« On croit parfois se connaître dans le temps, alors qu’on ne connait qu’une suite de fixations dans des espaces de la stabilité de l’Etre, d’un être qui ne veut pas s’écouler, qui dans le passé même quand il s’en va à la recherche du temps perdu, veut suspendre le vol du temps. Dans ces milles alvéoles l’espace tient du temps comprimé. L’espace sert à ça. »

(Gaston Bachelard)

Située dans la Sarthe, l’Abbaye Royale de l’Epau, monastère cistercien fondé en 1229 par la Reine Bérangère de Navarre – alors veuve de Richard cœur de Lion, siège comme une sybille de pierres aux portes du Mans. Médium de l’Histoire de la région et du Temps, de sanctuaire royal sacré à hangar agricole, elle revêt aujourd’hui une fonction républicaine, à la fois lieu de culture et siège de l’assemblée départementale suite à son acquisition et restauration par le Département de la Sarthe en 1959.

Dans l’esprit d’une action culturelle locale d’ouverture sur différents champs artistiques et éducatifs pour satisfaire la curiosité et les intérêts variés des visiteurs locaux et internationaux, l’Abbaye Royale de l’Epau recouvre en son sein jusqu’à demain, le projet multimédia S.C.U.L.P.T. fbclid=IwAR1sfJm2LareNdLA0kfpoNYL5nLUtGHXHRL3mbZALy9byXuL_RhGUq7s-l0, œuvre numérique expérimentale au croisement du sonore et du visuel créée par Yann Nguema et le collectif Ez3kiel. Depuis ses débuts avec Ez3kiel, groupe musical apparu sur la scène dub il y a plus de 20 ans, Yann Nguema artiste aux multiples facettes, associe musique et images, pour une expérience sensorielle chaque fois inédite questionnant les limites du réel et de l’immatériel.

Au gré de tambours battants, de grondements crépusculaires, d’ondées épiques, et d’alizées sonores mystérieuses, le chevet de l’église abbatiale se rêve en lumières. L’immense fenêtre à huit lancettes et sa rosace à quatorze rayons reconstruite à la Renaissance se déploie dans une dimension parallèle où la rigidité se meut, les vitraux se constellent, se prennent au piège dans les toiles d’une araignée faisceau, où la structure se gonfle et se dégonfle, s’éparpille, oscille entre volupté et géométrie.

Cette variation musicalo-lumineuse, en échappant à la réalité, au rapport palpable du matériau, surprend néanmoins par la sophistication des armatures impossibles et fantasmagoriques qu’elle donne à voir. La technique employée est issue des arts numériques, elle est appelée mapping vidéo et permet de projeter de la lumière, de créer des vidéos ou des images sur des volumes comme les monuments du Patrimoine pour les transformer ou les sublimer. Ici elle est également une installation interactive car le spectateur peut interférer avec la projection en manœuvrant un faisceau laser en temps réel et s’approprier l’œuvre par le jeu.

Initié en 2016 à la Collégiale Saint Martin d’Angers, S.C.U.L.P.T. à été entièrement repensé et redessiné au centimètre près pour garantir l’osmose entre l’architecture cinétique du chevet de l’abbatiale et celles dynamiques de la projection lumineuse. Les artères bleu-glacier de l’ossature chimérique aérienne font résonner les détails sculpturaux réels du chevet donnant du coffre et du corps à une mémoire figurée et non plus figée. La construction fantastique se transforme en une transe-lucide évocatrice du souvenir de la reine Bérangère par une apparition futuriste. Le spectateur assiste ainsi à la cristallisation d’une uchronie architecturale : un espace-temps réinventé, réincarné et imaginaire.

Le projet S.C.U.L.P.T. rééchafaude un espace public où le visiteur se fait bâtisseur-enchanteur en laissant une empreinte éphémère sur le temps. Art à la fois technologique et populaire le projet se conclura en apothéose par un concert intitulé Zéro Gravity interprété par Johann Guillon membre du collectif Ez3kiel. Un palimpseste spectaculaire qui saura laisser une impression émotionnelle indélébile.