Avant de partir en vacances, j’ai reçu par mail le manuscrit de Jérôme Colin. De nature curieuse, je commence à lire les premières lignes qui m’attendent bien sagement dans la messagerie. Elles deviennent des pages. Dehors, des coups de klaxon. Je dois interrompre ma lecture. Tant pis : je finirai à mon retour.

(…) Eh bien non : impossible de m’arrêter. Je viens d’achever « Les Dragons » qui m’ont hanté pendant des heures. Fini. Sur mon téléphone portable. Pas pu attendre.

Magnifique de délicatesse, bien au-delà de la violence du sujet traité. Une visite, non, un plongeon immersif dans un centre pour adolescents perdus. Révoltés. Contre le monde. Pire : contre eux-mêmes. Fragiles. Confrontés à leurs premières amours… mortes ! Passagers d’une autre galaxie. Celle des incompris. Seuls, face aux démons. Les bras lacérés. Leur cœur aussi. Et tout ce qui n’est pas visible. À jamais détruits par les monstres. Ceux qui ont violé leur enfance. Dans le centre, ils sont devenus les dragons. Ils fument. Immobiles et taiseux, alors que les phrases brûlent et fusent dans leurs têtes. Tandis que la fumée qu’ils ingurgitent ressort de leurs naseaux, ils trouvent abri dans cet asile, devenu leur grotte. Qui tente de les protéger d’eux-mêmes et du monde extérieur. Isolés de nous, de la société qui, à défaut de les écouter et de chercher à les comprendre, les juge : anormaux. Du moins, c’est ce que les adultes disent.

Tout le monde connaît le célèbre adage que notre quotidien rend désuet : « l’habit ne fait pas le moine ». Demandez à un nord-africain de vous raconter comment il galère à trouver un emploi. Dans le refuge psychiatrique pour ados, Monsieur Colin nous présente un rustre malabar, une armoire à glace, un surveillant apparemment écervelé et autoritaire, qui est pourtant le seul à deviner ce que nos enfants enfouissent au plus profond d’eux-mêmes.

Et si on leur demandait de nous parler ? Et si on les écoutait ? Vraiment. Les entendre. C’est tout ce qu’ils demandent. Sans les juger. Alors peut-être que le monde n’aura plus besoin d’autant de psys, de professeurs, de policiers, de juges et de prisons. Donnons-nous la force d’aimer le faible, malgré nos faiblesses à toujours éviter ce qui est fort.

Le troisième roman de Jérôme Colin est d’une rare beauté. La vérité à l’état pur. « Les Dragons » nous embarquent en voyage. Celui vers les terres inconnues. Et ça commence par une rupture. Et un carton. Qu’on a laissé dans un coin depuis vingt ans. Va-t-on oser l’ouvrir ? Avec Jérôme, le héros de l’histoire, alors âgé de trente-cinq ans, nous remontons le temps. À la découverte de nos quinze ans. On quitte le monde normal des adultes pour une introspection à travers le regard rebelle, ou plutôt dans la peau, d’un adolescent rejeté. Nous partons avec lui à la découverte de soi, par les autres. Les dragons. Sa nouvelle famille. À la recherche du rêve. Le seul qui compte vraiment. Celui que tout un chacun désire. Celui qui donne un sens à la vie. Celui par lequel « on va entrer en elle ». Nous prenons les valises à la recherche de l’Amour avec un grand « A ».

Philip Roth ne cesse de le répéter : « Penche-toi sur ton passé. Répare ce que tu peux réparer. Et tâche de profiter de ce qui te reste ». Alors, on décroche le petit sapin qui sent les vieux parents, on éjecte la cassette de « Hotel California » pour insérer Eminem dans le lecteur du radiocassette de la voiture. Oserons-nous saisir la chance qui passe ? Ou la laissera-t-on passer ? En route pour le premier amour ? Peut-être que « les plans les mieux conçus des souris et des hommes » se réalisent quand même ?

Notes

Les Dragons de Jérôme Colin, chez Allary Éditions.
Parution le 24/08/2023.