Lorsque Facebook s’est renommé Meta en octobre 2021, il révélait son objectif de construire un « métavers ». Cette perspective me rend tantôt dubitatif, intrigué, indifférent, excité, irrité et même déprimé. Aujourd'hui, mon objectif sera d’aborder ce qu'est un métavers et comment il pourrait affecter la santé, les structures sociales, l'économie et les écosystèmes.

Qu’est-ce qu’un métavers ?

Un métavers1 est un lieu virtuel persistant en trois dimensions (3D) dans lequel les visiteurs peuvent interagir. Grâce à des casques de réalité virtuelle (VR ou virtual reality en anglais), un écran ou un projecteur 3D, les utilisateurs y perçoivent les distances et la profondeur, alors qu’ils peuvent déjà expérimenter des proto-métavers sur un écran « plat ». Les visiteurs du métavers utilisent un « avatar » pour choisir leur apparence et leur façon de parler. Un avatar reflète les préférences de son utilisateur, mais pas nécessairement la réalité.

Dans le monde physique, votre corps perçoit la réalité et interagit avec elle. Dans un métavers, vous aurez besoin d'un casque de réalité virtuelle (VR), d'un tapis roulant VR, de manettes ou de trackers de mouvement pour atteindre une illusion "immersive". Minecraft, une première version du métavers, ne nécessite qu'un clavier et un écran pour contrôler votre avatar, discuter avec d'autres et créer votre propre monde. À l'avenir, nous « sentirons » probablement les objets à travers des gants « haptiques » ou même des combinaisons intégrales. Des projections holographiques, lunettes VR voire des lentilles de contact supprimeront probablement les inconvénients des casques encombrants.

Certains métavers acceptent les monnaies numériques pour acheter et vendre des biens virtuels (ou réels). Dans la vraie vie, un titre de propriété ou une facture certifie la propriété d’une maison ou d’une voiture. Dans le métavers, c’est un jeton non fongible (NFT pour non-fungible token en anglais) stocké dans un coffre-fort numérique appelé « blockchain » qui atteste de la propriété d’objets. Certains métavers mélangent les mondes réel et virtuel. En réalité augmentée (AR ou augmented reality en anglais), vous voyez le monde réel avec une superposition virtuelle de texte, logos, signes, images, objets 3D, Pokémons ou le visage de votre patron ressemblant à un cochon. Avec des lunettes AR, vous pourriez redécorer votre maison, vous promener dans votre quartier en 1950 ou voir Pompéi lors de l'éruption du Vésuve.

Ce qui est commun à tous les métavers, c'est leur « persistance » : après avoir éteint votre casque VR ou votre ordinateur, le « vous » virtuel subsiste… ou des arbres virtuels peuvent pousser dans votre rue. Par malchance, quelqu'un pourrait vous cambrioler et tuer votre avatar ! Vous pourriez en être averti sur votre vrai téléphone portable et invité à payer pour recommencer une nouvelle "vie". Pour accéder au métavers, vous avez besoin de la même infrastructure que celle utilisée pour naviguer sur la toile, publier des vidéos, envoyer des e-mails ou utiliser votre app bancaire. Le métavers ne remplacera pas Internet. Quand rien n'est à vendre, le métavers n'a pas besoin de blockchain. Certains métavers accepteront les cartes bancaires. Dans ce cas, inutile de sortir votre portefeuille virtuel de NFT ou de crypto-monnaies.

Des origines à aujourd’hui

Le terme anglais « metaverse » a été inventé pour la première fois par Neil T. Stephenson dans son roman de science-fiction de 1992 Snow Crash, ou Le Samouraï Virtuel dans sa traduction française. Ce livre visionnaire décrit un métavers où les gens peuvent échapper à un monde réel corrompu. Depuis, quelques métavers de base sont apparus. Vous, vos amis ou vos enfants avez peut-être visité l'un d'eux : SecondLife, Roblox, Minecraft, VRChat, Fortnite. Dans Horizon Worlds (pas encore disponible en France) de Meta, vous pouvez assister à des événements virtuels et discuter avec des avatars.

