Je ne peux pas imaginer ma vie sans voiture. Ma femme et moi avons chacun un véhicule pour rejoindre la gare et travailler en ville, nous rendre chez des clients et amener notre fille à l’école. Les supermarchés sont à des kilomètres. En vacances, la voiture familiale est plus pratique, économique et durable que l’avion.

Même lorsque je covoiturais avec quatre collègues, j’avais besoin de ma propre voiture pour rejoindre notre point de rendez-vous. J’ai eu beau rêver de voitures partagées, je ne sais pas comment les banlieusards comme moi arriveraient au parking. Le partage de voitures ne semble pas encore adapté non plus aux voyages internationaux.

Dans mon pays (la Belgique), les contribuables qui en ont les moyens ont tout intérêt à opter pour un véhicule électrique (VE) et des panneaux photovoltaïques sur leur toit. Mais ces opportunités subventionnées réduisent-elles vraiment notre consommation globale d’énergie ? Ou réduisent-elles simplement les factures énergétiques individuelles ?

La voiture électrique : une révolution ?

J’aurais plusieurs raisons de faire l’éloge des véhicules électriques. Mais ce serait faire l’impasse sur la nécessité de mitiger les conséquences sur les écosystèmes et la santé publique, liées à leur fabrication, leur exploitation et leur mise au rebut. La fabrication des imposantes batteries de VE implique l’extraction de minerais, une consommation d’énergie et des émissions de carbone proportionnelles à la capacité électrique de la batterie. En raison des batteries, la fabrication d’un véhicule électrique émet environ deux fois plus de CO2 que la fabrication d’un véhicule à moteur à combustion interne (ICE - Internal Combustion Engine) de même poids. La production du lithium contenu dans les batteries nécessite de grandes quantités d’eau, rationne la consommation d’eau des agriculteurs et renvoie de l’eau toxique dans les cours d’eau.

La plupart des moteurs de VE utilisent de puissants aimants fabriqués à partir de néodyme, dont l’extraction fait des ravages sur les écosystèmes et la santé publique, principalement en Chine. Les batteries de VE utilisent des métaux extraits tels que le lithium, le cobalt, le nickel et le manganèse. En République démocratique du Congo, des enfants ont été enterrés vivants dans l’extraction du cobalt. Je reste perplexe quant à la possibilité d’extraire du minerai de manière écologique ou éthique.

Labéliser un véhicule électrique « vert » ou « zéro émission » relève du marketing. C’est sans compter la production d’électricité utilisée pour le recharger, l’énergie ou le CO2 impliqués dans la fabrication des bornes de recharge et enfin les nombreux renforcements nécessaires du réseau électrique.

Peut-on parler d’électricité “verte” ?

Le charbon, champion des émetteurs de gaz à effet de serre (GES) et émetteur de particules fines, alimente 50 % ou plus du réseau électrique dans de nombreux pays. Appeler un véhicule électrique rechargé à partir de charbon ou de pétrole « zéro émission » est réellement trompeur. Dans de nombreux pays, recharger sur le réseau émet autant voire plus de CO2 que rouler en véhicule à combustion interne ! L’électricité produite à partir de gaz naturel émet également du CO2 mais évite l’émission de particules.

Voici la carte de 2021 de la part d’électricité produite à partir de combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole).


