En août 2020, Huawei a publié un rapport intitulé Green 5G: Building a Sustainable World (la 5G verte : construire un monde durable). Huawei est la société chinoise de télécommunications qui a commencé à installer des infrastructures 5G au niveau international. Ce rapport affirme que la 5G devrait avoir un effet positif significatif sur le climat, ceci à travers une augmentation de l’efficacité énergétique et des effets indirects permettant aux industries de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et d'atteindre leurs objectifs climatiques.

Avant de discuter du rapport de Huawei, permettez-moi d'abord de concéder à quel point notre monde est devenu complexe, même aux yeux des ingénieurs comme moi qui aspirent à comprendre comment fonctionnent les choses. En écrivant cet article, mon objectif est de décrypter certaines controverses sur la 5G et ses implications sur le changement climatique. Si vous pensez que cet article est détaillé et technique, vous avez raison. Cependant je vous prie d’être indulgent avec moi. Répondre aux affirmations infondées de Huawei demande d’en comprendre certains détails techniques. Je ferai de mon mieux pour m'en tenir aux questions essentielles.

Pour commencer, j'ai tracé un graphique qui prédit l’avenir du monde numérique. J'adore les graphiques à « barres ». Ils permettent de comparer aisément les valeurs et de se concentrer sur les éléments importants. Ces barres peuvent également révéler des surprises. Elles montrent ici des prévisions mondiales pour 2030 de l'électricité nécessaire à la fabrication (partie inférieure des barres) et à l'utilisation (partie supérieure des barres) des technologies numériques. De gauche à droite, ces barres représentent les réseaux télécom, les appareils des utilisateurs et les centres de données (ou data centers). 1

China

La barre de gauche montre l'électricité qui serait nécessaire en 2030 pour construire et surtout exploiter les réseaux télécom qui connectent nos appareils numériques. Cette consommation électrique serait visiblement et de loin, la plus importante à l’ère de la 5G. Les réseaux mobiles (notamment 5G) représenteraient près de la moitié2 de cette barre bleue. Huawei semble donc maître dans l’art de l’ironie. En effet, l’auteur de ces estimations, Anders Andrae, travaille pour la même société Huawei qui ose affubler la 5G du label « vert ».

La seconde barre montre l'énergie consommée pour fabriquer et utiliser nos dizaines de milliards d'appareils utilisateurs (ordinateurs, TVs, tablettes, smartphones, objets connectés, etc.) Selon les estimations de l’auteur, très optimistes selon ses propres dires, des améliorations techniques augmenteront significativement leur efficacité énergétique.

La dernière barre m'a vraiment surpris : elle montre que les data centers consommeront moins d'énergie que les réseaux.

Je veux que nous réalisions combien d'énergie la 5G consommerait dans le monde : une énergie bien supérieure à celle qu’un pays comme la France utilise pour ses industries, son transport, son électricité, son résidentiel, ses écoles, etc., combinés.3 Pour alimenter la 5G à l'échelle mondiale, il faudrait construire quatre-vingt-dix (90) réacteurs nucléaires de nouvelle génération4, dix-sept mille (17000) éoliennes offshore massives5 ou des centrales électriques équivalentes utilisant d'autres sources d'énergie. Dans ce graphique à barres, je n'ai pas calculé l'énergie nécessaire pour construire ces géants de béton et de métal.

Quel impact pour le climat ?

Quant aux émissions de gaz à effet de serre (GES) de la 5G (sur la base du mix énergétique actuel et de la quantité de GES émis lors de la production d'électricité), les réseaux mobiles à eux seuls généreraient 540 mégatonnes supplémentaires de CO2.6 Les réseaux filaires et Wi-Fi en émettraient environ la même quantité. Les centres de données génèrent encore plus de GES. Dans l'ensemble, d'ici 10 ans, les TIC ajouteraient un total annuel de GES de 1600 mégatonnes. L’aviation en a émis 900 en 2018. Si nous avons la chance d'atteindre les objectifs stricts de 20307 de réduction des émissions de carbone lors de la production d'électricité, nous émettrons tout de même 840 mégatonnes.

C'est une quantité pour le moins non négligeable de gaz à effet de serre.

Les technologies 5G pourraient-elles réduire ou compenser les impacts environnementaux causés par la 5G ?

