Pour sa septième exposition personnelle à la galerie, Mohamed Bourouissa présente Généalogie de la violence, un film récent, accompagné d’une nouvelle série de sculptures intitulée Hands.
Le court métrage Généalogie de la violence (2024) et la série photographique Hands (2025) sont les œuvres les plus récentes de l’artiste. À travers des langages distincts, mais complémentaires, elles s’intéressent aux relations entre le corps et le pouvoir, l’individu et le système, la réalité et sa représentation. Poursuivant une recherche continue amorcée depuis près de vingt-cinq ans, Mohamed Bourouissa y examine et reconstruit les formes de contrôle et de résistance, traduisant son expérience personnelle dans des œuvres habitées par une tension sourde, oscillant entre documentaire et fiction.
Généalogie de la violence est un projet multimédia composé d’un film et d’une série de sculptures en aluminium, qui s’intéressent aux violences policières en tant que phénomène systémique. Celles-ci s’incarnent non seulement par la force physique, mais aussi à travers les comportements, le langage, les mécanismes bureaucratiques et les cadres juridiques existants.
Ce court métrage expérimental s’ouvre sur une scène familière à de nombreuses personnes racisées : un jeune homme est arrêté par la police pour un contrôle d’identité alors qu’il est en voiture avec sa petite amie. Ce qui apparaît tout d’abord comme une interaction anodine bascule rapidement dans une situation d’humiliation, de violation et d’aliénation. Par cette séquence d’ouverture, Mohamed Bourouissa pose le cadre d’une réflexion sur la violence structurelle qui conditionne l’existence des communautés marginalisées en Occident, révélant la brutalité latente des procédures de contrôle standardisées, supposément fondées uniquement sur les principes de justice et d’égalité. Mohamed Bourouissa tisse le récit dans un langage équivoque, riche de contrastes. Le film alterne sans cesse entre des scènes prises sur le vif et des séquences en images de synthèse, qui se propagent sur la surface de l’écran comme un virus (le décor lui-même emprunte à l’esthétique du cinéma de science-fiction, entre la nuit perpétuelle de Dark city d’Alex Proyas et Mega-city one, la mégalopole de Dredd, où la loi est exercée par des policiers appelés « juges »), interprétant visuellement la dissociation psychique du protagoniste tout au long de la fouille. La réalité s’effondre sous la pression psychologique ; la subjectivité devient alors le seul espace de résistance. Dans ce territoire intermédiaire et surréaliste, l’esprit cherche à fuir l’oppression du présent en fabriquant des réalités alternatives, dans lesquelles le corps échappe aux outrages du contact et de la manipulation.
Dans Généalogie de la violence, il n’y a pas d’explosion brutale d’agression physique. Le pathos narratif progresse de manière presque imperceptible, sans jamais atteindre de point de rupture. Loin de la violence spectacularisée (omniprésente dans les médias et le cinéma), le film met en scène une violence plus subtile, sournoise, normalisée. Il opère par soustraction : ni apogée, ni catharsis, ni échappatoire. Ce qui persiste, c’est une tension diffuse et constante, où l’injustice ne se manifeste pas par un choc, mais par une oppression discrète, continue. Mohamed Bourouissa nous invite à regarder au-delà de la surface, à reconnaître une forme de violence devenue dangereusement ordinaire, voire normalisée, mais jamais acceptable.
Hands (2025) marque l’étape suivante. Avec ce projet, l’artiste poursuit sa réflexion sur la fragmentation du corps et la tension entre l’individu et les structures institutionnelles. Ce travail se compose d’images photographiques imprimées sur plexiglas, superposées à des grilles et des plaques métalliques. Issues de séries antérieures, ces images sont retravaillées par un processus de montage (on retrouve ici la méthode cinématographique), de recyclage et de réaffectation. Mains, gestes, fragments de corps sont extraits de leur contexte originel, puis réinsérés dans un nouveau réseau formel et conceptuel. Il en émerge une constellation de présences fracturées, comme confinées dans un espace excessivement contraint, piégées entre la surface et le support, entre le visible et l’invisible.
Le choix d’une grille métallique comme fond ne répond pas simplement à une considération formelle : il s’agit d’un dispositif architectural chargé de connotations, évoquant barrières, clôtures et cellules. Ce motif renvoie également aux grilles conceptuelles qui organisent les connaissances, classifient les sujets et codifient les comportements. Les images s’y superposent comme autant de fragments de résistance, de signaux vitaux tentant d’échapper à l’ordre établi.
La série Hands se situe à la lisière entre photographie et installation, entre geste d’archivage et corpus d’images évolutives et transformatives. La réutilisation de matériaux visuels existants relève d’un choix processuel autant que d’une prise de position politique : rien n’est jamais définitif, pas même l’image. Toute représentation peut être retravaillée, recontextualisée. Par ce processus de transformation continue, l’artiste questionne la notion même d’identité et d’image fixe, en proposant plutôt une vision instable, plurielle et en constante évolution de la réalité.
La référence à Antonin Artaud – explicitement formulée dans une phrase inspiratrice de toute la série : « La grille est un moment terrible pour la sensibilité, la matière » – fait écho au « Théâtre de la cruauté », dans lequel la scène est un espace de conflit et d’affrontement. À l’instar d’Artaud, Mohamed Bourouissa conçoit la grille comme un traumatisme, à la fois physique et spirituel. Elle incarne l’intermédiaire entre le sensible à l’inorganique : elle fige le vivant. Hands se dresse précisément contre cette immobilisation, en détournant la fonction purement documentaire généralement associée à la photographie, en particulier lorsqu’elle aborde des questions sociales, en un flux constant de récits et d’interprétations alternatives. Mohamed Bourouissa ne se contente pas d’archiver, il interroge, ne se limite pas à critiquer, met en crise tout un système. Son travail pousse les images au-delà de leur fonction représentative, pour en faire un objet de lutte, de réflexion et d’opposition.
(Texte de Francesco Zanot)