néerlandaise ; Stile Liberty est le nom générique pour l’Art Nouveau italien ; Modernismo correspond au mouvement artistique espagnol.
[2] Devise de la Sécession Viennoise inscrite sur le Palais de la Sécession à Vienne, au-dessus de l’entrée. Traduction de l‘allemand : « Der Zeit ihre Kunst. Der Kunst ihre Freiheit ».
[3] Louis Majorelle d’après Franco BORSI, Ezio GODOLI, Paris 1900, Bruxelles, 1976, p. 62.
[4] Émile Gallé, Lampe de table rhododendron. Verre camée, gravé. Collection privée.
[5] René Lalique, Bracelet iris, 1897. Or, émail et opales. Collection privée, New York.
[6] Henry van de Velde.
[7] Gustav Klimt, L’Arbre de la vie, vers 1905-1907. Huile sur carton, 195 x 102 cm. Österreichisches Museum für angewandte Kunst /Gegenwartskunst, Vienne.
[8] Henry van de Velde, Composition végétale abstraite, 1893. Pastel sur papier. Kröller-Müller Museum, Otterlo.
[9] Henry van de Velde, Candélabre, 1898-1899. Argent. Musées royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles.
[10] Propos tenus à propos du travail de Gaudí dans La Vanguardia, Notas locales, 28 décembre 1889.
[11] Paul et Henri Vever, Pendentif « Syvia ». Or, agate, rubis, diamants, émail. © Les Arts Décoratifs / Laurent Sully Jaulmes.
[12] Gustav Klimt.
[13] Maurice Bouval, Sommeil ou La Femmes aux pavots. Bronze et marbre. Collection Victor et Gretha Arwas.
[14] Gustave Klimt, Portrait d’Adèle Bloch-Bauer II ,1912. Huile sur toile, 190 x 120 cm. Collection privée.
[15] Gustav Klimt, La frise de Beethoven, 1902. Galerie Osterreichiches, Vienne.
[16] Emile Gallé, Revue des Arts décoratifs, 1900.
[17] Gustav Klimt, La frise de Beethoven, op. cit.
[18] William Morris, Manifeste.