China

L’Union européenne prévoit d’interdire la vente de voitures neuves à carburant fossile d’ici 2035. Si ce plan se concrétise, nous devrons changer radicalement nos habitudes de conduite. Selon Jean-Marc Jancovici du Shift Project, avec un parc automobile 100% électrique, la France aurait besoin à elle seule de 18 nouveaux réacteurs nucléaires pour recharger ses véhicules, maintenir les habitudes de conduite et réduire ses émissions de CO2 au minimum. Pour éviter cette situation, Jancovici suggère que la France devrait diviser le nombre de voitures par cinq, les utiliser quatre fois moins, fabriquer des voitures trois fois plus légères et les recharger avec une électricité décarbonée telle que l’énergie nucléaire et/ou hydraulique. Les systèmes éoliens et solaires photovoltaïques intermittents ne peuvent pas fournir d’électricité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, contrairement au gaz naturel, au charbon, à l’hydroélectricité, au nucléaire et à la géothermie. Mais la France reste un cas à part. Elle atteint déjà plus de 80 % d’électricité produite à partir de sources non intermittentes (dites « pilotables » dans le jargon de l’énergie) à faibles émissions de carbone : 68% de nucléaire, 12% d’hydraulique, 2% de biocarburants, déchets et géothermie combinés. Une autre nation d’exception est l’Islande. Elle produit 100% d’électricité sans carbone : hydraulique 69%, géothermique 31% mais l’Islande est dotée d’un sous-sol volcanique unique et ses besoins énergétiques sont limités. Dans la plupart des autres pays, pour recharger les véhicules électriques et minimiser les émissions de gaz à effet de serre, le seul choix reste de construire davantage de centrales nucléaires.

Les voitures électriques sont-elles efficaces ?

Le rapport 2020 du Shift Project compare l’impact carbone par type de véhicule et montre que l’efficacité des VE est 2,5 fois meilleure que celle des ICE. L’analyse de Jancovici tient compte des pertes estimées dans le réseau électrique (8%), les batteries (20%), l’alimentation du moteur (20%) et le chauffage de l’habitacle de la voiture (20%).

En mai 2022, le VE le plus économe du marché, la Tesla Model 3, consomme 151 Wh/km. Oubliez les "litres aux cent" et répétez après moi : "watt-heures au kilomètre". Mais la consommation et l’autonomie dépendent des conditions de conduite et de la météo. Conduire cette voiture sur l’autoroute par temps froid devrait consommer 209 Wh/km (+ 38%) ; la conduire en ville par temps doux consommerait 104 Wh/km (- 31%). Rouler 25000 km par an devrait consommer 3775 kWh (kilowatt-heures), plus 12 à 15 % supplémentaires de pertes d’électricité lors de la charge de la batterie (d’autres pertes se produisent, notamment lors de la conduite et de l’utilisation de la batterie). La recharge à domicile doublera la consommation d’électricité d’un ménage occidental moyen.

Bien que les ingénieurs visent à améliorer l’efficacité et à réduire la consommation d’énergie, les constructeurs continuent de proposer des voitures de près de deux tonnes embarquant des moteurs très performants et de nombreux accessoires de luxe. Les voitures les plus légères sous les 100 000 EUR offrant une autonomie réelle au-delà de 300 km (limites arbitraires pour illustration) sont la MG MG5 avec 1550 kg à vide et la Renault ZOE avec 1577 kg.

VE : le cauchemar du pompier ?

Les pompiers peuvent utiliser jusqu’à 100 000 litres d’eau pour éteindre un seul incendie de véhicule électrique, soit autant que la caserne d’une ville de cent mille habitants durant un mois. L’extinction complète d’un VE nécessite 24 heures de présence car les batteries peuvent reprendre feu. Un incendie de véhicule électrique dans un garage peut détruire complètement un bâtiment ou altérer sa structure porteuse de façon permanente.

En revanche, selon le rapport d’impact 2020 de Tesla, les incendies de voitures Tesla se produisent onze fois moins que les incendies de véhicules à combustion. Pour l’ensemble du marché automobile, les statistiques confirment cette tendance avec même 60 fois moins d’incendies de VE par rapport à l’essence. Les voitures hybrides, cependant, présentent les risques d’incendie les plus élevés, soit plus de deux fois supérieurs à l’essence. Lorsque les batteries Li-ion (lithium-ion) seront remplacées par des batteries LFP (lithium-fer-phosphate) plus sûres, les risques d’incendie des véhicules électriques devraient être davantage réduits.

