Au-dessus de nos têtes, des satellites artificiels font la guerre aux étoiles. Sur Terre, une poignée de chefs d’entreprise prévoient de mettre des centaines de milliers de satellites en orbite basse, en plus des 50001 satellites déjà lancés. Au total, ces satellites seront dix fois plus nombreux que les étoiles visibles à l'œil nu.

Dans un article précédent, j'ai décrit les méga-constellations de satellites de télécommunications et discuté des profondes préoccupations des astronomes à leur sujet. Je suis moi-même astronome (très) amateur. Ce que j’apprends au sujet des impacts environnementaux de ce programme spatial sans précédent continue de me choquer.

Elon, chéri, tu peux sortir les poubelles de l'espace ce soir ?

Depuis les années 1950, les satellites de communication sont utilisés pour le transfert à longue distance de la voix et des données. La plupart des satellites ne reviennent jamais sur Terre. A la fin de leur vie utile, ils deviennent des déchets. Aujourd'hui, des millions d'objets orbitent autour de la Terre. La plupart d'entre eux ne fonctionnent plus : ce sont des déchets spatiaux.

Moriba Jah2 de l'Université du Texas explique que certains de ces déchets sont aussi minuscules qu'un grain de peinture ; certains sont aussi gros qu'un autobus scolaire. Moins d'un pour cent de ces objets sont suivis. Les objets de moins de 10 cm ne peuvent tout simplement pas être suivis. Se déplaçant à plusieurs kilomètres par seconde (des dizaines de milliers de kilomètres par heure), les débris spatiaux entrent parfois en collision ou explosent, créant encore plus d'objets dangereux, petits et introuvables, qui peuvent endommager des satellites utiles ou des vaisseaux spatiaux habités.

Il n'y a pas de règles de circulation dans l'espace3. En 2020, la Station spatiale internationale (ISS) habitée a failli subir trois collisions catastrophiques avec des débris spatiaux. Les opérateurs de satellites ne partagent pas toujours leurs informations et leurs opinions sur la localisation des débris spatiaux peuvent différer. En 2019, un satellite de l'Agence spatiale européenne (ESA) risquait d'entrer en collision avec l'un des satellites Starlink d'Elon Musk, mais l'Agence n'a pas pu joindre les opérateurs de Starlink. Le satellite de l'ESA a donc dû changer d'orbite, rapidement.

Lorsque l'espace s’encombre de trop de débris, une série de collisions se produit. Chaque collision produit plus de débris, ce qui augmente davantage le risque de collisions. Ce phénomène appelé « syndrome de Kessler » 4 ne peut être géré qu'en débarrassant activement nos déchets spatiaux.

Une masse des déchets

Le rapport du journal scientifique Nature du 1er mai 2021 révèle que chacun des satellites d'Elon Musk ne fonctionne que pendant cinq à six ans, soit moins qu'un ordinateur personnel. Musk jure qu'il sortira ses déchets en faisant rentrer dans l'atmosphère ses satellites morts pour les transformer en poussière. Ainsi, à côté de ses 42 000 satellites prévus en fonctionnement, attendez-vous à tout moment à 4 200 satellites supplémentaires en désorbitation. Attendez-vous aussi à 8 400 nouveaux satellites lancés chaque année pour remplacer ceux qui ne fonctionnent plus.

Chaque jour, Starlink pourra produire à lui seul environ six tonnes de déchets électroniques qui réintègrent l'atmosphère terrestre. Ces déchets augmentent le risque de collisions en cascade avec des débris non suivis. En effet, "un événement majeur de fragmentation d'un seul satellite pourrait affecter tous les opérateurs [de satellites] en LEO [Low Earth Orbit = orbite terrestre basse]".1

Faites un vœu quand un satellite retombe !

Lors de la rentrée des satellites dans l'atmosphère, des pièces relativement lourdes peuvent retomber, pouvant blesser des personnes, la faune et endommager des biens. La NASA recommande un risque de pertes humaines inférieur à 1/10 000 par rentrée de satellite. Cependant, les permis de lancement ne tiennent pas compte des risques cumulés ou combinés posé par le lancement de centaines de milliers de satellites. Les opérateurs ne respectent pas toujours les normes de sécurité1. Les scientifiques constatent que des morceaux de plus de 10 cm pourraient ne pas se désintégrer complètement lorsqu'ils retombent sur Terre5. Pourtant, SpaceX affirme que leurs satellites de nouvelle génération se désintégreront complètement en poussière. Aucune agence officielle n'a vérifié cette affirmation et aucune agence ne peut exiger d'autres opérateurs de satellites qu'ils retransforment leurs débris en poussière.

