Le 17 octobre est traditionnellement la journée internationale pour l'élimination de la pauvreté. Il s'agit des droits des personnes pauvres, qui sont bien sûr les droits de chacun d'entre nous. Cependant, pour les personnes pauvres, ces droits ne vont pas de soi. Des efforts particuliers sont nécessaires pour garantir une vie digne aux personnes vulnérables.

Il y a des raisons de penser que nous sommes sur la bonne voie pour y parvenir. En 1990, la Banque mondiale a renouvelé son slogan : « Nous avons un rêve. Un monde sans pauvreté ». À l'époque déjà, certains affirmaient que cela resterait toujours un rêve. Mais le PNUD1 a lancé un concept intéressant, celui du « développement humain ». Dans les années 1990, les Nations unies ont organisé toute une série de conférences mondiales intéressantes sur l'environnement, les droits humains, les femmes, le développement social, l'habitat... C'était une période pleine d'espoir après la fin de la guerre froide. Nous étions en route vers un monde sans grands conflits idéologiques où, chaque pays et chacun pourrait se développer.

Trente ans plus tard, la désillusion est grande. La pauvreté n'a en effet guère diminué. À première vue, elle a certes baissé de manière spectaculaire à l'échelle mondiale, passant de 1,9 milliard à 808 millions de personnes, mais cela est principalement dû au développement rapide de la Chine et de l'Inde. Dans la plupart des pays africains, la pauvreté reste très élevée. Il y a quelques mois, la Banque mondiale a dû revoir ses chiffres à la hausse, avec cent millions de pauvres supplémentaires. Et, son « seuil de pauvreté » reste selon ses propres termes, incroyablement bas, à peine 3 dollars US par jour!

Une nouvelle tentative

Trente ans après la première conférence des Nations unies sur le développement social à Copenhague, une deuxième conférence sera organisée début novembre. Il n'y a guère de raisons d'être optimiste, compte tenu du glissement géopolitique et idéologique vers un conservatisme d'extrême droite. Mais il est important que cette conférence ait lieu, ne serait-ce que pour réaffirmer et confirmer quelques principes forts de 1995.

En 1995, trois chapitres importants avaient été abordés : la pauvreté, l'emploi et l'intégration sociale. Ils seront repris cette année, sans nouveauté notable. Les questions transversales abordées sont toutefois importantes : l'importance de la sécurité alimentaire, l'accès à la terre, la stabilité des prix, les soins de santé universels, une éducation de qualité et l'apprentissage tout au long de la vie, la transition juste, l'égalité des genres, le logement, la migration et le financement.

Malheureusement, l’inégalité n'est pas considérée comme une priorité, alors que ce problème criant est étroitement lié à la pauvreté, à l'emploi et, à coup sûr, à l'intégration sociale. On a de plus en plus l'impression que la politique sociale n'est là que pour les personnes pauvres et vulnérables. Ceux qui ont un peu plus de moyens peuvent se débrouiller avec des assurances privées disponibles sur le marché.

Il est également remarquable que la déclaration politique qui accompagnait la conférence de 1995 était formulée en termes d'engagements. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Deux questions importantes se posent à cet égard.

La première, peut-être un peu provocante, est de savoir si la pauvreté est une bonne priorité politique. La seconde est de savoir si un monde sans pauvreté est aussi un monde juste.

La lutte contre la pauvreté est-elle un objectif valable?

La question peut surprendre, mais la raison pour laquelle j'y suis parvenue est une longue histoire que j'ai déjà expliquée. Lorsque la Banque mondiale a dévoilé son nouveau slogan, celui-ci semblait extrêmement prometteur. En particulier pour une institution financière alors principalement connue pour les politiques d'austérité strictes qu'elle imposait aux pays pauvres, en collaboration avec le FMI2.

