On dit que tous les chemins mènent à Rome.
Celui qui mène à l’Estadi Olimpic Lluis Companys n’est pas un parcours digne d'un labyrinthe mais demande à être soit très bon marcheur, soit adepte des transports en commun. Barcelone est grand, il y fait naturellement beau, chaud en été et la réception de l'Athletic Bilbao, un caniculaire samedi soir de fin août a été l’occasion d'assister au mariage entre un endroit resté dans son jus et un football business axé sur l’hyperconsommation, faisant, par exemple, montre de TikTokeuses asiatiques prenant la pause pendant une heure avant le coup d’envoi.
Il y a quelques années, un bon ami journaliste, correspondant dans la capitale catalane de longue date, indiquait sur les réseaux avec résignation que le Camp Nou version Gerardo (Tata) Martino était devenu Disneyland, avec décorations dignes de la meilleure attraction enfantine du parc, suivi de l’intemporel hymne repris en chœur, rythme des chants variant au fur et à mesure de l'intensité scénaristique de la rencontre, coups de pieds arrêtés frappés par la Pulga se transformant en une étape gladiatorienne, tel un animal de cirque dont on attend l'éclair pour applaudir.
Le poids de l’histoire
De visu, rien de tout cela n’a changé dans l'enceinte d’emprunt du Barça de Joan Laporta. Niché à l'écart du centre-ville, surplombant Palau Sant Jordi, à droite du Museu Nacional d’Art de Catalunya et ses jardins sablonneux, il faut prendre la navette depuis la place d’Espagne jusqu'à Castell pour y accéder. Des stands vous accueillent, une foule déjà présente trois heures avant le début des hostilités, on peut consommer une bière, se restaurer et patienter sagement sur les murets.
L'histoire est assez singulière. Ville hôte des Jeux Olympiques de 1992 et lieu inaugural de la cérémonie d'ouverture, situé sur une colline, il doit son nom à l’ancien président catalan, assassiné en 1940 après avoir été livré depuis la France de Vichy par la Gestapo.
Si les environs sont relativement calmes malgré l'afflux progressif des visiteurs, il est à noter que l'endroit est particulièrement bien entretenu. Après avoir échangé quelques mots avec une famille Angevine venue spécialement pour cette rencontre transpirant le jeu chatoyant, le temps est venu de s’installer dans les gradins.
Le poids du patrimoine
Contrairement à d’autres complexes européens, certains comme Léon Bollée étant littéralement laissés en ruines au grand dam des fidèles Manceaux et Mancelles, Montjuic offre le visage d’un temple figé au caractère reflétant l'histoire du pays : l’attachement aux racines. Dès l’ouverture annoncée, fouille d'usage, accès au second niveau et escalier monté, on assiste à une vue plongeante sur la pelouse, côté virage avec l'écran géant noir affichant les fêlures du temps. Un deuxième, non loin, projetant les ralentis, montre des signes de fatigue avec nombre de pixels morts.
En face, on aperçoit l’horloge cassée et les ornements grecs. Il faut savoir qu'avant d'accueillir provisoirement le FC Barcelone, cette antiquité a été l'ancien fief du rival, l’Espanyol, pendant douze ans (1997 à 2009). La grogne de très nombreux Culés est telle que les demandes d’abonnements pour l'exercice 2023-24 ont sensiblement baissé : 17 902 sur les 85 000 du Camp Nou.
Xavi, sur le banc à cette période, a joué les rassembleurs en souhaitant que l'ambiance y soit similaire. Seulement, Montjuic est différent, n’a pas la même capacité et les plaintes des socios visent le côté peu pratique de l'emplacement : un site en légère altitude (190 mètres), accès à pied compliqué, le Camp Nou étant installé sur terrain plat, à proximité d'hôtels, commerces et particulièrement bien desservi, ce qui change irrémédiablement les habitudes de beaucoup, ne faisant ainsi logiquement pas l'unanimité.
Des résultats parlants
La piste d'athlétisme pose également problème, mais après tout, même si ce déménagement n'est pas du goût de tout le monde, dans le cadre d’une opération inédite comme celle-ci, il est difficilement concevable de contenter chacun des partis. Paradoxalement, malgré ces plaintes, les Blaugrana y réussissent bien : au 15 avril 2024, avant le quart de finale de C1 face au PSG, ils ont remporté 17 de leurs 21 matchs pour 3 petites défaites. Autrement dit : l’acclimatation s’est parfaitement déroulée, au moins pour les joueurs.