Le cadre étant posé, revenons au rapport « Green 5G » d’Huawei. Les technologies 5G pourraient-elles réduire ou compenser les impacts environnementaux causés par la 5G ? Pour répondre à cette question, analysons le rapport d’Huawei, en particulier ses affirmations concernant le potentiel de la 5G à soutenir la cause environnementale. Le rapport fait l'éloge de l'efficacité énergétique de la 5G. Cependant, l'efficacité énergétique ne peut empêcher une augmentation significative de la consommation d'énergie, car elle entraîne une augmentation du trafic de données. Si, comme l’ambitionnent ses fournisseurs, la 5G devenait l'épine dorsale de notre future connectivité, elle multiplierait le trafic mobile par dix voire cent.8

Huawei déclare que déjà en 2020, les technologies de l'information et de la communication (TIC) auraient permis de réduire de 15% les émissions de gaz à effet de serre dans d'autres industries. Cette affirmation se base sur un ancien rapport (GeSI 2008) qui examinait la plupart des aspects des TIC dans le monde. En ce qui concerne les réseaux mobiles à haut débit (3G, 4G, 5G), il a en réalité fait état d'une montée en flèche des émissions de gaz à effet de serre, et d’une absence d’économie de CO2 dans d'autres secteurs.

Et cependant, le document de Huawei affirme avec confiance que, couplée à d'autres technologies (intelligence artificielle, cloud, virtualisation, Internet des Objets), la 5G pourrait aider diverses industries à augmenter leur efficacité énergétique. La combinaison du terme « 5G » avec d’autres mots à la mode en une seule phrase forme un écran de fumée cachant une réalité pourtant simple : la 5G est une technologie de connexion sans fil. L'utilisation d'une connexion 5G ne prouve pas que la 5G soit la meilleure ou la seule connexion possible et disponible. En réalité, de nombreux bénéfices environnementaux pourraient être réalisés en utilisant des technologies moins énergivores.

Sans amener de preuve, le rapport de Huawei suppose à tort que les technologies de l'Internet des objets (IdO) (telles que les véhicules autonomes, les véhicules électriques, l'optimisation du trafic, les villes intelligentes et les réseaux intelligents) nécessitent la 5G. Des analystes indépendants ont sérieusement contesté les avantages de la 5G pour l'IdO.9 Les affirmations de Huawei selon lesquelles la 5G est nécessaire à ces technologies et à leur efficacité énergétique sont absolument incorrectes. Prétendre qu'acheter ou produire de l'énergie « verte » pour la 5G la rend plus économe en énergie, est également une pure imposture. Comparée à l'énergie non renouvelable, l'énergie renouvelable est rare. La construction et la mise au rebut de systèmes d'énergie « renouvelables » (par exemple solaire, éolien, hydroélectrique) ont également d'énormes conséquences écologiques. De plus, l'utilisation des énergies « renouvelables » pour la 5G réduirait l'énergie renouvelable disponible pour d'autres applications. Huawei se trompe quand il affirme que les batteries au lithium « intelligentes » augmenteraient l'efficacité énergétique : les antennes 5G auront besoin de capacités de batteries10 bien plus importantes que les antennes 4G, ne faisant qu'ajouter à la consommation d'énergie mondiale. Fabriquer davantage de batteries augmentera l'extraction de minerai, la consommation d’eau et les émissions de gaz à effet de serre. Charger et décharger les batteries de la 5G causera encore davantage de pertes en électricité.

Le rapport ne fournit que trois études de cas concrètes avec des avantages quantifiés. Chacune des trois conclut à tort que la 5G permet une économie plus durable.

Dans l'étude de cas sur les transports, des travailleurs voyageant en voiture pour inspecter des gazoducs sont remplacés par un drone rapide, alimenté au mazout et connecté à la 5G, équipé d'une caméra vidéo ultra haute définition. Quatre erreurs sont identifiables. Premièrement, le déploiement de la 5G autour des pipelines est coûteux et consommateur d'énergie. Les réseaux mobiles ne sont pas conçus pour connecter des drones.11 Huawei ne fournit aucune preuve que seule la 5G puisse connecter ces drones. Le rapport n'explique pas pourquoi la 4G (existante) ne pourrait pas faire l’affaire. Deuxièmement, par rapport aux voitures, même les drones à longue portée ont encore une portée très limitée (80 km). Troisièmement, Huawei ne tient pas compte de l'énergie utilisée pour construire ou faire fonctionner les réseaux 5G. Enfin, malgré l'enthousiasme de Huawei, économiser 2,1 mégatonnes de CO2 par an est insignifiant (moins de 1%) en comparaison des émissions annuelles estimées pour la 5G entre 250 et 550 mégatonnes.

