Depuis 2020, l'industrie des télécommunications publie sans relâche des rapports1 présentant la 5G comme «durable» et «verte». La 5G est la cinquième génération de télécommunications mobiles. En 2020, j'avais examiné un rapport de Huawei, le fournisseur chinois, affirmant que la 5G réduirait les impacts climatiques. Depuis lors, Accenture a publié plusieurs rapports. L'un d'eux est une commande de la CTIA, qui représente les intérêts de l'industrie américaine du sans fil. Aujourd'hui, j'analyserai ce rapport américain, 5G Connectivity - A Key Enabling Technology to Meet America's Climate Change Goals (en français : la connectivité 5G, une technologie clé pour atteindre les objectifs de l’Amérique en matière de changement climatique).

Le rapport Accenture aborde clairement la nécessité de lutter contre le changement climatique. Il dévoile également l'agenda politique derrière les réseaux à large bande tels que la 5G, un agenda confirmé en juillet 2021 par une loi du Sénat américain pour investir 65 milliards de dollars (!) dans les infrastructures de télécommunications. L'administration Biden a fixé des objectifs ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre : elle vise des réductions de 50 à 52 % d'ici 2030 et «zéro émission nette» d'ici 2050. Certaines des propositions du rapport d'Accenture méritent considération, notamment les réseaux 5G privés pour l'industrie, plutôt que le déploiement massif des réseaux publics. Pour soutenir la durabilité, le document d'Accenture propose quatre recommandations sensées, néanmoins susceptibles d’être mal interprétées et extrêmement difficiles à mettre en œuvre : développer et intégrer une stratégie de développement durable et suivre celle-ci ; concevoir des modèles opérationnels axés sur la durabilité et la technologie comme catalyseur ; recharger l'innovation en tant qu'impératif organisationnel; collaborer et repenser l'écosystème pour booster le bien commun.

Malheureusement, ces recommandations favorisent les technologies sans fil et ignorent le potentiel des technologies filaires pour réduire les impacts climatiques.

Le principal message du rapport CTIA prône la 5G comme une nécessité pour lutter contre le changement climatique or ce point n’est démontré à aucun moment. La répétition persistante d’une faussé idée ne la rendra pas valide. Rempiler certaines affirmations mensongères déjà présentées dans l'article d’Huawei en 2020 n'en fera pas des vérités.

Qui a payé ce rapport et qui l'a rédigé ?

La CTIA, la U.S. Cellular Telecommunications and Internet Association, qui se concentre désormais sur la promotion de la 5G, a commandé le rapport. Accenture, une société mondiale de conseil en Technologies de l’Information et des Communications (TIC) avec des clients dans de nombreux secteurs, y compris les télécommunications, a rédigé le rapport. J’y trouve des conflits d'intérêts à tous les niveaux : un rapport financé par l'industrie du sans fil, rédigé par un fournisseur de l'industrie, pour soutenir les intérêts de l'industrie.

Une dernière accélération avant de prendre le mur ?

Le rapport vise à justifier de larges déploiements de nouvelles antennes, à maintenir l'économie sur la même voie de croissance insoutenable et exponentielle, et à convaincre le public et les politiciens que la 5G est verte, propre, et mérite donc un financement public. Un politicien – ou n'importe qui d'autre – fondera-t-il ses convictions et ses décisions sur ce document ? Ou y reconnaîtra-t-il une intention commerciale ?

Si je travaillais encore dans l'industrie mobile, ce rapport pourrait de prime abord me rendre fier de l'importance de mon travail pour les générations futures. J’aimerais croire l'affirmation du rapport selon laquelle la 5G peut aider à atteindre un cinquième des objectifs américains de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2025. Est-ce que je vérifierais les références d'Accenture ? Resterais-je fidèle à l'industrie qui paie mon salaire ou à la Terre ? Est-ce que je reconnaîtrais que vouloir croire quelque chose ne le rend pas vrai ?

La 5G pour l'Internet des Objets : un mythe ?

Je continue de croire que les réseaux cellulaires jouent un rôle essentiel dans notre économie. Pourtant, les réseaux 5G ne fournissent qu'un moyen parmi d’autres de connecter ce que l'on appelle l'Internet des Objets (IdO ou en anglais IoT, Internet of Things). Même en supposant que l'IoT soit la clé de la réduction des émissions de GES, bien d'autres technologies2 peuvent connecter les objets à Internet. Associer l'IoT à la 5G ne fait que promouvoir le mythe selon lequel l'IoT nécessite la 5G.

Trop enthousiaste et ignorant les effets négatifs

Lorsque la CTIA suppose que la 5G constituera la pierre angulaire des futurs réseaux, elle ignore l'un des problèmes inhérents à cette technologie : en augmentant considérablement la consommation de données sans fil, la 5G augmentera considérablement la consommation d'énergie, d'eau et l'extraction de matières premières. Cet «effet rebond» négatif l'emportera fort probablement sur les avantages potentiels de la 5G.

Or le rapport reste muet sur les impacts climatiques négatifs. En 2020, les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur numérique représentaient 3 à 4 % des émissions mondiales totales (avant Covid, l'aviation pesait pour 1,9%). Pire, de nombreuses études montrent que la 5G contribuera à l’augmentation exponentielle des émissions de GES. La consommation d'énergie de la 5G devrait également atteindre de nouveaux records, selon la GSMA (association mondiale de l'industrie mobile).

Rapport scientifique ou publicité 5G ?