Les métavers ouvrent de nouvelles opportunités pour les grandes et petites entreprises. De nombreuses spéculations sont attendues autour de l'immobilier du métavers, surtout si vos voisins sont célèbres (dans la vraie vie). Le voisin virtuel du rappeur Snoop Dogg a payé 450 000 dollars réels pour une propriété dans le métavers. Un propriétaire virtuel fou ou visionnaire ?

Big tech et gros sous

Meta a déjà investi et perdu plus de 9 milliards de dollars US dans son propre métavers. Peut-on imaginer les projets utiles qu'un montant aussi ridicule permettrait d’accomplir ? Tout investisseur devrait se demander pourquoi les « Big Tech » sont capables de dépenses aussi démesurées.

Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?

Le métavers pourrait capturer des données sur votre position, vos mouvements, vos expressions, votre fréquence cardiaque et vos ondes cérébrales. La confidentialité de ces données biométriques ultra-sensibles est à haut risque. Les métavers ne feront qu'augmenter la quantité et la sensibilité des données qui alimentent le «capitalisme de surveillance ».

Les équipements numériques personnels et les centres de données VR/AR des métavers nécessiteront des quantités insensées de matériaux et d'électricité pour être construits et fonctionner... dans notre monde réel ! Tandis que les réseaux transporteront d'énormes quantités de données qui consommeront davantage d' énergie. La construction d'appareils électroniques modernes nécessite près de 50 métaux de plus en plus rares et coûteux. Ces métaux ne peuvent être extraits sans impact sur les écosystèmes et les communautés autochtones.

L'addiction aux écrans et aux jeux vidéo est déjà un problème de santé publique, et elle est en augmentation2 . Des enfants de plus en plus jeunes présentent des symptômes, notamment une capacité réduite à apprendre, à se concentrer et à se connecter à leur environnement. En 2022, les adolescents passent plus de temps devant leurs écrans que devant leurs professeurs. A n'en pas douter, un métavers immersif conduira à davantage de temps d'écran. Étant donné que l'accès au métavers nécessite un casque VR coûteux et un ordinateur puissant, ses risques seront-ils limités aux nantis ? Les enseignants donneront-ils la possibilité de refuser les expériences de réalité virtuelle aux élèves qui ne veulent pas risquer une déficience visuelle ?

Vers un nouveau monopole ?

Seuls quelques grands acteurs de la tech ont la capacité financière de construire un métavers. Alors que Meta y a perdu des milliards (et licencié des milliers d'employés), il ne semble pourtant pas renoncer à son objectif de construire un métavers immersif. Le public pourraient pâtir de ce manque de concurrence. Le risque d'investissement est énorme pour les particuliers et les entreprises qui, par exemple, paient des dizaines de milliers de dollars pour un « terrain » du métavers. Alors qu’un terrain bien réel ne peut pas disparaître, une propriété virtuelle n'est qu’un tas de données. Il peut disparaître en un clin d'œil, dans l’éventualité d'une défaillance technique, d'une attaque de pirate informatique ou d'une plateforme de métavers en faillite.

Dans le métavers, la régulation est inexistante. Un implant cérébral peut déjà comprendre les intentions de mouvement d’un singe qui joue à un simple jeu vidéo, grâce à la technologie Neuralink d'Elon Musk. Devons-nous autoriser les implants dans le cerveau des enfants pour en faire des joueurs plus rapides ? Sommes-nous contraints de tolérer une nouvelle technologie coûteuse qui nécessite des ressources rares et non renouvelables extraites de la croûte terrestre, alors que tant de personnes manquent de nourriture, d'eau potable et de logement ?

Utile ou futile ?

Une publicité radio / tv prétend que les chirurgiens pourront exercer leurs compétences dans le métavers. L'industrie de la téléphonie mobile affirme que la 5G aidera les chirurgiens à opérer à distance. Ce sont deux fausses allégations. La réalité virtuelle et la réalité augmentée pourraient en effet aider à former des chirurgiens et de nombreux autres professionnels. Cependant, en réalité, les chirurgiens n'auraient besoin que d'un casque VR, d'un logiciel de formation et d'une connexion, pas de tout un métavers. En attendant, attendez-vous à plus de fausses déclarations de la part des entreprises qui dirigent la technosphère.

