Dans le dernier numéro de "Finances et développement" du FMI, la directrice générale Kristalina Georgieva cite Léonard de Vinci : «Il ne suffit pas de savoir, il faut appliquer. Il ne suffit pas d’être prêts, il faut agir.». Voilà l’état du débat sur le changement climatique et la biodiversité. Nous savons ce qui doit être fait, mais nous ne le faisons pas, en partie parce que nous ne voulons pas, en partie parce que nous ne pouvons pas et en partie parce que nous ne savons pas comment.

Les scientifiques étudient depuis des années les différents phénomènes susceptibles d'avoir une incidence sur le changement climatique, mais il est difficile de prévoir comment cela se produira, quand et avec quelles conséquences précises. Depuis des décennies, les rapports du GIEC sont des joyaux d'expertise et une source de connaissances précieuses qui débouchent sur davantage de connaissances mais aussi sur encore plus de questions.

Les scientifiques ne font pas de politique. C'est le travail des hommes et femmes politiques qui peuvent utiliser ces données pour prendre des décisions difficiles. Mais le font-ils ? Dans une mesure suffisante ? La réponse à cette question est un non catégorique. Depuis plus de 30 ans, le GIEC tape sur le même clou, mais peu de choses bougent. Nous fonçons droit dans un mur de catastrophes déjà bien visibles : incendies de forêt, inondations, tornades, extinction majeure... Fit for 55, déclare l'Union européenne dans ce qui est appelé un plan climatique ambitieux. "Inadapté et injuste", répond le bureau européen de l'environnement. "Net zéro" et "sans perte nette" disent les gouvernements, c'est du greenwashing, répondent les mouvements sociaux.

Les mouvements sociaux entretiennent le feu de l'activisme environnemental depuis des décennies. Depuis la première conférence des Nations unies sur le développement et l'environnement en 1972, des milliers de mouvements se sont mobilisés pour faire prendre conscience de la crise imminente et de la nécessité de changer notre système économique et social. Partout dans le monde de nouveaux partis politiques ont été créés et nous disent de "vivre autrement". Mais comment ? Et comment convaincre les gens ? Et cela sera-t-il suffisant ?

Je ne suis qu’une simple citoyenne, avec toujours de nombreuses questions pour les scientifiques et les écologistes. Et je pense qu’après plusieurs décennies, il est temps de se demander ce que nous sommes en train de faire. Parce que plus nous prenons conscience de la crise et de ce qu'il faut faire pour en sortir, plus l'horizon des mesures pratiques et concrètes s’estompe. Nous savons que les choses peuvent et doivent changer, mais nous ne savons pas comment y parvenir.

Je vais vous donner quelques exemples.

Permettez-moi de commencer par le mouvement de décroissance, qui a vu le jour après la publication du rapport du Club de Rome de 1972. Ce dernier affirmait qu'avec une croissance économique illimitée, certaines matières premières pourraient s’épuiser.

La Banque mondiale a immédiatement renversé ce raisonnement. Il ne s'agit pas de produire moins pour protéger l'environnement, mais de protéger l'environnement pour que la croissance reste possible.

Cette contradiction existe toujours. Même le GIEC affirme désormais qu'il n'y a plus de place pour la croissance, mais la Banque mondiale et le FMI continuent à plaider pour une "croissance durable". Avec une croissance économique mondiale d'environ 3 %, l'économie peut doubler en moins de 25 ans. Un enfant comprendrait que l’on atteint ainsi rapidement les limites planétaires, certainement si la croissance démographique se poursuit également. La croissance serait donc hors de question et le système économique actuel obsolète. Mais comment gérer cela dans un monde où un milliard de personnes vivent dans une extrême pauvreté et où la grande majorité des gens relativement aisés ne veulent pas faire de sacrifices ?

Pour les écologistes, la première chose était effectivement de limiter la croissance. Mais lorsqu'il est apparu combien c’était difficile, on s’est réorienté vers un système économique différent sans l’objectif de la croissance. Cela ne dit toutefois rien de cet autre système ni de la manière d’y parvenir.

Ces derniers temps, les publications sur les communs et sur une nouvelle économie sociale et solidaire ont proliféré. Malheureusement, dans la grande majorité des cas, il s'agit d'initiatives locales pour la sécurité alimentaire, le troc, les monnaies locales ou l'aide aux pauvres. Cela peut être très utile et positif, mais je n'oserais pas dire qu'il s'agit d'un système "alternatif", certainement pas tant que la grande industrie continuera à fonctionner et à polluer avec un degré de recyclage très limité. Il n'y a aucun changement structurel en vue. L'économie circulaire offre davantage de possibilités de transformation dès lors que l'on peut recycler davantage, mais la route est encore longue.

Un deuxième problème concerne l'extractivisme et les matières premières. L'année dernière, un film de Michael Moore a fait couler beaucoup d'encre en montrant que la plupart des "solutions vertes" ne sont pas du tout des solutions. Dans son film, le cinéaste montre que de nombreuses solutions vertes, comme celles concernant l'énergie éolienne et solaire ou la biomasse, ne sont pas réalistes. Il montre aussi que de nombreux mouvements environnementaux sont financés par les fondations de grands pollueurs et de leurs multinationales.

Rien de nouveau sous le soleil, mais il est apparemment interdit de le dire. Non seulement la production d'éoliennes et de panneaux solaires nécessite une énorme quantité de matières premières mais, de plus, leur durée de vie est limitée et provoque donc des montagnes de déchets n’étant que partiellement recyclables.

