Chez les Chirac, on est candidats de père en fille, mari et femme, partout, pour tout : conseiller municipal, conseillère générale, conseillère départementale, président du conseil général, député, député européen, président du RPR, maire de Paris, président de la République. Candidat opiniâtre à l’instar de François Mitterrand, Jacques Chirac essuya deux revers dans la conquête de l’Élysée avant d’être élu à deux reprises. Retour sur un drame en quatre actes.

1981 : Le troisième homme

Longtemps cornaqué par l’influent tandem Pierre Juillet – Marie-France Garaud, toujours flanqué de Charles Pasqua, d’Alain Juppé et de quelques autres, Chirac se présente pour la première fois à l’élection présidentielle en 1981. Patron du RPR et maire de Paris, il est devenu une figure majeure de la droite républicaine. Troisième homme avec 18 % des voix derrière Valéry Giscard d’Estaing, président sortant, et Mitterrand, il entend peser sur le résultat final.

Le fait marquant : Acteur de la trahison

Prêt à tout pour évincer Giscard, dont il fut le Premier ministre de 1974 à 1976 avant de démissionner avec fracas, Chirac organise une manœuvre souterraine avec Mitterrand au cours d’un dîner secret chez Édith Cresson. Sous la houlette de Pasqua, les militants du RPR sont ainsi invités à s’abstenir ou à voter pour le candidat socialiste au deuxième tour. Battu, Giscard ne briguera plus jamais l’Élysée où Mitterrand, élu avec une faible avance, entame un règne de quatorze ans.

1988 : La défaite, oui, c’est Chirac

Le conservateur cocardier des années Pompidou a laissé place au libéral thatchérien. Désormais sous l’influence d’Édouard Balladur, son ministre de l’Économie, Chirac redevient Premier ministre de 1986 à 1988 dans une configuration inédite, la cohabitation. Après deux années de lutte sans merci avec Mitterrand, le chef du gouvernement se lance dans sa deuxième campagne présidentielle et décline son slogan : L’ardeur / Le courage / La volonté, oui, c’est Chirac.

Le fait marquant : Le débat raté

Pourtant bardé d’expérience, Chirac fait presque figure de petit garçon lors du débat de l’entre-deux-tours face à un Mitterrand cynique à souhait. Désireux d’apparaître comme l’égal de son adversaire mais trop respectueux, le candidat du RPR s’expose aux saillies assassines, dont la fameuse : « Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier ministre. » et la méconnue : « Vous n’avez pas le monopole du cœur pour les chiens et les chats. ». La défaite est sans appel.

1995 : Le président de tous les Français

« Papa s’est rejoint. » Tels sont les jolis mots de Claude, fille cadette et conseillère en communication, au sujet de la mue de son président de paternel. Chirac est ainsi élu à sa troisième tentative en prônant La France pour tous et la réduction de « la fracture sociale ». Sincérité pour les uns, démagogie pour les autres. Chirac affronte au deuxième tour Lionel Jospin, inattendu candidat socialiste qui ne peut que s’incliner face à la demande d’alternance politique.

Le fait marquant : Victime de la trahison

C’est bien avant le débat final que le nouvel hôte de l’Élysée doit mener sa plus rude bataille durant cette campagne présidentielle. En 1993, le RPR remporte les élections législatives mais Chirac laisse Balladur, son « ami de trente ans », devenir Premier ministre dans le cadre d’une nouvelle cohabitation. Le duel fratricide est inévitable, qui a lieu au premier tour. L’affrontement sanglant entre les deux camps divise durablement la droite républicaine et la mènera à sa perte.

2002 : Le rassemblement pour Chirac

L’incroyable septennat de 1995 à 2002 est marqué par une abracadabrantesque dissolution de l’Assemblée nationale en 1997 conduisant à une cohabitation de cinq ans entre Chirac et Jospin. Visé par les affaires liées à la mairie de Paris et au financement du RPR, Chirac contre-attaque, axe sa quatrième campagne sur le thème de l’insécurité et martèle « l’impunité zéro ». Premier ministre sortant, Jospin, mal inspiré, échoue dès le premier tour.

Le fait marquant : Le débat manqué

Dans un climat propice à la montée du Front national, Jean-Marie Le Pen crée la surprise en se qualifiant pour le deuxième tour. Le président en exercice se pose en rassembleur et refuse le débat avec un adversaire qu’il fustige en meeting : « L’extrémisme dégrade et salit l’image et même l’honneur de la France. » Le front républicain se mobilise alors contre Le Pen et pour Chirac qui, s’il n’a jamais dépassé les 20 % de voix au premier tour, obtient le score final record de 82 %.

Philippe Séguin résume dans une savoureuse formule le paradoxe de l’homme qu’il a longtemps accompagné : « Jacques Chirac est une sorte de Don Juan politique, plus préoccupé par la conquête ou la conservation du pouvoir que par son exercice. » Serre-la-louche hors pair, orateur d’inoubliables discours sur la mémoire de l’esclavage, la responsabilité de l’État français sous Vichy ou « Notre maison brûle », le candidat naturel laisse un bilan présidentiel très contrasté.