La globalisation accélérée à plusieurs vitesses s’est encore aggravée avec l’adhésion des Etats d’Europe de l’Est à l'Union Européenne et les libres circulations des travailleurs qui en découlent. L’illustrait déjà la question du « plombier polonais » qui servit, en France, de canon pour l’échec du referendum sur le traité constitutionnel en 2005.

Tandis que les gouvernements européens se prononçaient en faveur des libertés de circulation pour la quasi totalité des biens, des personnes, des capitaux et des services, dans le domaine des politiques intérieures et de la justice, la libre circulation des informations et des professionnels au sein de l’Union Européenne était par contre accordée au compte goutte, sous prétexte de pertes de souveraineté jugées inacceptables. Il s’agit pourtant de secteurs où les mises en commun des pouvoirs nationaux auraient considérablement amélioré la sécurité des citoyens.

Une sécurité qui s’est gravement dégradée ces vingt dernières années. Qui aurait prévu, dans les années’70, que, dans des régions entières, les pique nique aux bords des routes deviendraient entreprises périlleuses sinon à tout le moins désagréables, pour cause de prostituées “mises en location” le long des chemins ? Que les transporteurs de saumon fumé devraient à nouveau craindre les bandits de grand chemin ? Que le matériel roulant de construction à l’extérieur de ses hangars d’appartenance, serait devenu proie de rapines pour des bandes organisées ? Que l’on arracherait, dans toute l’Europe, les sacs par milliers et qu’on serait prêt à tuer pour voler un MP31 ?

Cette « timidité » institutionnelle européenne en matière de justice et de sécurité intérieure a permis aux organisations criminelles, dont la chute du Mur de Berlin avait soudain élargi le territoire jusqu’à la Sibérie, d’accroître considérablement leurs pouvoirs.

De cet « espace » européen, elles avaient déjà, dès les années’80, constitué « territoire », sur lequel exercer leur contrôle usant des libertés de circulation des personnes, fussent-elles forcées et abusives, comme fer de lance pour leurs activités criminelles, multinationales et multisectorielles.

En matière de circulation des personnes, matière gérée formellement par l’accord intergouvernemental de Schengen, l’accès des ressortissants des pays d’Europe Centrale et Orientale aux territoires des Etats Membres de cet Accord, fut formellement tenu, durant les années’90 sévèrement limité.

Concrètement, l’« espace Schengen» ne s’est en réalité constitué « territoire » (pour mémoire : « un espace fini, aménagé, défendu à la fois significatif et symbolique ») pour personne. Dans la pratique en effet, les violations commises par des individus, et parfois même par des politiques d’initiative gouvernementale (plus ou moins « personnelles »), violations substantielles des décisions parlementaires nationales et européennes, sont si nombreuses que les barrières de papier n’ont pu enrayer la libre circulation des personnes, de fait à défaut que de droit2.

Violations curieusement facilitées par ce manque d’Europe en matière de politiques intérieures et de justice. Observons que, dans la plupart des cas, ces violations concernaient des personnes « rentables » pour les contrevenants qui les faisaient entrer sur nos territoires, personnes « à valeur économique illégale » (travailleurs clandestins, victimes de la prostitution) ou « criminelle » (bandes criminelles et autres acteurs de la criminalité organisée transnationale).

Vers la fin des années ’90, « les organisations criminelles ont adopté des modifications de modalités opératives rendues nécessaires par de nouvelles circonstances. Le corridor du canal d’Otrante (utilisé par la mafia albanaise entre 1997 et 2000, entre l’Albanie et l’Italie) s’épuise car trop exposé au point d’être partiellement abandonné. Les trafics sont redirigés par voies de terre. Leur sécurité est garantie par un réseau solide de policiers, douaniers et magistrats corrompus, des complicités institutionnelles avec la bénédiction politique3 ».

Bénédictions politiques qui se sont révélées au grand jour d’abord au Royaume-Uni au printemps 2004, lorsque la Ministre de l’Immigration a été obligée de démissionner pour avoir ignoré les informations selon lesquelles des visas et permis de travail étaient accordés à un grand nombre de ressortissants bulgares et roumains sans vérification effective des conditions réglementaires requises.

Quelques mois plus tard, la presse allemande révélait que le Ministre des Affaires Etrangères avait donné instructions aux ambassades allemandes de délivrer des visas, notamment à des centaines de milliers d’ukrainiens, sans appliquer en substance les vérifications des règles prescrites dans le cadre de l’Accord de Schengen.

Cette politique toute personnelle, qui a été sanctionnée par un vote de défiance au niveau régional en Allemagne, a porté des dizaines de milliers d’Ukrainiens dans le Sud de l’Europe. En 2004, les Ukrainiens (11.000) étaient ainsi devenus, après les Roumains (46.000), la seconde communauté ayant demandé régularisation en Italie.