Si vous voyez un satellite tomber, faites le vœu que tout le monde reste en sécurité !

Produits chimiques et appauvrissement de la couche d'ozone

Lors du lancement d'un satellite, du carburant de fusée (par exemple, l'hydrazine) et des pièces de fusée contenant des substances dangereuses peuvent retomber dans l'océan et nuire à la vie marine.1

Dans la haute atmosphère, les températures élevées créées par frottement, entraînent la formation de produits chimiques consommateurs d'ozone6. L'ozone fournit une couche protectrice autour de la Terre. L'épuiser augmente l'exposition des personnes à la lumière ultraviolette du soleil et le risque de cancers de la peau.

Il y a quarante ans, le scientifique de la NASA Michael Zolensky cherchait de la poussière de comète et d'astéroïde dans la haute atmosphère. Il a surtout trouvé des particules d'échappement de fusée, des peintures de protection de vaisseau spatial et de l'aluminium. Les ingénieurs spatiaux le savent-ils ? Martin Ross de The Aerospace Corporation confirme un manque de communication interdisciplinaire. Les scientifiques et les ingénieurs doivent se parler, mais "cela n'arrive généralement pas".

Les déchets satellitaires quotidiens moyens de Starlink (six tonnes) augmenteront considérablement les dépôts d'aluminium dans la stratosphère7. Lorsque l'aluminium des caissons de satellites brûle, de l'oxyde d'aluminium (alumine) se forme et peut appauvrir la couche d'ozone. Des boîtiers de satellites en bois (développés au Japon) seraient-ils moins nocifs ?

Mais ce sont les fusées à combustible solide qui causent le plus de dommages à la couche d'ozone, en raison de leurs émissions de chlorure d'hydrogène et d'alumine1.

Prévisions météo et réchauffement climatique

Le déploiement de réseaux de télécommunication 5G qui utilisent des fréquences d'ondes millimétriques à la surface de la Terre pourrait perturber considérablement les observations météorologiques et climatiques par satellite8. Outre les radiofréquences 5G basées sur la Terre, des fréquences encore plus élevées utilisées par les futures constellations de satellites pourraient interférer avec les observations météorologiques. La constellation de Facebook est encore expérimentale, mais elle pourrait utiliser des fréquences proches de 88,2 gigahertz que les satellites d'observation météorologique9 utilisent actuellement.

Les lancements spatiaux ont des effets potentiels significatifs sur le réchauffement climatique10. Certains lanceurs de satellites telles que la fusée Falcon 9 de SpaceX consomment du kérosène liquide et libèrent de la suie (carbone noir). Les fusées à combustible solide produisent des particules d'alumine. Tout cela augmente l'effet de serre. Le réchauffement climatique lié aux fusées au kérosène a été modélisé pour 1 000 lancements de fusées annuels pendant une décennie. Les scientifiques constatent que les effets de serre de ces fusées à kérosène sont comparables aux émissions de l'aviation.

La fusée Starship de SpaceX, la plus puissante jamais construite, alimentée au méthane liquide, peut lancer 400 satellites Starlink en même temps. La combustion du méthane produit également de la suie pouvant augmenter le réchauffement climatique. Enfin, les carburants liquides de fusées peuvent avoir un impact sur les formations nuageuses et sur le climat de la Terre.

Des rayonnements sur Terre et au-dessus de la Terre

La magnétosphère (l'enveloppe magnétique entourant la Terre) protège notre planète du rayonnement des particules solaires et cosmiques. Quel serait l’impact du rayonnement micro-ondes émis par les satellites sur la magnétosphère ?

Les ceintures de Van Allen entourent et protègent la Terre avec des charges électriques. Les émissions de rayonnement micro-ondes des satellites pourraient-elles drainer les électrons des ceintures de Van Allen dans l'atmosphère et modifier ses propriétés électriques ?

Comment les résonances de Schumann, les « battements de cœur » électromagnétiques de l'atmosphère auxquels les êtres vivants sur Terre sont accordés, sont-elles affectées par les émissions des satellites ?