Ce problème des matières premières est d'ailleurs particulièrement aigu. Selon une étude de la Banque mondiale, il ne sera pas si facile de passer complètement aux énergies propres. Si nous voulons atteindre l'objectif d'une augmentation maximale de la température de 2°C, il faudra un total de plus de trois milliards de tonnes de minerais pour la production d'énergie propre d'ici 2050. La production de graphite, de lithium et de cobalt doit donc augmenter de 450% par rapport à 2018.

D'autres minerais dont l'augmentation est moins spectaculaire mais devant être exploitée sont le fer, le cuivre, l'aluminium, le chrome, le plomb, le manganèse, le molybdène, le nickel, l'argent, le titane, le zinc et le vanadium. L'extraction de ces minerais peut avoir des conséquences écologiques et sociales désastreuses et, par conséquent, la popularité des énergies "propres" pourrait rapidement décliner. Les protestations qui ont déjà lieu contre l'extractivisme en Amérique latine, par exemple, en disent long sur les dilemmes qui nous attendent. Vous ne pouvez pas vouloir une énergie propre tout en rejetant l'exploitation minière. En d’autres termes, on peut rejeter l'exploitation minière, mais il faut alors être prêt à renoncer à l'énergie disponible, ainsi qu’aux téléphones mobiles, ordinateurs portables, voitures, trains et avions. C'est un choix déchirant qui, je pense, ne sera pas fait. La demande d'énergie continue d'augmenter, partout dans le monde, ce qui est normal avec une population croissante et pauvre.

Les possibilités de recyclage et de réutilisation des matières premières méritent une attention particulière, mais ce n'est pas pour tout de suite. La gestion des déchets sera une tâche extrêmement difficile. On continue à rêver d'hydrogène vert ou bleu, de ‘captage et stockage’ du CO2 ainsi que de fusion nucléaire, mais ces techniques ne sont pas encore disponibles à grande échelle, loin s'en faut, et n'offre donc pas de solution à court terme.

Cela m'amène au dernier point, le plus difficile, qui montre bien qu’on est dans le pétrin. Depuis des décennies, on nous dit ce que nous devons ou ne devons pas faire, manger moins de viande, abandonner la voiture, arrêter de prendre l'avion, économiser l'énergie, ne pas utiliser de sacs en plastique...

Cela pose deux problèmes. Tout d'abord, rien de tout cela ne servira si, dans le même temps, les grandes entreprises chimiques et minières peuvent continuer à polluer les grands fleuves, si les mers continuent à être vidées, si Bezos et Musk continuent à développer leurs projets de tourisme spatial.

Et même si nous arrêtions tous d'émettre du CO2, nous nous dirigerions vers une catastrophe planétaire si l'appareil militaire des différents pays continuait à fonctionner comme aujourd'hui. Qui l’arrêtera ?

Certains ont pensé que la pollution diminuerait fortement pendant les confinements, dus au COVID-19 en raison d'une baisse de l'activité économique. C'est la déception. Selon la NASA, on a constaté une baisse sensible du dioxyde d'azote dans l'air, mais tous les polluants n'ont pas disparu et, dans l'ensemble, l'air n'est absolument pas plus propre.

Ensuite, les gens ne réduiront jamais volontairement et radicalement leur consommation. Les promesses selon lesquelles plus de bien-être et de bonheur sont possibles avec moins de richesse et de consommation n'ont pas de sens malgré toutes les incitations 'nudging'. Les gens ne croient pas en "plus de liens et moins de biens", au contraire, on constate dans le monde entier que seuls des groupes marginaux se retirent collectivement de la société pour vivre "différemment". Avec huit milliards d'habitants, cela n’est d’ailleurs pas possible. La grande majorité des gens préfèrent les villes et la prospérité matérielle ; l'exemple des pays asiatiques nouvellement riches est éloquent. Nous pouvons le déplorer, mais cela ne change rien à la situation. Je n'ai jamais vu nulle part une stratégie permettant de s'attaquer à ce problème. Les réponses de l'économie comportementale sont clairement insuffisantes.

Il est d'ailleurs étrange que l'aviation soit constamment montrée du doigt alors que l'on n'entend pratiquement rien sur le secteur numérique, en pleine expansion et très polluant, notamment les "mines" de bitcoins. Les gens sont-ils prêts à réduire leur consommation d'Internet ? À renoncer aux cryptomonnaies à la mode ?

Si nous comparons les plans de l'ONU - l'accord de Paris – à ceux de l'Union européenne - Fit for 55 - et ceux des membres progressistes du Congrès américain ou des politiciens de l'UE - comme le New Deal vert européen de Diem 25 - nous voyons peu de différences substantielles, si ce n’est que ces mouvements progressistes sont beaucoup plus ambitieux. Mais ni l'un ni l'autre n'ont de stratégie pour atteindre leurs objectifs. "Vivre autrement" ne suffit pas, d'une part, et n'est pas faisable sur une base volontaire, d'autre part.

En bref, l'énergie propre signifie davantage d'extractivisme, une économie différente non axée sur la croissance n'en est même pas à ses premiers balbutiements et l'économie comportementale défaillante ne nous rapproche pas d'une solution. C'est un dilemme auquel aucune conférence ni aucun mouvement n'a de réponse. La COP26 à Glasgow s'accompagne d'une forte mobilisation des mouvements sociaux avec des actions spectaculaires pour attirer l'attention. N'est-il pas urgent de commencer à examiner comment arriver là où nous voulons aller ? D’élaborer une stratégie ? Les alternatives existent et nous sommes attachés à la participation et à la démocratie. Alors comment faire ?

Aujourd'hui, les gouvernements cherchent assidûment comment continuer à faire ce que nous faisons avec des conséquences moins néfastes. Mais que faire si les solutions ne sont pas trouvées à temps ? Il s'agit clairement d'un problème politique et d'une responsabilité collective. C'est peut-être pour cela qu'il est si difficile à résoudre.