Bien avant l’an zéro, la naissance du Christ et notre calendrier, une ville s’est érigée entre les calanques et la côte bleue. C’est sans doute la raison pour laquelle les délinquants s’y sentent comme chez eux. Les Marseillais y habitaient bien avant les églises et leur Bonne Mère. Et ce jeudi 13 novembre 2025, vers 14h30, en plein jour et à la vue de tous, les narcotrafiquants ont encore frappé. En assassinant, l’arme au poing, avec la précision d’un tueur à gage, Mehdi Kessaci. Un jeune innocent de vingt ans. Dans sa voiture, en face de la plus grande salle de concert de la ville, dans le quatrième arrondissement. Nicolas Bessone, procureur de Marseille, avait déclaré dans un communiqué :

Une moto s’est portée à hauteur du véhicule de la victime qui venait de se garer. Le passager arrière de la moto a tiré à plusieurs reprises sur la victime, qui était toujours dans son véhicule. Plusieurs étuis de 9 mm ont été retrouvés sur place.

Alors bon nombre d’entre nous ont répondu à l’appel d’Amine, le grand frère de Mehdi. Pour se dresser à ses côtés. Pour dire haut et fort que la cité phocéenne résistera au narcotrafic.

Les auteurs et les maisons d’édition ne se sont pas trompés d’adresse. Marseille reste le berceau du polar et du roman noir.

Cette année encore, ils ont pointé le crime avec leurs plumes acérées.

À L’écailler, fondé au début des années 2000 sous l’appellation d’origine L’écailler du Sud, François Thomazeau, Patrick Coulomb et Bruno Richard ont notamment publié cette année trois romans noirs, qui marquent par la réalité et les détails descriptifs des scènes criminelles : L’immeuble au bas de la rue de Peter Hudson (traduit de l’anglais par Pierre Luciani), Boulevard des rats de Patrick Coulomb et Voir Plovliv et mourir de Mathieu Croizet, l’avocat d’Amine Kessaci, le frère de la jeune victime, et de l’aîné Brahim, lui aussi assassiné en 2020 et trouvé mort carbonisé dans sa voiture. Car même si les meurtres se produisent ailleurs, Marseille et ses façons de faire, ou plutôt de défaire, reste facilement reconnaissable.

Aux éditions Gaussen, fondées en 2008, David Gaussen vient de publier le 16 octobre 2025 le nouvel opus de l’ancien parisien, Guillaume Chérel, Retour à Marseille ou Whisky Charlie. C’est la suite de son roman précédent, Last exit to Marseille [Dernière sortie vers Marseille], où le héros Jérome Beauregard est encore une fois à la dérive. Mais l’horrible meurtre de la jeune Sandes, la fille d’une de ses ex, va réveiller ses instincts de justicier dans la ville.

Au Bruit du Monde, installé depuis le 17 mars 2021 dans la ville portuaire bouillonnante par laquelle on arrive et on part, bref un monde à elle seule, Marie-Pierre Gracedieu et Adrien Servières, après avoir publié au printemps Cargo Blues d’Audrey Sabardeil, où une fusillade au pied d’un immeuble, qui aurait pu n’être qu’un banal fait divers, marque le début d’une longue cavalcade, ont signé à la rentrée Marseille, essuie tes larmes, le récit poignant d’Amine Kessaci, qui nous raconte sous la forme d’un dialogue posthume, la mort de son frère aîné, sauvagement brûlé dans sa voiture par des dealers sans scrupule. Et dont les récents écrits viennent de susciter la vengeance et cet avertissement : l’assassinat crapuleux de son petit frère Mehdi, lâchement abattu par ceux qui ont sans doute peur que l’État et la Justice ne s’intéressent enfin aux quartiers Nord et à leurs sales combines qui déciment et détraquent la jeunesse en France.

Toujours en 2021, les éditions Melmac ont vu le jour dans les rayons des librairies avec la parution du numéro vingt-et-un, La femme qui mangeait des fleurs, également écrit par l’auteur Guillaume Chérel. Mais la maison est implantée à Marseille depuis 2015. Son concepteur Patrick Coulomb, loin d’en être à son coup d’essai, et alors journaliste pour les pages culturelles de La Provence, avait déjà publié vingt titres estampillés The Melmac Cat [Le Chat Melmac], son label éditorial. Sous la direction de Coulomb, la griffe Melmac s’orchestre autour de quatre axes.

C’est surtout la collection esprit noir consacrée au polar, au roman noir, au roman policier et au thriller, qui attire les lecteurs. Et cette année a donné naissance aux romans Le collectionneur de crimes horribles de Jack Dassmesser, Arma Christi de Bruno Carpentier qui pointe de sa plume documentée le terrifiant trafic d’organes des enfants migrants à Marseille, Le cercle des polardeux marseillais et de leurs complices (saison 3) d’un collectif d’auteurs à Marseille, Le paradoxe de Rio et Deux p’tites baltringues du corse Julien Codaccioni.

Mais Marseille voudrait souffler. Profiter du soleil, du ciel azur, du bleu de la mer, et de la blancheur de ses calanques. Alors ces éditeurs brandissent fièrement à leurs arcs la corde de la littérature dite blanche. On ne pouvait faire mieux pour répondre à cet acte de barbarie commis le 13 novembre. Car la candeur de la Bonne Mère veille sur Marseille et sur son chiffre 13, qui compte autant que le pastis 51.

Ils publient des OLNI, des « Objets Littéraires Non Identifiés », où l’audace et l’originalité règnent en maîtres. Les auteurs explorent des formes nouvelles, des voix singulières et des perspectives inattendues. Ils s’écartent des conventions pour offrir des expériences de lecture surprenantes. Les histoires, proches du quotidien, révèlent des visions inédites de la vie moderne, des relations humaines et des dilemmes personnels, avec une approche narrative libre et expérimentale.

Dernier exemple en date, Brèves amours, un recueil d’histoires courtes à quatre mains, plein d’humour, de tendresse, de situations cocasses et de surprises, qui vient de paraître ce mardi 9 décembre 2025. Amour bref, soupir long dit un proverbe roumain. Ces fragments intimes, fragiles, inestimables sont nos éternelles brèves amours :

On s’est croisés, on s’est aimés, on s’est quittés. Cela n’a duré que quelques mois, quelques années. Ou même quelques heures, quelques minutes ou quelques secondes fugaces. Dans un train, un métro, un avion, en voiture, au coin d’une rue, sur un sentier de montagne, sur une plage, vous croisez l’amour de votre vie. Regards. Sourires. Accélération cardiaque. Palpitations de fièvre. C’est « le tourbillon de la vie ». Mais votre grand amour descend à la prochaine ou s’envole pour d’autres sommets. C’est un beau roman, c’est une belle histoire… .

Ratée l’histoire ? Patrick Tringale est scénariste, showrunner et romancier. Il a publié trois livres aux éditions du Masque, dont Caatinga, Prix du roman d’aventures.

Thierry Aguila est scénariste, réalisateur et romancier. Il a publié Bonaventura aux éditions L’écailler, Prix du premier roman 2025 du Goéland Masqué.

Il est temps de sortir des sentiers battus et de la noirceur du narcotrafic, et de découvrir les auteurs marseillais autrement, en blanc et en couleurs, pour des moments de lecture inoubliable.

Vivre pour des idées, d’accord. Mais de mots tendres.