Richard Avedon est né en 1923 à New York, dans une famille juive plutôt aisée. Ses deux parents travaillent dans la mode. Tous deux encouragent son sens artistique et esthétique, et son père lui offre son premier appareil photo avant l’âge de dix ans. Sa voie paraît déjà toute tracée.

L’un des premiers modèles du jeune Avedon est sa sœur, victime d’une maladie mentale ; cette expérience lui apportera une sensibilité particulière à cette affliction, et il fera plus tard un reportage photographique sur les patients d’un asile psychiatrique, la frontière entre photographie de mode et reportages sociaux étant parfois facilement franchie par le regard du photographe.

Entré à l’université de Columbia, il quitte l’école un an plus tard à la suite de l’attaque de Pearl Harbor et l’entrée des États-Unis dans le conflit de la Seconde Guerre mondiale. Avedon s’engage dans la marine marchande en 1942 alors qu’il n’a pas même vingt ans. Il y prend des photos d’identité des marins, et c’est sûrement cette expérience qui lui donnera ce goût si particulier pour les portraits.

Après deux ans de service, Avedon quitte l’armée pour se consacrer entièrement à la photographie en tant que professionnel. Il rencontre Alexeï Brodovitch, enseignant à la New School For Social Research et directeur artistique chez Harper’s Bazaar, dont il suit les cours et qui deviendra son mentor. Sous sa tutelle, Avedon est d’abord engagé comme photographe freelance chez Harper’s Bazaar, puis est engagé pour de bon comme premier photographe. C’est en mission pour ce journal qu’il se rend à Paris pour la première fois afin de couvrir la Fashion Week.

Richard Avedon a partagé l’un de ses souvenirs d’enfance, de ceux qui l’ont mené à la photographie de mode : « Un soir où mon père et moi descendions la Cinquième Avenue tout en regardant les vitrines, en face de l’hôtel Plaza, je vis un homme chauve avec un appareil qui prenait en photo une femme très belle appuyée contre un arbre. Il a redressé sa tête, ajusté légèrement sa robe puis a pris plusieurs photographies. Plus tard, je vis la photo dans Harper’s Bazaar. Je ne comprenais pas pourquoi il l’avait prise en photo devant cet arbre, jusqu’à ce que j’aille à Paris quelques années plus tard : l’arbre en face du Plaza avait le même genre d’écorce pelée que celle que l’on voit partout sur les Champs-Élysées. »

De la Cinquième Avenue aux Champs-Élysées, Richard Avedon retrouve la fascination qu’il a connu enfant devant le glamour et la sophistication du Paris des années 40-50 ; et à la suite de sa première Fashion Week parisienne, le photographe continuera de se rendre dans la capitale française au cours des dix années à venir pour saisir des clichés de mannequins en terrasses de cafés, à bord de tramways ou sur les bords de Seine.

Avedon est connu pour avoir flouté la différence entre photographie de mode et art. L’artiste de génie a certes rejoint l’éblouissant univers auquel il semblait prédestiné, mais il y a apporté toutes ses contradictions, et la beauté superficielle va bientôt côtoyer à son contact la profondeur de l’imperfection mise sous les feux du projecteur. Avedon fait dans la simplicité : ses clichés sont faits presqu’exclusivement en studio, sur fond dépouillé, en noir et blanc. Il capture de la même façon tous ses sujets – mannequins, acteurs, politiciens, mineurs et paysans de sa collection controversée « In The American West » –, ils apparaissent tels qu’ils sont vraiment : isolé, sans arrière-plan ni quoi que ce soit pour détourner le regard du spectateur, le sujet se révèle, sans artifice. Les mannequins, hier de simples porte-manteaux, deviennent sous l’objectif d’Avedon vivants et souriants – humains. « Mes photographies ne vont pas sous la surface, prétend-t’il. Elles ne vont sous rien du tout. Elles lissent les surfaces. J’ai une grande foi dans les surfaces. Une bonne surface est pleine d’indices. »

Cela n’est pas sans rappeler le film musical de 1957, Drôle de frimousse (Funny Face), avec Audrey Hepburn et Fred Astaire, auquel Richard Avedon a participé comme photographe de plateau. Il a surtout inspiré le personnage d’Astaire, un talentueux photographe de mode tout d’abord rebuté par l’apparence austère et le sérieux de la jeune libraire incarnée par Hepburn, tout comme elle méprise le milieu superficiel et vain au sein duquel il évolue, avant que tous deux n’apprennent à dépasser les apparences et se prennent d’affection l’un pour l’autre. Si le film est largement inspiré de la vie d’Avedon et du mannequin Suzy Parker, on y retrouve aussi les thèmes chers au photographe : l’apparence et le jugement qui en résulte.

L’histoire de Drôle de frimousse se passe en grande partie à Paris. Est-ce un hasard que ce retour à la ville tant aimée d’Avedon ? Paris est à la mode en Amérique et dans le reste du monde à cette époque, mais ce n’est pas tout. La capitale ne présente-t-elle pas la même contradiction que notre photographe ? La Ville Lumière doit son surnom aussi bien à sa beauté qu’aux intellectuels qui l’habitent, et tout comme le personnage d’Audrey Hepburn, elle ne se résume pas que par de jolies façades.

Richard Avedon, mort en 2004 d’une hémorragie cérébrale, a travaillé jusqu’au bout, surtout à la fin de sa vie pour The New Yorker et le magazine français Égoïste. Pionnier de la photographie de mode en tant qu’art, il a entraîné un changement profond de la discipline, qui s’en est retrouvée grandie. Sa meilleure relève se trouve en la personne d’Annie Leibovitz, dont les excellents portraits de célébrités portent sans conteste l’empreinte d’Avedon.

Une exposition dédiée à l’artiste et son regard particulier de la France est actuellement en cours à la BnF depuis le 18 octobre jusqu’au 26 février 2017 : La France d’Avedon. Vieux Monde, New Look.

Texte par Capucine Panissal