Il y a cinquante ans, l’irruption de la télévision dans les salons, la popularisation de la photographie et sa généralisation dans la publicité et la presse, et enRn le succès du cinéma, imposaient ce qui semblait être, à l’époque, une ultime dématérialisation des choses par l’image. Cette révolution des années 1960 ressemble aujourd’hui à une vaguelette dans le tsunami où nous sommes noyés. (…)
Dans cette ubérisation du monde où le temps indéterminé du selRe circulant sur le Web compte plus que le temps de notre présence dans un lieu donné, ce sont désormais des photos de pages de livres, postées sur Instagram, qui déterminent le succès de ces ouvrages. La pollution visuelle qui nous suffoque au quotidien, où les images véhiculées par le Web et les réseaux sociaux dirigent désormais notre manière de voir et d’être vus, n’est pas sans lien avec le fait que l’hyperréalisme intéresse de nouveau une jeune génération d’artistes. Apparus à peu d’années d’intervalle, le Pop Art puis le photoréalisme reçurent d’abord le même accueil glacial : était-ce la critique ou la célébration d’un royaume de la consommation, de la généralisation de la laideur, et d’un urbanisme sans urbaniste ?
Les deux furent discrédités pour le manque de professionnalisme des artistes : après tout, ces peintres ne se limitaient-ils pas à « copier » des objets et/ou des photographies, qu’ils se contentaient les uns et les autres d’agrandir ? Ce qui ressemblait à du cynisme nous semble aujourd’hui d’une incroyable fraicheur ; ce qui se faisait passer pour des copies a été depuis célébré comme de la peinture, dont nous redécouvrons, aujourd’hui, autant la complexité que la virtuosité formelle. Aussi faut-il se pencher de plus près sur ces toiles qui ressemblent à des images mais qui sont bien, de près, des tableaux. (…)
La demi-douzaine d’appellations du mouvement dit « photoréaliste » ou « hyperréaliste » (…), le nombre de textes écrits sur le choix d’un de ces termes et le nombre de critiques émanant des artistes du mouvement, en fait un des exemples les plus intéressants de « faux » mouvement de l’histoire de l’art. Est-il légitime de rassembler des artistes qui ont travaillé sans se connaître sur des sujets et avec des techniques similaires ? Les multiples expositions récentes et la découverte de générations postérieures, semblent valider le choix des critiques-galeristes qui avaient investi sur ce rassemblement. La question posée au mouvement– vrai ou faux ?- fait écho à celle que le mouvement pose, et ce n’est pas un hasard. Ces peintures faites à partir de photographies ne sont-elles que des copies « froides »c’est-à-dire un type de réalisme– ou le début d’un récitune forme d’irréalité ? Vraies ou fausses images ? Vrai ou faux mouvement ?
(Extraits du texte de Camille Morineau « les vrais fausses images de Robert Cottingham » in Robert Cottingham, Fictions in the Space Between édité par la galerie GP & N Vallois, 2019)