Les satellites émettent des quantités massives de rayonnement micro-ondes jour et nuit depuis la magnétosphère et à travers l'atmosphère. Quel effet cela a-t-il sur la magnétosphère et l'équilibre électromagnétique de toute vie sur Terre ? Les experts en la matière ne devraient-ils pas étudier ces conséquences avant de déployer d'autres satellites ?

Très peu d'études se penchent sur les impacts des ondes millimétriques sur les plantes et les animaux10. Par conséquent, il est presque impossible de prévoir les effets sur la biodiversité de dizaines de milliers de satellites émettant des ondes millimétriques. Tant que les déploiements se poursuivront, nous risquons d'accélérer davantage la perte de biodiversité.

Contrairement aux réseaux terrestres, les constellations de satellites rayonneront même dans les zones à faible densité de population. Les humains et la faune n'auront plus aucun endroit échappant au rayonnement micro-ondes ou à ses effets potentiellement nocifs.

Le gigantesque circuit électrique de la Terre permet un flux permanent d'électrons de l'ionosphère vers la surface de la planète, et de retour vers l'ionosphère lorsque la foudre frappe. Selon la médecine orientale, ce courant électrique circule à travers nos chakras et nos méridiens. Les effets potentiels sur la santé des satellites interférant avec les champs électromagnétiques naturels de la Terre n'ont pas été étudiés.

Qui est en charge ?

Le Traité de l'espace extra-atmosphérique de 1967 définit la responsabilité des pays concernant les conséquences du lancement de fusées depuis leur sol. Malgré de bonnes intentions, ce traité permet aux nations et aux entreprises de remplir l'espace avec un nombre illimité d’objets spatiaux.

Nous avons besoin de limites, de réglementation et de surveillance, et pourtant l'Union internationale des télécommunications (ITU) approuve les déploiements débridés. L'ITU interdit uniquement aux nouveaux équipements d'interférer avec les équipements existants. Le premier opérateur à se voir accorder l'accès à une fréquence ou à une orbite spécifique peut continuer à renouveler sa licence indéfiniment et empêcher d'autres opérateurs d'accéder à cette fréquence ou à cette orbite. Les nouvelles règles de l’ITU exigent qu'un opérateur mette ses satellites en service peu de temps après le dépôt de la demande. De telles politiques favorisent les grandes entreprises capables de produire des satellites industriellement et de respecter ces délais.

Les États-Unis ont accordé à Starlink près de 900 millions de dollars de fonds publics pour fournir une couverture Internet aux utilisateurs ruraux. La société utilise également l'argent des contribuables pour couvrir les villes denses, ce qui suggère que le financement public soutient les technologies sans fil, plutôt que des connexions filaires plus économes en énergie et sécurisées.

L'augmentation constante des débris spatiaux peut être limitée par la désintégration (désorbitation) des satellites dans l'atmosphère. Cependant, il n'y a pas de règles contraignantes pour les opérateurs de satellites. Les directives actuelles sont obsolètes et inappropriées pour les méga-constellations. Aaron Boley, de l'Université de la Colombie-Britannique, a indiqué que ces méga-constellations émergentes auront besoin d'une meilleure gouvernance, et rapidement. Les ingénieurs aérospatiaux pourraient-ils évaluer et atténuer les risques cumulés des méga-constellations ? Les risques potentiels pour l'environnement, le climat et la santé pourraient-ils être mis en balance avec les risques liés à la chute de débris de satellites ? L’ITU est-elle à la hauteur de ces tâches ?

Qu'est-ce qui compte le plus : permettre aux riches entreprises de construire ce qu'elles veulent, sans relâche, ou respecter le ciel et la Terre et limiter la croissance des télécommunications ?

Une éruption solaire pourrait couper le courant

Les éruptions solaires11 comptent parmi les événements les plus violents de notre système solaire. Ils se produisent lorsque le champ magnétique du soleil change brutalement et soudainement, émettant d'énormes quantités de particules chargées électriquement à des milliers de kilomètres par seconde. Lorsqu'une puissante éruption solaire a frappé la Terre en 1859, elle a créé une tempête solaire mettant le feu aux bureaux de télégraphe nord-américains et produisant des aurores boréales au-dessus d'Hawaï12.