Une enquête judiciaire menée à Pérouse4 n’a jamais pu passer les portes des ambassades... Dans tous les autres cas, personne n’a jamais cherché à établir comment les criminels et leurs victimes étaient entrés clandestinement dans le pays. On se contente de les qualifier de « overstayers », des étrangers qui ne sont pas rentrés dans leur pays lorsque leur visa était devenu périmé, sans rechercher si les conditions initiales de ce visa étaient légales lorsqu’il fut accordé…

Les cas britanniques et allemands démontrent que ces initiatives « gouvernementales » très personnelles, contraires à la politique décidée par les Parlements respectifs, a procuré une voie d’accès non seulement aux territoires nationaux, mais à l’ensemble des Etats Schengen. En ont bénéficié des membres de la criminalité organisée et en ont pâti leurs victimes de la traite des êtres humains.

Vingt ans plus tard, ces circonstances sont directement liées aux deux plus grands périls qui menacent l’Union Européenne à la veille des élections parlementaires : la BREXIT au Royaume Uni et la montée de l’extrême droite en Europe.

L'extension de la criminalité organisée en Europe est à présent une des principales causes de la crise économique et sociale sans fin qui y sévit. Pour y faire face, l'Union Européenne a d'urgence besoin d'un Procureur Européen, et d'un parquet européen dont les compétences dépassent largement celles de la protection des intérets de l'Union Européenne comme jusqu'à ce jour prévu.

Une politique européenne commune de répression efficace des crimes graves et organisés est devenue indispensable. Le parquet européen devrait pouvoir d’enquêter sur toutes les activités des organisations criminelles transnationales, notamment celles en col blanc, la fraude fiscale organisée et la corruption, outre naturellement sur sa forme la plus visiblement violente, le terrorisme. Il devrait en outre pouvoir intervenir sur base d’un quelconque critère de rattachement territorial, sans égard aux règles de droit interne des Etats membres en matière de compétence territoriale. Il devrait aussi pouvoir faire dessaisir les parquets nationaux qui démontrent ne pas avoir la volonté et/ou les capacités d’exercer les poursuites (lorsque les enquêtes dépassent le délais raisonnable du procès, par exemple).

L'Union Européenne devrait encore établir un programme d’assurance européen couvrant, sur le territoire européen, les frais d’avocats et dommages subis par les témoins et victimes de la criminalité grave et organisée.

Une protection organisée à l’échelle européenne des témoins et des victimes de la criminalité organisée, en particulier des agents des services publics témoins d’actes d’association de malfaiteurs en col blanc, est par ailleurs indispensable pour dévoiler des réseaux criminels de plus en plus habiles à agir masqués.

A l'époque de la globalisation, il va de soi qu'un code pénal fédéral européen est devenu nécessité. Loin de s'immiscer en toutes choses, il devrait cibler les crimes les plus graves. Ainsi, l'Union Européenne devrait définir les infractions et les peines minimum et maximum applicables, primant sur les codes pénaux nationaux. Un tel code européen serait alors constitué de « lois fédérales », directement applicables au fur et à mesure qu’elles seraient votées, dans les matières qui relèvent des droits fondamentaux des citoyens, de la protection de la planète et de la lutte contre la criminalité organisée, en ce compris la criminalité en col blanc et la corruption.

A terme, il devait s’agir là de critères obligatoires pour accéder à la Fédération Européenne à construire.

Un saut en avant ? Certes, mais indispensable pour sauver la construction européenne.

Car si la sécurité ne peut etre assurée pour ses citoyens, ces derniers n'auront pas tort de s'en prendre à l'Europe, comme ils le font dejà, avec leur mots, aujourd'hui ...

1 Meurtre de Joe Van Holsbeek, dans le but du vol d’un MP3, gare centrale à Bruxelles, le 12 avril 2006, dans le milieu de bandes criminelles organisées itinérantes venues d’Europe de l’Est (Pologne), dont les points d’appuis en Europe de l’Ouest ont été implantés par des bénéficiaires des trafics de documents dans les années quatre-vingt dix.
2 Voir notamment à ce sujet l’ouvrage de LOORE Frédéric et TISTAER Jean Luc, Belgique en sous sol, éd Racine, Bruxelles, 2007.
3 AITALA Rosario, Pristina, nuova capitale delle mafie, in Kosovo, lo Stato delle Mafie, Limes n°6, Rome, 2006, p. 63.
4 PROC. PEN. 748/99 R.G.N.R. D.D.A. PERUGIA en matière de Traite des êtres humains et trafics criminels divers dans le cadre d’une organisation criminelle (416bis c.p.) liant mafia italienne (n’drangheta) et mafia d’Europe de l’Est.