Je suis plus préoccupé par les vidéos de bricolage sur YouTube expliquant comment installer soi-même une borne de charge ou construire un câble de charge bon marché. En France, même les électriciens professionnels doivent suivre un programme de certification avant d’être autorisés à installer une borne offrant plus de puissance qu’une simple prise domestique. Les compagnies d’assurance nous rappellent que les problèmes électriques sont à l’origine d’un incendie sur trois dans les immeubles résidentiels.

La ceinture de sécurité ne suffit pas toujours…

Alors que la plupart des bornes domestiques et publiques prennent des heures pour recharger complètement une batterie, il existe des chargeurs rapides aux abords des autoroutes qui remplissent votre batterie en 20 à 40 minutes. La recharge rapide (à courant continu, ou DC en anglais pour Direct Current) rendent les longs trajets possibles, tout en obligeant les conducteurs à s’étirer toutes les deux à trois heures.

Pourtant, les courants électriques très élevés (des centaines d’ampères) qui circulent dans les véhicules électriques et certains câbles de recharge rapide produisent de puissants champs magnétiques pouvant interférer avec les implants médicaux. Les constructeurs automobiles, les opérateurs de bornes de recharge, les propriétaires de véhicules électriques, les médecins et les personnes munies d’implants doivent être conscients de ces risques.

Voitures autonomes, efficacité énergétique et batteries propres : les solutions pour notre salut ?

Si les problèmes évoqués jusqu’ici sont réellement pris en compte, je peux envisager un avenir pour les véhicules électriques. Mais quel défi !

Pourrait-on abandonner l’idée d’avoir une ou plusieurs voitures par foyer ? Les avancées technologiques dans le développement de véhicules entièrement autonomes sont étonnantes. Des voitures totalement autonomes devraient se retrouver sur le marché au cours de cette décennie. De nombreux propriétaires de voitures pourraient être convaincus de revendre leur voiture et d’utiliser un service de partage. Cependant, les réglementations ne sont pas encore adaptées. Mais avant tout, la technologie nécessite encore quelques ajustements. Aussi, l’autopartage réduirait considérablement la production et les ventes de voitures, ainsi que les bénéfices de l’industrie. Mais l’avenir de la planète ne devrait-il pas être notre première préoccupation ? En envisageant un avenir lointain, peut-on augmenter l’utilisation des transports en commun ou repenser les villes pour les rendre plus accessibles à pied et à vélo ?

Revenons aux batteries. Selon un rapport de l’Institut suédois de recherche sur l’environnement, la fabrication de batteries en 2019 a émis 61 à 106 kg de CO2e (par kWh de stockage), contre 150 à 200 kg en 2017. Une véritable amélioration en seulement deux années. Le rapport d’impact 2020 de Tesla montre des émissions élevées de 10 à 16 tonnes de CO2e par voiture1. Pourtant, selon Tesla, une Model 3 émettrait déjà moins qu’un moteur à combustion interne (ICE) après avoir parcouru 8600 km. En fait, il s’agit d’une moyenne. Comme le montre la carte ci-dessus, les émissions de CO2 provenant de la recharge pourraient être bien supérieures ou inférieures selon la façon dont le pays produit de l’électricité. De nombreux pays émettent encore beaucoup de CO2 lors de la production d’électricité, comme la Pologne, l’Inde, l’Australie, la Chine et bientôt l’Allemagne qui rouvre ses centrales au charbon. Dans ces pays, recharger une électrique sur le réseau émet beaucoup plus de CO2 que de rouler avec une essence ! Même la voiture électrique la plus économe émettrait 160 gCO2/km en Pologne2, tandis que les meilleurs véhicules ICE peuvent atteindre 90-100 gCO2/km.

Le rapport suédois souligne également le besoin de plus de transparence sur les conditions d’extraction et la traçabilité dans les chaînes d’approvisionnement du lithium, du cobalt, du nickel et du manganèse. Certains constructeurs automobiles, dont Ford, Tesla et Volkswagen, ont déjà réduit leur utilisation du cobalt… pour le remplacer par du nickel ! Or l’extraction et le raffinage du nickel émettent du dioxyde de soufre et de la poussière métallique, causant de graves problèmes de santé aux populations environnantes. Les rivières peuvent virer au rouge en raison de fuites de déchets de nickel oxydé.

