Traversant les États-Unis en ayant pour destination des lieux inventés et guidés par les indications de gens rencontrés sur son passage, Patrick Beaulieu s’abandonne au destin et à la spontanéité des chemins tracés par le hasard de la route. De cette déambulation performative émerge EL PERDIDO, un corpus d’œuvres jumelant installations, vidéos, photographies et textes. À travers le voyage et ses traces, EL PERDIDO est une errance volontaire abordant le rapport ontologique et métaphysique aux territoires dans une vision fragmentée du monde.

Les photographies captent des panneaux et autres enseignes rencontrées en cours de route. Malmenés par le temps et les intempéries, ces dispositifs permettant habituellement de s’orienter dans l’espace sont ici défraichis, et surtout dépouillés de leur fonction initiale. Ils sont maintenant des fresques architecturales révélés dans leur plasticité formelle ; des collages où convergent couleur, épaisseur matérielle et texture. Incrustées de rouille ou réduites en lambeaux, les surfaces troubles deviennent tableaux. Tantôt lisibles, tantôt estompés complètement, les mots dissous de leur contexte d’origine apparaissent tels des fragments mnémoniques d’un temps révolu.

Dans une approche cinématique de l’image, la série de tableaux nous transporte dans l’univers sensible de la route. Les images, bien qu’elles soient fixes, suggèrent la temporalité du trajet. Entre intimisme et épopée, les photographies de Beaulieu témoignent d’une lenteur contemplative, renonçant aux grands espaces et aux chevauchées spectaculaires pour braquer l’objectif sur des scènes où l’absence règne, parsemée de silence.

La série photographique met en scène ces panneaux érigés dans des paysages dépouillés, jalonnés de détritus industriels et de végétation éparse. S’y ajoutent parfois des fils barbelés et des caméras de sécurité, laissant deviner des lieux liminaires et interstitiels. La signalétique est emblématique d’une conception de l’espace caractérisée par un regard mobile. Et dans ces incessants déplacements, chacun des signes devient, en quelque sorte, une frontière ambulante, renforçant formellement l’idée de la mouvance de l’artiste par rapport aux espaces observés.

Les lieux anonymes présentés ici ponctuent le chemin parcouru par l’artiste, tandis que les façades s’aplatissent dramatiquement, nous donnant la curieuse impression d’être placés devant un décor reconstitué. Face à ces images qui exposent de tels non-lieux et non-signes, les dispositifs se présentent comme des décors préexistant l’artiste, comme des ruines contribuant au pèlerinage méditatif du voyage. Dans cette rencontre entre le visuel et le textuel, Patrick Beaulieu propose ainsi des atmosphères saisissant l’esprit des lieux, des espaces de mémoire inscrits dans la poésie du déplacement.

L’exposition sera accompagnée d’un lancement du livre EL PERDIDO de Patrick Beaulieu avec Alexis Pernet (Design graphique: FEED) à Art Mûr, et sera également présentée dans le programme satellite de la 16e édition de MOMENTA | Biennale de l’image.