Cela ressemble à un slogan, et c'est effectivement un slogan. Les slogans ne sont pas nécessairement inutiles, leur avantage est qu'ils s'adressent directement aux gens avec un message clair et compréhensible. Rendre la pauvreté illégale, c'est aussi l'éradiquer, une fois pour toutes. Les slogans ne sont pas non plus insignifiants, car ils peuvent effectivement renvoyer à une politique concrète. Car il est clair que quelque chose doit être fait pour résoudre le problème de la pauvreté. Malgré toutes les priorités mondiales et les programmes gouvernementaux bien intentionnés, la pauvreté ne diminue pas vraiment.
Dans le monde riche dans lequel nous vivons, la pauvreté est tout à fait inacceptable. Dans un monde où la fortune des plus riches se compose d'une multitude de zéros trompeurs (100 000 000 000 $US... ), elle met en évidence l'injustice de la société.
À cela s'ajoute le fait que même s'il existe des programmes de lutte contre la pauvreté pratiquement partout, il n'y a pas pour autant de véritable volonté politique d'éradiquer réellement la pauvreté. Souvent, ces programmes ne sont qu'une tentative de légitimiser un gouvernement ou une politique. Dans d'autres cas, ils visent à lutter contre les manifestations les plus graves de la pauvreté. Il est rare que l'on veuille modifier les structures sociales ou émanciper réellement les classes inférieures.
C'est pourquoi une politique de lutte contre la pauvreté n'est pas toujours la bonne réponse à la pauvreté existante. Il faut en effet bien plus qu'une aumône. Ceux qui veulent vraiment éradiquer la pauvreté voudront la prévenir. Car les gens ne naissent pas pauvres, ils le deviennent. Ils sont faits pauvres. Il faut donc un État social fort, avec des emplois, de bons services publics dans les domaines de la santé, les domaines de l'éducation et du logement. Avec un droit du travail solide pour protéger les travailleurs contre l'exploitation et les accidents du travail. Et en dernier recours, lorsque les gens sont vraiment dans le pétrin, avec des allocations au moins égales au seuil de pauvreté.
L'un des nombreux problèmes pour y parvenir est que les personnes pauvres sont certes organisées, mais pas fortes. Elles n'ont guère la capacité d'agir pour influencer la société, et encore moins le monde politique. Jusqu'à présent, les politiques mises en œuvre ont été peu efficaces, puisqu'il y a aujourd'hui autant de pauvres dans le monde qu'en 1990. Seuls quelques rares pays ont vu la pauvreté reculer de manière significative. Certains pensent d'ailleurs que la pauvreté est « normale », qu'elle a toujours existé et qu'elle existera toujours. Il n'y a donc pas grand-chose à faire.
Ce que signifie le slogan « rendre la pauvreté illégale », c'est donc d'inscrire ce principe dans la Constitution, comme objectif pour tous les gouvernements, quelle que soit leur composition idéologique. Il ne s'agit pas seulement d'un principe moral, mais aussi d'un argument juridique et rationnel. L'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels stipulent que toute personne a droit à un niveau de vie suffisant. Ceux qui vivent dans la pauvreté n'en bénéficient pas.
Il existe certes de grandes divergences idéologiques dans la vision de la pauvreté, mais il y a un consensus sur le fait que la pauvreté doit être combattue. La volonté politique de le faire efficacement peut faire défaut, mais il ne devrait pas être difficile de mentionner clairement et sans ambiguïté cet objectif. De cette manière, tous les mouvements disposent d'un instrument sur lequel ils peuvent s'appuyer pour mener efficacement leur combat. Quelle que soit la critique que certains, dans le Sud, peuvent avoir sur la manière dont ces droits humains ont vu le jour et ont été déclarés universels, personne ne doute de leur utilité. Tous les peuples autochtones les utilisent également pour faire valoir leurs droits.
Il est possible d'aller encore plus loin : les villes et les communes peuvent prendre l'initiative de se déclarer territoires exempts de pauvreté. C'est tout à fait possible et réalisable, grâce à une politique locale de l'emploi, à une économie sociale et solidaire, à des allocations suffisantes et à des services sociaux ouverts et transparents. Il s'agit avant tout d'un choix politique.
Ce sont deux mesures qui peuvent améliorer efficacement la lutte contre la pauvreté.
Dans cette approche, il est important que les personnes pauvres aient la possibilité de vraiment progresser, et j'entends par là qu'elles puissent réellement sortir de la pauvreté, qu'elles puissent se remettre sur pied financièrement et économiquement. Il est aujourd'hui de bon ton d'affirmer, dans le cadre d'une approche multidimensionnelle, qu'il est impossible de se débarrasser définitivement de la pauvreté. Une fois pauvre, toujours pauvre. Vous pouvez gagner un revenu, mais vous continuerez à vivre pour toujours avec les conséquences psychosociales des souffrances endurées.
C'est sans doute vrai, mais il n'est pas nécessaire pour autant d'inclure ces conséquences à long terme dans la définition de la pauvreté. Les traumatismes et autres problèmes psychologiques ne sont pas l'apanage des personnes pauvres et il est absurde de continuer à qualifier de « pauvres » les personnes qui s'en sont sorties. Nous ne qualifions pas non plus le cancer de « problème multidimensionnel », bien que cette maladie grave entraîne également de nombreux problèmes secondaires. Une personne atteinte d'un cancer a, avant tout, besoin de soins médicaux de qualité. Les personnes pauvres ont, avant tout, besoin de moyens pour devenir autonomes. Il peut s'agir d'un salaire ou d'une allocation, mais aussi de services publics gratuits ou très peu coûteux.
L'objectif de la lutte contre la pauvreté doit toujours être de permettre aux personnes de vivre de manière autonome sur le plan financier et économique. En bref, de les émanciper. C'est pourquoi il est indispensable de ne jamais perdre de vue l'élément central que constitue le revenu. Quel que soit le nombre de « dimensions » que peut revêtir la pauvreté, celle-ci reste avant tout et essentiellement un problème de revenu. Tant que ce problème ne sera pas résolu, les personnes concernées resteront effectivement en bas de l'échelle sociale.
Ce point est particulièrement important aujourd'hui, alors que l'extrême droite gagne du terrain dans tous nos pays. Ceux qui affirment qu'il est impossible de se débarrasser complètement de la pauvreté disent en fait qu'il n'y a pas de mobilité sociale possible, qu'il n'y a pas de passerelle vers une vie vraiment meilleure. C'est également ce que dit l'extrême droite : la société est comme un organisme où chacun a sa place et sa fonction spécifique. Vous êtes qui vous êtes et vous restez où vous êtes. Si vous êtes au bas de l'échelle, vous y resterez.
C'est donc un raisonnement dangereux qui peut marginaliser et exclure de manière permanente certaines personnes, et pas seulement les pauvres. Il confirme en outre la grande inégalité qui règne dans notre société, un autre problème qui doit être abordé par une fiscalité équitable afin d'éradiquer la pauvreté.
L'extrême droite et les grandes inégalités ne sont pas seulement dangereuses pour les pauvres, mais aussi pour la démocratie. Il apparaît alors clairement qu'une bonne politique sociale, pour tous, peut devenir un instrument essentiel dans la lutte pour la démocratie et les droits humains.
La justice sociale est trop souvent oubliée comme élément essentiel d'une démocratie stable. L'économie, qui détermine aujourd'hui presque toute notre pensée, en a tout autant besoin.