L’énergie : notre prochain pire cauchemar ?

J’avoue être un technophile. J’aime les voitures, les gadgets et l’innovation. Pourtant, je me rends compte que pour qu’un monde durable puisse un jour émerger du mirage vert aveuglant devant nous, il nous faudra viser la sobriété. Nous devrons réapprendre à utiliser la technologie, y compris les voitures, à la lumière de besoins réévalués.

Malgré l’ambition insensée de la Commission européenne de n’autoriser que la vente de voitures électriques neuves d’ici 2035, nous ne pouvons tout simplement pas remplacer tous les véhicules à combustion interne par des véhicules électriques. Rendre obligatoire des véhicules roulant à l’électricité produite au charbon est un non-sens qui augmentera les émissions mondiales de carbone et de particules. Les batteries seront encore loin d’être durables, compte tenu des extractions, de l’énergie, du CO2 et des toxines impliquées dans leur fabrication. En fin de vie, les moteurs électriques et les batteries deviennent des déchets électroniques. Bien sûr, jeter tous nos véhicules thermiques existants pour les remplacer par des véhicules électriques… générerait des quantités de déchets inconcevables.

Je reconnais que l’industrie automobile s’efforce d’améliorer l’efficacité des véhicules. Mais en raison du paradoxe de Jevons (alias « l’effet rebond »), une efficacité meilleure augmentera probablement la consommation d’énergie globale. Nous devons viser une diminution de la consommation d’énergie dans son ensemble, non pas seulement une diminution en watt-heures au kilomètre.

J’exhorte les gouvernements à encourager le covoiturage et les villes praticables à pied ou à vélo, à améliorer l’offre de transports publics, à fixer des contraintes strictes en matière d’efficacité énergétique des véhicules et à stimuler la production d’électricité à faible émission de carbone 24h/24 et 7j/7. Alors que les prix de l’énergie montent en flèche, les décideurs politiques devraient s’efforcer de ne pas laisser littéralement les consommateurs au bord de la route. Plutôt que de proposer plus de performances et de confort, les fabricants de véhicules électriques devraient donner la priorité à limiter la consommation d’énergie et à jouer la transparence sur leur chaîne d’approvisionnement. Chaque propriétaire de voiture devrait cesser d’être trompé par les étiquettes marketing "zéro émission".

Notes

1 Le rapport d’impact 2020 de Tesla estime que les voitures aux États-Unis parcourent en moyenne environ 12 000 miles x 17 ans, soit environ 200 000 miles (320 000 km). Les graphiques montrent que la fabrication d’une Tesla Model 3 émet 50 à 80 gCO2e par mile (selon la production locale) ou 10 à 16 tonnes de CO2e au total.
2 Qui produit de l’électricité sale ? En 2020, la Pologne a émis 128 MtCO2 pour produire 155 TWh d’électricité, soit 825 gCO2/kWh. L’Inde a émis 1171 MtCO2 pour produire 1609 TWh, soit 728 gCO2/kWh. La Chine a émis 5212 MtCO2 pour produire 7775 TWh, soit 670 gCO2/kWh. L’Australie a émis 173 MtCO2 pour produire 265 TWh, soit 652 gCO2/kWh. Loin derrière, l’Allemagne a émis 200 MtCO2 pour produire 580 TWh ou 344 gCO2/kWh, mais ce chiffre est en augmentation après la réouverture des centrales au charbon en raison de l’interdiction du nucléaire. Source : iea.org. Consommation Tesla Model 3 : 151 Wh/km. Production électrique requise : 151 / 0,85 (pertes de recharge) / 0,92 (pertes du réseau) Wh/km = 193 Wh/km. Exemple d’émissions de CO2 provenant du réseau d’une Tesla Model 3 pour l’Allemagne (2020) : 0,344 gCO2/Wh x 193 Wh/km = 66 gCO2/km.