Lorsque Huawei montre comment la télémédecine pourrait bénéficier de la 5G en réduisant les déplacements des médecins, il omet de signaler que ces soins de santé nécessitent une connexion hautement fiable. La 5G pourrait s’avérer plus fiable que la 4G. Néanmoins, les connexions sans fil comme la 4G ou la 5G ne sont généralement pas suffisamment fiables pour la télémédecine.12 Deuxièmement, les soins de santé n’ont pas besoin des vitesses ni des temps de réponse13 à hautes performances de la 5G. Huawei a tout simplement tort de déclarer que les soins de santé nécessitent la 5G. En fait, la télémédecine tire déjà parti de connexions filaires à haut débit, sécurisées et consommant moins d'énergie.

Huawei fait également état d'une usine de smartphones ayant automatisé son contrôle de qualité en connectant des caméras vidéo à l'intelligence artificielle (IA) via la 5G. Par rapport aux travailleurs humains, l'IA identifie les défauts avec une efficacité énergétique beaucoup plus élevée. Mais encore une fois, une plus grande efficacité énergétique n'entraîne aucune économie. C’est ce qu’on appelle « effet rebond ». L’effet peut même s’avérer une augmentation de la consommation d'énergie. Ce cas ne fait pas exception à la règle. Huawei admet même que la consommation d'énergie n'a pas diminué suite à l'introduction de la 5G dans cette usine de smartphones.

Dans aucune de ces trois études de cas, Huawei ne prend en compte les quantités substantielles d'énergie consommées par l'infrastructure 5G. En utilisant des alternatives à la 5G moins énergivores, une telle quantité d’énergie ne serait pas nécessaire. Au vu de l’augmentation considérable des quantités de données mobiles que permettrait la 5G, elle nous inciterait à consommer bien davantage de données mobiles et, par conséquent, augmenterait la consommation d'électricité. La 5G serait le principal contributeur à un autre problème qu'elle prétend résoudre : un manque de capacité du réseau pour diffuser des vidéos plus volumineuses. Est-ce là ironie ou intention ? Lorsque l'industrie crée de nouveaux besoins pour les consommateurs en permettant des volumes pratiquement illimités de données mobiles, elle veut encourager la dépendance aux réseaux mobiles. La 5G nous ramène aux stratégies déployées il y a des décennies par les industries du tabac, du sucre et de la chimie, stratégies qui ont conduit à une consommation incontrôlable.

La 5G devrait également déplacer le trafic de données des réseaux câblés existants vers des réseaux mobiles14 beaucoup moins efficaces. Compte tenu des énormes quantités d'énergie dont la 5G aura besoin, principalement à partir de combustibles fossiles, l'utilisation répétée par Huawei du terme « durable » pour décrire la 5G est – au mieux – déroutante. Curieusement, en 2019, Huawei a publié un autre rapport mettant en garde l'industrie contre des besoins en électricité jamais vus auparavant avec la 5G. Ce rapport est référencé par divers sites Internet, y compris l'Agence internationale de l'énergie. De façon moins surprenante, après la publication du rapport Green 5G en août 2020, le rapport15 2019 a disparu du web.

Andy Purdy, responsable de la sécurité de Huawei aux États-Unis et membre du conseil de Forbes, a fait l'éloge de la 5G dans un article de Forbes. Il a déclaré que la 5G « promet de réduire considérablement la consommation d'énergie dans les réseaux de télécommunications » (notre traduction) alors que sa propre industrie contredit cette affirmation. L'association de l'industrie mobile, la GSMA16, et l'opérateur mobile français Bouygues Telecom17 nous mettent en garde que tous les opérateurs de réseaux verront inévitablement leur consommation d'énergie augmenter significativement avec la 5G. Les exemples d'économies d'énergie cités par Purdy ne sont pas pertinents. Il revendique des économies d'énergie qui ne reposent pas sur la technologie 5G. Il confond également l’ambition de l’industrie de réduire son empreinte carbone avec la réalité : la 5G entraînera une augmentation de la demande énergétique et de l’empreinte carbone.

En résumé, l’affirmation de Huawei selon laquelle la 5G réduirait le changement climatique est erronée. Son rapport ne fournit aucune preuve que la 5G ait un rôle à jouer dans la réduction de la consommation d'énergie. L'entreprise a soigneusement évité de discuter de l'empreinte environnementale massive de la 5G. En réalité, l'empreinte de la 5G compromettrait probablement les économies d'énergie et les objectifs de réduction des émissions carbone.

L'exploration d'autres technologies de l'information et de la communication pourrait conduire à une réelle réduction de la consommation énergétique. Une nouvelle vision de la connectivité pourrait émerger, avec une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre, une satisfaction accrue des utilisateurs et de véritables progrès pour les générations futures. Notre société peut atteindre ses objectifs climatiques, mais seulement si nous remettons en question les nouveaux besoins numériques créés par l'industrie et explorons des alternatives vraiment économiques et plus durables que la 5G. Un réel défi serait d’envisager un Internet dans lequel nous remplacerions une croissance « smart » sans fin, par un progrès éclairé et cohérent.

