Le Musée du Louvre regorge de merveilles, c’est le moins que l’on puisse dire. Il y en a tant que le grand public passe parfois à côté de certaines d’entre elles. Cet article est l’occasion de mettre en lumière l’un de ces trésors : la table de Teschen.

Une table dont le sort fut suspendu à celui des armes. En 1778, l’Europe échappa de peu à une guerre. Quand l’électeur de Bavière mourut sans héritier, le duc de Saxe et l’électeur Palatin se disputèrent son territoire. Chacun mobilisa alors ses alliés, la France et la Russie se trouvèrent engagées et l’équilibre européen plus que jamais menacé. Mais un habile négociateur va changer la donne. Cet homme, c’est le baron de Breteuil, envoyé par Louis XVI ; grâce à lui et à la médiation de l’impératrice de Russie, la guerre est évitée, un traité de paix signé.

Alors pour remercier le baron de Breteuil de son action, le duc de Saxe décida de lui offrir cette table, qui porte parfois son nom. Au XVIIIème siècle, les cadeaux diplomatiques consistaient souvent en un objet précieux. La table de Teschen répond parfaitement à cette ambition. Par sa préciosité, elle rend hommage au baron de Breteuil tout en exaltant les richesses du duché de Saxe. Entièrement composée de gemmes issues des mines saxonnes, elle vante les ressources de ce territoire mais cette table est aussi la démonstration du talent de Jean-Christian Neuber, artisan très réputé de la cour de Saxe.

Neuber était plus qu’un orfèvre. Minéralogiste et négociant, il exploitait des mines d’où il tirait la matière première de ses créations. A partir des couleurs et des motifs naturels des pierres extraites, il mit au point une technique appelée « zellenmosaic » ou mosaïque en cloisonné qui lui permettait de réaliser tabatières et autres petits objets, très prisés en Europe. Evidemment, par ses dimensions la table du Louvre se distingue comme étant l’une des créations les plus extraordinaires de l’orfèvre.

Beaucoup plus précieuse qu’une tabatière par sa taille, l’objet se présente comme un véritable « cabinet » minéralogique et vient flatter la curiosité scientifique de son destinataire. Le siècle des Lumières s’est passionné pour les sciences naturelles. A la curiosité des Wunderkammer, ces chambres des merveilles, succède la volonté d’établir un inventaire de la nature. La haute société collectionne, classe ses échantillons. Ils sont nombreux à apprécier les pierres, 900 collectionneurs nous sont connus et certains comme John Stuart comte de Bute possèdent des milliers d’échantillons. Nul doute que le baron de Breteuil apprécia ce beau cadeau avec ses 128 spécimens de pierre ou de gemme enchâssés dans une structure de bronze doré. Témoin de l’esprit du temps, chacun d’entre eux est identifié par un numéro puis commenté par une courte notice, notice que l’amateur pourra lire dans un petit cahier soigneusement rangé à l’intérieur d’un tiroir secret sous le plateau.

De plus, la table de Teschen a cela d’exceptionnel qu’elle est l’une des premières manifestations du goût néoclassique dans une Allemagne qui est encore très rocaille. La forme des pieds, les guirlandes de la ceinture révèlent cette nouvelle esthétique inspirée de l’Antiquité. Autour du plateau, des médaillons en grisaille sur porcelaine, cherchent à évoquer les camées. Sur ces petits médaillons, de charmants putti célèbrent le calme retrouvé tandis qu’au centre les muses s’affairent sur l’autel de la Paix. D’ailleurs ceci n’aurait pas été possible sans l’intervention de Breteuil comme nous le rappellent deux putti occupés à graver sur une pyramide le nom du baron « ambassadeur et pacificateur ».

On comprend donc pourquoi cette table, plus bijou que meuble, fit sensation lors de son arrivée à Versailles puis chez le baron de Breteuil. La Révolution épargna ce chef-d’œuvre qui resta sagement dans la famille. C’est en 2015 que les descendants du baron décidèrent de s’en séparer ; grâce à une souscription publique le Musée du Louvre put alors s’en porter acquéreur. C’est désormais dans ses salles que vous pouvez vous émerveiller devant la beauté de cet objet.