Une analyse approfondie de tous les documents publiés à l'époque par les organisations internationales a révélé des faits qui donnent à réfléchir. Il n'existait aucune statistique sur la pauvreté mondiale, les politiques d'austérité stricte ne changeaient rien et il n'était fait aucune mention réelle d'une quelconque politique sociale. Au contraire, les organisations internationales affirmaient constamment que la sécurité sociale n'était pas destinée aux pays pauvres et ne profitait qu'aux fonctionnaires et militaires « privilégiés ». Les politiques proposées pour lutter contre la pauvreté étaient clairement insuffisantes et inefficaces, car elles étaient parfaitement compatibles avec les politiques néolibérales. Selon la Banque mondiale, le principal responsable des politiques de lutte contre la pauvreté devrait toujours être : le ministre des Finances!

Sous le label de « réduction de la pauvreté », des procédures et des mécanismes complexes ont été mis en place pour enfoncer davantage les pays pauvres dans le carcan néolibéral, tandis que les services sociaux étaient privatisés. Dans l'Union européenne, les anciens programmes de lutte contre la pauvreté ont été supprimés en raison d'un manque de compétences dans les traités. De nouveaux objectifs en matière de pauvreté ont été inclus dans plusieurs programmes à partir de 2000, mais les pouvoirs réels font toujours défaut.

Entre-temps, un profond changement de sens s'est opéré, transformant la protection sociale en quelque chose de différent de ce qu'elle était auparavant : désormais au service de l'économie et non plus des personnes et de leur niveau de vie. De cette manière, la pauvreté a été réduite à un problème éthique plutôt qu'un problème de classe.
Malgré toutes les promesses solennelles, les taux de pauvreté ne baissent pas vraiment, comme indiqué précédemment.

Il existe de nombreux moyens de contourner la priorité accordée à la pauvreté. Les principaux sont des définitions biaisées – qui mettent l'accent sur tous les phénomènes secondaires plutôt que sur le revenu – et le manque de volonté de s'attaquer aux inégalités. Le démantèlement des États sociaux, le moyen le plus efficace de prévenir la pauvreté, en est un autre. De plus, la philanthropie et la charité, qui permettent de discipliner et même de sanctionner les personnes pauvres, ainsi que la faiblesse de nombreuses ONG sociales, ne peuvent que compromettre les conditions imposées aux personnes pauvres.

Les vraies solutions ne peuvent venir que d'un engagement politique à garantir des revenus, des emplois décents avec des salaires décents, des États sociaux avec une sécurité sociale, des services publics et un droit du travail, ainsi qu'un système fiscal équitable pour lutter contre les inégalités.

Le deuxième sommet social mondial peut-il atteindre ces objectifs?

Un monde sans pauvreté n'est pas encore un monde juste.

J'ai demandé à ChatGPT pourquoi nous ne vivrions pas encore dans un monde juste si nous éradiquons la pauvreté. En moins de 30 secondes, j'ai reçu trois pages de texte expliquant les besoins matériels et autres. Un être humain doit pouvoir vivre dans la dignité et chaque être humain aspire à la reconnaissance. Il était question de toutes les formes possibles de discrimination et, dans la dernière phrase de la conclusion, de « toutes les formes d'inégalité ». C'est là que le bât blesse. La discrimination n'est pas l’inégalité. Ceux qui veulent lutter contre l'inégalité aspirent à plus d'égalité, à une meilleure redistribution, à une bonne protection sociale, à un système fiscal équitable.

La discrimination montre que nous ne sommes pas tous identiques et que nous avons donc besoin d'une politique différenciée pour concrétiser l'égalité des droits. Les êtres humains sont différents et le seront toujours. Et c'est précisément parce que nous sommes différents – par le sexe, la religion, l’origine ethnique, la couleur de peau, l’état de santé et bien d'autres choses encore – que la politique doit s'adapter pour garantir l'égalité des droits. S'il n'y avait pas de différences, si nous étions tous les mêmes, l'exigence d'égalité des droits serait superflue.

C'est un raisonnement erroné qui revient souvent. Toutes les différences et toutes les inégalités sont mises dans le même panier, ce qui fait inévitablement passer certaines choses essentielles à la trappe. On ne voit plus la forêt derrière les arbres. Prenons l'exemple de l'inégalité des revenus. Pour certaines institutions, comme la Banque mondiale ou le FMI, il reste extrêmement difficile d'aborder ce sujet sur le plan politique. On préfère parler d'équité ou de justice.