Dans un article scientifique revu par des pairs, les données, les sources, la méthodologie et les résultats sont examinés et validés. Ce rapport prétend avoir analysé trente et un cas d'utilisation conduisant à des réductions d'émissions de GES. Pourtant, Accenture ne répertorie pas ces scénarios ; les auteurs ne rendent pas les données ou les calculs connexes disponibles (Accenture n'a pas répondu à ma demande de données et de calculs). Certains cas d'utilisation sont brièvement décrits sans détails. Ainsi, les revendications exposées sont impossibles à valider.

Un article scientifique doit éviter un excès de confiance dans ses conclusions qui doivent rester en rapport avec le contenu de l’article. Des déclarations telles que : "Nous concluons que la 5G est sur le point d'être la génération de technologie de réseau la plus verte à ce jour ;" et "Les objectifs actuels d'émissions mondiales ne seront atteints que grâce à l'accélération de technologies innovantes ;" et "La 5G contribuera à améliorer l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et aidera les gens à gérer leur santé, tout en réduisant le besoin de voyager…" sont clairement de la publicité, et non des évaluations obtenues par une évaluation scientifique rigoureuse et diligente.

Alternatives négligées et effets secondaires

La 5G nécessitera la fabrication et l'exploitation de centaines de milliers, voire de millions de nouveaux sites d’antennes-relais. Aux États-Unis comme ailleurs, le nombre de sites augmente rapidement. La plupart d'entre eux sont déployés dans des zones résidentielles sur la voie publique. En plus de la 5G, le rapport plaide pour les véhicules électriques autonomes et la gestion « intelligente » de l'énergie. Ces technologies nécessiteront la fabrication de bornes de recharge, des renforcements du réseau, des compteurs « intelligents » et de nouvelles centrales électriques. Aucune de ces choses ne «pousse» sur des arbres renouvelables qui séquestrent le carbone.

Le rapport ne tient pas compte des impacts potentiellement énormes des extractions, de la consommation d'énergie, des émissions et des déchets toxiques liés à ces nouvelles infrastructures. Le document suggère que la 5G est essentielle à chacun des trente et un cas d'utilisation. Étant donné que, dans la plupart des cas, d'autres technologies de réseau peuvent obtenir le même résultat, il s'agit d'une argument fallacieux.

La 5G peut véritablement changer la donne lorsqu'elle est installée en réseau privé dans l’industrie manufacturière ou la logistique. Mais les réseaux 5G publics offrent peu d'avantages aux consommateurs et aux entreprises. Un nouveau réseau se rajoutant à ceux déjà en place (2G, 3G, 4G) entraîne inévitablement une plus grande consommation d'énergie, alors que les réseaux existants peuvent déjà répondre de manière adéquate aux «besoins» du grand public.

À plusieurs reprises, le rapport préconise d'investir dans davantage de technologies nouvelles et omniprésentes, de préférence sans fil. Niant les ressources finies de la planète et la nécessité de revoir nos habitudes de consommation vers plus de sobriété, Accenture promeut exactement le contraire.

Une vision étroite de la durabilité

L'évaluation d'Accenture se limite strictement à l'impact de la 5G sur le climat. Il ne mentionne ni n'évalue d'autres dimensions essentielles auxquelles je m'attendrais dans un rapport holistique. Par exemple, l'épuisement des ressources non renouvelables (telles que les métaux), l'utilisation de l'eau, la pollution de l'air/de l'eau/du sol, la production de déchets et la consommation globale d'énergie sont tout simplement ignorés.

Pour tendre vers une économie durable, plutôt que de construire une nouvelle génération de réseau sans fil tous les dix ans, nous devrions utiliser les réseaux existants et promouvoir les technologies filaires dans la mesure du possible.

Le rapport CTIA incite à la croissance économique. Il passe totalement à côté des défis technologiques de notre décennie actuelle : repenser la technologie pour qu'elle soit écologiquement, économiquement et socialement dans les limites de nos moyens. L'industrie numérique sera-t-elle capable de se réinventer, d’utiliser ses compétences innovantes pour le bien commun, d’accroître sa responsabilité sociale d'entreprise et sa valeur globale pour la société ?

Notes

1Digital4Climate d'Agoria (représente l'industrie technologique belge), par Accenture, mai 2022 ; Digital Office Index de Bitkom (représente l’industrie numérique allemande), par Accenture, mai 2022 ; 5G Connectivity A Key Enabling Technology to meet America's Climate Change Goals, de CTIA (représente l'industrie américaine du sans fil), par Accenture, janvier 2022 ; Mobile Net Zero, de la GSMA (représente les opérateurs de réseaux mobiles dans le monde), 2022 ; Next generation mobile networks : Problem or opportunity for climate protection ? par Swisscom (opérateur de réseau mobile), octobre 2020 ; Green 5G de Huawei (équipementier mobile), août 2020 ; Enablement Effect report de la GSMA (représente les opérateurs de réseaux mobiles dans le monde), janvier 2020.
2 D'autres technologies que la 5G peuvent connecter les appareils de l'Internet des Objets : câbles, fibre optique, CPL, Zigbee, Bluetooth, Wi-Fi, Wi-Gig, GPRS (2G), UMTS (3G) et LTE (4G) ou des technologies IoT tels que LoRa, SigFox, Weightless, Ingenu, Wize, LTE-M (Long Term Evolution Machine), NB-IoT (NarrowBand IoT).