Certains scientifiques pensent que le métavers pourrait renforcer la sensibilisation et l'action du public face aux problèmes environnementaux, ou encore qu'il pourrait simuler des scénarios complexes de changement climatique. Ici, je ne peux qu'être en désaccord : les modèles climatiques ou les applications VR n'ont pas besoin d'un métavers.

Le métavers a-t-il besoin de la 5G ou de la 6G ?

En février 2022, un rapport d'Interdigital résumait la vision de la 6G et la reliait au métavers : « La 6G promet de brouiller les frontières entre les espaces virtuels et réels. La réalisation du métavers reposera sur un déploiement généralisé de réseaux sensoriels interconnectés, notamment des caméras, des photodiodes, des capteurs inertiels, des capteurs de temps de vol, des capteurs ambiants et des capteurs biométriques. »

Pourquoi une personne portant un casque VR/AR ou d'autres capteurs en usage intérieur aurait-elle besoin d'un réseau mobile 4G/5G/6G ? Pourquoi ne pas utiliser la technologie filaire ? La fibre optique est plus rapide, plus fiable et plus sécurisée. Si la liberté de mouvement s’avère nécessaire, le Wi-Fi ou le Wi-Gig peuvent être utilisés à l'intérieur comme à l'extérieur au lieu de la 4G, 5G ou 6G mobile. Il s’agit là d’une réalité fondamentale en matière d'économie d'énergie et de santé.

Similitudes avec la 5G

Le métavers et la 5/6G nécessitent tous deux la construction d'infrastructures massives qui consommeront d'énormes quantités d'énergie, et pourtant leur utilité sera vraisemblablement très limitée pour les individus. Les pénuries de puces électroniques ne font que commencer. Ceci démontre qu’il serait temps de prioriser où les ressources non renouvelables doivent aller. Plutôt que d'un métavers, nous avons besoin au contraire de services numériques à haute valeur ajoutée qui nécessitent peu d'extractions, peu d'énergie, un minimum de données, une infrastructure existante et des portables et ordinateurs existants.

Conclusion

Alors que notre société atteint de nouveaux sommets de non-durabilité, certaines entreprises mettent en avant des besoins artificiels sans se soucier de la survie de notre civilisation. Les lobbyistes des télécoms ont convaincu la Commission européenne de rendre la 5G obligatoire dans tous ses États membres. La Commission européenne soutient sans vergogne les intérêts de l'industrie sans se soucier des écosystèmes ou de la santé publique. Combien de temps le peuple tolérera-t-il encore de vivre dans une technocratie si mal réglementée ?

L’émergence des scandales Covid et 5G3 (ainsi que ceux du tabac, de l'amiante, du dieselgate et du phonegate) montre que nous avons besoin d'une réglementation indépendante, et non de l'influence des lobbies. La technologie doit profiter à tous et non à quelques riches actionnaires et soutenir un retour à une société durable.

Notes

1 La description de Meta est bien plus longue, commerciale et plus spécifique à leur vision : Le métavers désigne un ensemble d’espaces digitaux, comprenant des expériences immersives en 3D, qui sont tous interconnectés afin que vous puissiez facilement vous y déplacer. Vous pourrez y réaliser des actions impossibles pour vous dans le monde réel, comme rencontrer des personnes qu’il vous serait impossible de côtoyer physiquement en temps normal. Il s’agira d’un environnement hybride fondé sur les expériences sociales actuelles en ligne, parfois étendues en 3 dimensions ou projetées dans le monde réel, mais coordonnées harmonieusement afin que vous puissiez facilement accéder aux différentes expériences.
2 Vidéo Génération écran, génération malade (Arte), septembre 2020, L'addiction aux écrans : héroïne numérique, Envoyé Spécial, (France 2), janvier 2018.
3 La 5G est inutile pour les particuliers selon des experts du secteur :
a) William Webb, The 5G Myth, 3e Edition, 2019.
b) Sénat de France, audition du PDG de Bouygues Telecom Olivier Roussat : “(…) la 5G apporte deux éléments : d'abord, pour les clients, le fait de voir apparaître un 5 au lieu du 4, que le client jugera plus efficace par réflexe. En revanche, elle ne changera rien au quotidien du consommateur (…). La rapidité, en effet, ne sera pas réellement perceptible. (…) Il s’agit d'un intérêt opérateur, qui n'est absolument pas perçu par le consommateur final.”