Depuis, la bande à Luis Enrique y a composté son billet pour le dernier carré au terme d’un cinglant (4-1) après la courte défaite de l’aller (1-2), continuant de nourrir la rivalité et j'ai personnellement assisté à une victoire sur les Basques (2-1), dans une ambiance très loin du mutisme, sensiblement proche de celles des années 90 et 2000, à l’image d’un Mestalla des plus grandes heures avec supporters déchaînés au moindre but dès leurs, agitant écharpes, chantant à gorges déployées, répondant ainsi aux copieuses insultes des Ultras du parcage visiteur.
La fin de saison dernière a d’ailleurs été marquée par un mémorable 4-3 lors du clasico (classique) le plus suivi de la planète dont la fin rocambolesque marquée d’un invraisemblable raté de Victor Munoz - alias le soixante-douzième couteau du tiroir de Carlo Ancelotti - à l'ultime seconde du temps réglementaire, précédé de huit minutes d'arrêts de jeu qui ont vu deux buts refusés pour positions illicites et un pas de géant vers le titre de champion de la péninsule, devant une foule en délire.
La réalité économique d’un projet faramineux
Mon ami, alors bien installé en tribune de presse, me disait avoir eu l'impression de ne vivre que des matchs de légende en l'espace d’un mois, dont celui-là. Argument probant donc, que la délocalisation n’a pas tant bouleversé les plans. Mieux, cela a alimenté les livres d’histoire, en tout cas jusqu'à ce dernier match de début octobre en phase de Ligue, où l'équipe B du champion d’Europe en titre est venue s’imposer une nouvelle fois, avec un score plus étriqué (2-1), suscitant le désarroi d’une supportrice au micro de la télévision locale. Peu ou pas de chants, soutien inexistant, calme relativement plat.
Comment expliquer cet écart ? Le Camp Nou n’est toujours pas prêt et ne le sera, sauf énorme coup de théâtre, pas avant début 2026 (grand minimum) au vu du retard pris par les travaux, la mairie ne pouvant pas donner son aval pour des raisons de sécurité, polémiques en tous genres et malgré les publications trompeuses de certains comptes sur la toile, le Barça a dû jouer son match de championnat mi-septembre au Stade Johan Cruyff, terrain réservé d'ordinaire au féminines, face à Valence, Montjuic étant réservé la veille pour le concert de Post Malone.
Ce qui n’a point dépaysé les hommes d’Hansi Flick, infligeant une fessée maison (6-0).
Et pendant que le site officiel du club annonce en boucle : “travailler pour obtenir les autorisations administratives nécessaires à l'ouverture dans les prochains jours”, le Barça continue de recevoir dans cette enceinte d’un autre âge. Les socios vont encore devoir prendre leur mal en patience, poursuivre l’aventure imposée. À leur décharge, le kop parisien est connu pour donner de la voix hors de ses bases, à l'instar de celui marseillais ou autres grands groupes de supporters.
Pour autant, pas de fronde massive à l’horizon. Pourtant, le projet Espai Barça, directement impliqué dans la rénovation du Camp Nou, date de 2014. À l'achèvement du stade, le coût total de l'opération atteindra le milliard et demi d’euros, amorti sur les vingt-cinq prochaines années. Pour mémoire, au début de la crise sanitaire, le site du club indiquait un coût résolument inférieur : 725 millions.
Tourisme de masse et regain d'identité
Le prisme touristique est également largement critiqué sur place, à tel point qu’un black-out est envisagé. Ainsi, autorités et habitants militent pour limiter drastiquement ce phénomène, notamment en arrêtant les locations type Airbnb d’ici 2029, réduisant les croisières et doublant la taxe de séjour. Si l'on pousse la réflexion aux origines du malaise ambiant pour apporter une réponse plus claire, on va devoir revenir au volet sportif, celui qui nous intéresse, et à l'émergence de Pep Guardiola, comme évoqué ici, pour mieux comprendre la perte identitaire.
Ces mesures seront-t-elles suffisantes dans un avenir plus ou moins proche pour retrouver un ADN ? Dans tous les cas, Montjuic va continuer à trôner fièrement en haut de son perchoir et son patronyme hantera ses travées pendant encore des siècles et des siècles.