Ou encore la dimension des revenus dans la pauvreté. On parle constamment de tous les aspects possibles – pauvreté énergétique, pauvreté liée aux transports, pauvreté menstruelle, etc... – mais jamais, ou très rarement, de la pauvreté alimentaire ou la pauvreté en termes de revenu. Or c'est précisément cette pauvreté monétaire qui est au cœur du problème, si l'on veut rendre les gens autonomes, et leur permettre d'acquérir une autonomie économique et financière.

Lorsque l'on considère la pauvreté comme un déficit de revenus, on se rend vite compte que les inégalités croissantes dans le monde font obstacle à une lutte efficace contre la pauvreté. Les deux sont liées. Qu'y a-t-il de juste dans une société où les plus démunis vivent exactement au seuil de la pauvreté et où les plus riches gagnent et possèdent cent, mille ou dix mille fois plus?

La pauvreté se creuse jour après jour, à cause des réformes économiques, du démantèlement des États sociaux, des réformes des retraites et de la bureaucratie insurmontable qui attend les personnes vulnérables en quête d'aide. Nous vivons dans une usine à pauvreté. Dans le même temps, les inégalités de revenus et surtout de patrimoine s'accroissent et des avantages fiscaux sont accordés à ceux qui ont déjà plus qu'il n'en faut. C'est un problème mondial.

La discrimination, l'inégalité et la pauvreté restent inacceptables dans le monde riche dans lequel nous vivons. Elles nous empêchent d'œuvrer à un monde plus juste, avec une langue et des valeurs communes au-delà de toutes les différences. Aujourd'hui, les mondes des riches et des pauvres sont incompatibles. De plus, nous sommes à nouveau sur la voie d'une politique plus conservatrice, ce qui signifie également un monde immuable. Un monde dans lequel les gens naissent dans un groupe, pauvre ou riche, et y sont condamnés à jamais. C'est aussi la philosophie de l'extrême droite. La société est comme un organisme dans lequel chacun a une fonction spécifique : vous êtes qui vous êtes et vous restez où vous êtes. L'émancipation est pernicieuse et de toute façon impossible.

En donnant toutes les significations possibles et diverses aux termes « pauvreté » et « inégalité », il devient très difficile de transmettre un message de solidarité pour l'être humain, pour la société et pour la justice. Nous oublions alors que notre système économique a besoin de la pauvreté et que l'inégalité n'est en aucun cas un moteur de l'économie, bien au contraire. Il n'y a pas de « ruissellement » avec une redistribution des richesses. Il n'y a qu'une soif toujours plus grande de richesse au détriment de ceux qui n'ont rien.

Pour le libéralisme, l'inégalité n'est pas un problème. Nous faisons donc semblant de lutter contre la pauvreté, car cela ne coûte rien et est totalement inoffensif sur le plan politique. La politique de lutte contre la pauvreté est alors tout à fait compatible avec le néolibéralisme. La solidarité, de chacun selon ses moyens et de chacun selon ses besoins – le principe de la sécurité sociale – est totalement à l'opposé. Pas étonnant qu'on veuille nous faire croire que l'État social et les services publics deviennent « inabordables ». La sécurité sociale est un droit humain. Avec un système fiscal équitable, elle contribue également à la lutte contre les inégalités, les deux fonctionnant sur le principe de la redistribution. Et elles contribuent à un monde de paix et de sécurité.

Les personnes pauvres et vulnérables doivent être aidées, mais ce n'est pas en premier lieu par une politique de lutte contre la pauvreté. Personne ne naît pauvre, ce sont nos sociétés et notre système économique qui rendent les gens pauvres. La lutte contre la pauvreté ne sera jamais suffisante. La pauvreté doit être rendue illégale, elle n'a aucune raison d'être dans notre monde riche.

Notes

1 Programme des Nations unies pour le développement.
2 Fonds monétaire international.