Si une éruption similaire atteignait la Terre aujourd'hui, elle assommerait tous les satellites, ainsi que tous les systèmes d'accès à Internet et bancaires dépendants des satellites. Les réseaux électriques pourraient être coupés pendant des mois !13 En l'an 774, une éruption solaire vingt fois plus importante a peut-être frappé notre planète. En 1989, un événement beaucoup plus léger a provoqué une panne de courant à grande échelle durant 9 heures au Québec, et les satellites ont perdu le contrôle. Alors que nous pouvons désormais prévoir les éruptions solaires majeures quelques jours avant qu'elles ne nous frappent et couper préventivement les réseaux électriques, les satellites restent vulnérables.

Conclusion

Les méga-constellations de satellites peuvent fournir une connectivité Internet ultra-rapide aux consommateurs et aux opérateurs de réseaux mobiles partout sur Terre. Cependant, leurs impacts sur l'environnement ont été peu étudiés alors que les premiers rapports mentionnent des effets substantiels sur le changement climatique. Les lancements de fusées émettent une variété de substances produisant un puissant effet de serre. La poussière produite par la désintégration des satellites pourrait également accélérer le réchauffement climatique.

En termes de vitesse et de sécurité des données, la fibre optique et les câbles sont de bien meilleures alternatives ; ils offrent également une excellente latence. Les latences légèrement inférieures proposées par les méga-constellations sont essentiellement utiles au trading financier automatisé. Certains opérateurs de constellation proposent d'utiliser beaucoup moins de satellites, ce qui pourrait offrir un bien meilleur équilibre entre qualité de service, impacts environnementaux et coût.

L'espace est un domaine sous-réglementé. Les grandes entreprises privées peuvent déployer leur technologie sans limites, puis tenir les nations responsables de leurs erreurs. Les conséquences inconnues du déploiement de méga-constellations de satellites sur l'environnement, la santé et l'astronomie, soulèvent le besoin urgent de réglementations internationales conçues par des experts en la matière. Arrêtons de promouvoir et d'accepter aveuglément les technologies sans fil telles que la 5G et les méga-constellations de satellites. Soutenons les technologies filaires durables, même dans les zones reculées. Les zones très isolées peuvent profiter de l'Internet à haut débit avec seulement quelques dizaines de satellites, et non des dizaines de milliers.

Les consommateurs peuvent exiger que les opérateurs Internet locaux fournissent une connectivité à haut débit filaire, fiable et abordable. La connaissance des limites des ressources de la Terre devrait pousser les entrepreneurs et les ingénieurs à faire le meilleur usage possible de la technologie et de l'infrastructure dont nous disposons déjà. Le lancement de milliers de satellites pourrait répondre aux objectifs de quelques milliardaires avides, mais pas d'une société durable.

Notes

1 Aaron C. Boley & Michael Byers, Satellite mega constellations create risks in Low Earth Orbit, the atmosphere and on Earth, mai 2021. Note: 12 000 satellites Starlink en orbite produiraient presque 2 tonnes de débris par jour. 42 000 satellites produiraient presque 6 tonnes par jour.
2 Moriba Jah, The world’s first crowdsourced space traffic monitoring system, TED Talk, 2019.
3 Anusuya Datta, What are we doing about space traffic management?, janvier 2021.
4 Leonard David, Space Junk Removal Is Not Going Smoothly, avril 2021.
5 How Everything Works, Popular Science Special Edition, 2019.
6 Leonard David, Space Junk May Be Harming Earth's Atmosphere, 2009 (mise à jour 2015).
7 Mike Brown, SpaceX Starlink: how it could kickstart an ‘uncontrolled experiment’, mai 2021.
8 Alexandra Witze, Global 5G wireless deal threatens weather forecasts, 2019.
9 Sidharth Misra, American Meteorological Society conference, 2019.
10 Arno Thielens, Effects on Wildlife (Flora and Fauna) of 5G, EU Parliament STOA initiative, mai 2021.
11 CNRS Press Release : Une nouvelle piste pour prédire les éruptions solaires ? Observatoire de Paris, 2017.
12 Tony Phillips, Getting Ready for the Next Big Solar Storm, NASA Science News, 2011.
13 Nicola Jones, Planetary disasters: It could happen one night, Nature, 2013.