« À l'heure des nouvelles technologies, c'est pas grand-chose un dessin... Et pourtant il suffit d'un trait de crayon pour figurer l'horizon. Et ça, quand on y pense, c'est vertigineux. » Ces mots, qu'Hugues Micol prête à son personnage dans Saint-Rose à la recherche du dessin ultime (paru en 2019 chez Futuropolis), résument le pouvoir évocateur du dessin et les infinies possibilités de la bande dessinée que l'artiste explore sans relâche depuis sa première publication, Chiquito la muerte, en 2000. Auteur prolifique et inclassable, Hugues Micol navigue avec aisance entre les genres, repoussant sans cesse les limites de son art. Au fil de ses publications, Hugues Micol, en aventurier du trait, nous propose des univers graphiques sans cesse renouvelés : de Romanji, trilogie baroque et fantastique à Black out, relecture de l'histoire du cinéma américain en passant par sa propre vision du Far West dans Whisky, la science-fiction d'Agughia, ou encore l'aventure fantastique de Terre de feu... Seul ou aux côtés de scénaristes comme Lou Hui Phang ou David B., ce virtuose de la bande dessinée fait de ce médium un terreau fertile pour cultiver ses expérimentations plastiques.
La galerie Huberty & Breyne, espace Chapon, est heureuse de consacrer une exposition à Hugues Micol autour de ses deux derniers ouvrages : GariGari (éditions Cornélius, avril 2025) et Mimésia (éditions Futuropolis - Musée du Louvre, septembre 2025). À travers une sélection de plus de 60 oeuvres originales, c'est la liberté formelle et la virtuosité du trait de Micol que l'on peut admirer entre la confrontation du noir et blanc de GariGari, ciselé comme une gravure de Goya, et les mélanges d'aquarelles et de gouache lumineux de Mimésia. Une exposition à ne pas manquer.
Au cœur du quartier de la République à Paris, mais à l'abri du tumulte, une cour paisible aux allures de village et un dédale pavé nous mènent à la Villa du Lavoir. C'est ici, derrière la lumière d'une verrière, qu'Hugues Micol travaille, casque sur les oreilles pour rythmer son trait, entouré de pots d'encres, de pinceaux, de planches en cours et de croquis pour un futur projet. Il dessine sans relâche, concentré, et fidèle au papier, fuyant la séduction hypnotique des écrans. Fervent lecteur de bande dessinée dès son plus jeune âge, Hugues Micol maîtrise les codes du 9e art. Aussi il les utilise, s'en amuse en introduisant un décalage burlesque voire absurde ou s'en détourne totalement. Il aime ce que cet art peut apporter de contraintes qui deviennent pour lui des exercices de style auxquels il se plie avec brio. Il multiplie les formes, formats, supports et techniques. Il aime échapper à ce qu'il sait faire pour mieux se réinventer, trouver un langage singulier pour chacun de ses projets. Entre narration classique et expérimentations, son trait virtuose mute selon les besoins du récit et explore sans relâche le vaste spectre de la bande dessinée. Chaque planche devient un terrain de recherches plastiques et graphiques. Ce qui caractérise le travail de Micol, c'est, paradoxalement, son style mouvant et sa liberté formelle.
GariGari, une fresque muette et foisonnante
Composée de 180 planches à la plume et à l'encre de Chine, cette bande dessinée dépourvue de bulles ou de récitatifs nous montre toute la puissance narrative de l'image et du cadrage. Dans un Japon féodal fantasmatique, on suit le parcours initiatique d'un jeune ninja chargé de récupérer une flèche à l'origine d'un contentieux entre deux camps ennemis. Lors de son périple semé d'embuches, il croise un poisson magique, un bébé gargantuesque, d'étranges batraciens ou des créatures tels des yokais échappés d'estampes japonaises. Passionné par la culture pop « périphérique », Micol s'intéresse ici à la culture chanbara : films de sabres et de samouraïs. Pour ce projet personnel, c'est grâce à son habileté dans la composition de chacune des planches et la puissance évocatrice de son dessin qu'Hugues Micol construit son récit. Les cadrages spectaculaires alternant pleines pages, gaufriers ou cases qui semblent exploser, confèrent à la narration des airs d'odyssée graphique au rythme bouillonnant. Comme pour chacun de ses projets solo, l'artiste se lance dans la conception de ce livre par l'improvisation. En renouant avec ses lunettes, comme il s'amuse à le préciser, il se rend compte qu'il peut pousser plus loin la minutie de son trait. Dans une multitude de fines hachures, il livre un dessin expressif, à l'énergie brute. Dans des jeux de gris optiques, encrages riches, ou des effets de matière, chaque page s'admire, se contemple pour elle-même autant qu'elle se lit dans un rythme haletant et mouvementé au fil des pages.
Mimésia, une dystopie artistique
Depuis 2005, les éditions Futuropolis et le Musée du Louvre collaborent pour proposer une collection de maintenant plus de 30 titres. Chaque artiste se voit proposer une carte blanche pour imaginer une bande dessinée ayant pour cadre le musée parisien. Fin août 2025, cette collection s'enrichira d'un nouveau titre, Mimésia, une fable d'anticipation et de science-fiction signée Hugues Micol. Dans ce récit dystopique, l'artiste projette le Louvre dans un avenir où la culture, standardisée et digérée par une intelligence artificielle, n'est plus qu'un produit optimisé et lissé pour satisfaire toutes les civilisations. Une police culturelle traque les ouvres du passé pour les soustraire à la vue du public. Vestiges de notre civilisation, la sculpture, la peinture, ou l'architecture subsistent comme les derniers témoins de notre humanité dans ce Paris métamorphosé, peuplé de créatures polymorphes.
Hugues Micol aborde ce projet de manière instinctive : il imagine cette dystopie dans les grandes lignes et se laisse porter par son dessin. Comme dans Providence ou Whisky, il travaille en couleur directe par strates successives d'aquarelle et de gouache. Le dessin advient, se précise et s'affine dans un jeu de recouvrement et de transparence. Personnages et situations naissent de l'improvisation et de la gestuelle. « Je n'ai souvent qu'une idée vague de ce que je vais faire, j'aime laisser sa place à l'imprévu », confie Hugues Micol. En effet, Mimésia prend forme à rebours de ses collaborations avec des scénaristes : les planches sont dessinées avant même que les dialogues n'existent. La narration émerge peu à peu du trait, dans un processus où la main guide l'esprit. Une fois encore, Hugues Micol nous offre un tour de force graphique avec des pleines pages foisonnantes et des compositions rythmées. Entre fantasme et réalité, il fait cohabiter le patrimoine culturel comme héritage et un futur déshumanisé. Dans cette fiction, l'artiste réaffrme le rôle central de l'art comme outil de résistance, d'échange et de mémoire vivante. Alors que dans nos sociétés l'essor de l'IA commence à percer dans le domaine de l'art en générant quasi immédiatement des images, le désir créatif des artistes se situe dans l'hésitation ou le plaisir de créer. C'est déjà ce que déclarait Hugues Micol dans Saint Rose : « En fin de compte, le dessin ultime est inaccessible. Mais je vais continuer à le chercher ».