Notes

1 Anders Andrae, Projecting the chiaroscuro of the electricity use of communication and computing from 2018 to 2030, 2019. Les études sur notre empreinte environnementale ont tendance à inclure de grandes marges d'erreur. Cependant, ces marges d'erreur ne compromettent pas les conclusions de cet article.
2 Selon la même étude, l’électricité totale consommée en 2030 par l’ensemble des réseaux de télécommunications serait de 2715 TWh, parmi lesquels les réseaux mobiles consommeraient 1300 TWh (48%), les réseaux filaires 915 TWh (34%) et les réseaux Wifi 500 TWh (18%).
3 Selon la même étude, les réseaux mobiles consommeraient 1300 TWh d’électricité en 2030. Pour trouver l'énergie primaire (PE) nécessaire à produire cette électricité, multipliez 1300 TWh par un nombre appelé Facteur d'énergie primaire (PEF) = 3,4. Il s'agit du PEF utilisé par Green IT France et dans mes calculs. L’énergie primaire consommée durant l’ère de la 5G serait donc de 1300 TWh × 3,4 (PEF) = 4420 TWh. La consommation annuelle en énergie primaire de la France (2019) = 245 Mtep = 2850 TWh.
4 Selon la même étude, les réseaux mobiles consommeraient 1300 TWh d'électricité en 2030. Converti en gigawatts de puissance électrique, cela représente 148 GW. Le plus gros réacteur nucléaire de dernière génération (l'EPR) produit 1,65 GW de puissance continue. Il nous faudrait donc environ 148 ÷ 1,65 = 90 EPR pour alimenter la 5G.
5 La plus grande éolienne offshore (l'Haliade-X) produit 14 mégawatts (MW) de puissance en cas de vent fort. 14 MW équivaut à 0,014 GW. Pour compenser le manque de vent, il faut appliquer un facteur de capacité (un très généreux 0,63 pour cette éolienne). Pour alimenter la 5G, il nous faut donc environ 148 ÷ (0,63 × 0,014) = 16780 Haliade-X.
6 Andrea prévoit une augmentation de la consommation d'électricité par les réseaux mobiles en 2020-2030 de 1300-136 TWh = 1164 TWh par an. Selon IEA.org, l'intensité carbone de la production d'électricité en 2019 était de 463 gCO2 /kWh. Cela conduit à des émissions annuelles de 1,164 PWh × 463 MtCO2/PWh = 539 MtCO2.
7 Selon IEA.org, l'objectif mondial 2030 de réduction des émissions de carbone tout en produisant de l'électricité est de 240 gCO2/kWh.
8 Cisco prévoit une croissance annuelle de 46 % (CAGR) du trafic mobile. Cela représente une multiplication par 10 en 6 ans et une multiplication par 100 en 12 ans (chaque génération mobile s'étend sur environ une décennie).
9 William Webb, The 5G Myth, Third Edition, 2019; Matt Hatton, William Webb, The Internet of Things Myth, 2020.
10 MarketWatch : le déploiement des stations de base 5G entraînera une demande de batteries au lithium supérieure à 155 GWh (gigawatt-heures).
11 Deniz Kalaslıoğlu : Pour de nombreuses applications, les communications cellulaires traditionnelles, y compris la 5G, sont sous-optimales pour les véhicules autonomes, les drones et les systèmes robotiques intenses en données".
12 Les consultations en télémédecine fonctionnent parfaitement à des vitesses aussi basses que 1,5 à 10 mégabits par seconde (Mbps).
13 La téléchirurgie et la télésanté nécessitent un temps de réponse (latence RTL) inférieur à 300 millisecondes (ms).
14 L'utilisation de réseaux sans fil pour les connexions « fixes » est appelée « Fixed Wireless Access » (FWA). Selon Ericsson, le FWA atteindrait 25 % du trafic mobile en 2025.
15 Huawei, “5G Telecom Power Target Network White Paper”, Octobre 2019, (à présent retiré du site web Huawei pour opérateurs télécom).
16 La GSMA rapporte que le facteur d'augmentation des coûts le plus élevé pour les opérateurs sera l'énergie utilisée par la 5G, par rapport à la 4G.
17 Sénat de France, audition du PDG de Bouygues Telecom. « (…) Il est donc erroné d'affirmer que la 5G permettra des efforts en matière d'énergie. Après la première année de déploiement, la consommation énergétique de tous les opérateurs affichera une augmentation importante. »