[…] Du prisme toute la richesse,
Du soleil toute la splendeur,
Captives dans sa petitesse,
Y font éclater leur grandeur […]

(Henri-Frédéric Amiel)

Lorsque l’on pense au parfum, per fume, littéralement « par la fumée », on se remémore une fragrance définie, un nuage enveloppant qui annonce une présence – l’autre ou moi –, nous embrasse, nous étouffe, nous émeut, nous grise, nous idéalise, nous rend fou ou malade. Et puis on y associe le nom, le flacon, le geste, la manière ; en vaporisant ou en frottant quelques gouttes sur la peau, la tenue qu’il sublime…

Ainsi les images auxquelles les parfums nous renvoient portent rarement sur l’essence propre transparente ou ambrée. Le liquide enfermé qui ressemble à tant d’autres possède pourtant une composition particulière. Mais comment saisir le caractère d’un parfum, comment ancrer l’évanescence ?

C’est tout ce que représente la série intitulée Drops (« gouttes » en anglais) de l’artiste Christelle Boulé qui s’est attelée à la captation visuelle du parfum durant les trois dernières années. Photographe de formation et passionnée de parfum, l’artiste a réalisé des portraits visuels et olfactifs : fragments manifestes de 100 différentes fragrances sous la forme de photogrammes colorés.

L’idée était d’explorer la matière en soi en observant la réaction chimique du liquide au contact direct du papier argentique. Il lui a d’abord fallu faire cinq fois l’expérience avec chaque parfum pour voir si la réaction était bien la même et, arrivée à cette conclusion elle a constitué sa série sous les conseils avisés d’un chimiste parti travailler à Grasse comme parfumeur.

Interprète de ces trésors odorants, telle une magicienne-alchimiste, dans la noirceur totale, elle appliquait rituellement trois gouttes de parfum sur le papier photo qui, une fois sec, était exposé à la lumière. Là, comme sous le charme d’un élixir, les amours du parfum et du papier s’embrasent alors en une exquise osmose. Enfin, l’ultime étape de la cérémonie était la révélation colorée. Pour un rendu au plus près de la personnalité de la fragrance et pour une reconnaissance symbolique visuelle, elle choisissait ses couleurs en fonction de celles emblématiques des flacons respectifs – des tons ocres et bleus pour Shalimar, du rouge pour Habit rouge, des tons pourpres pour Alien, du vert pour Amazingreen, etc. – qu’elle ajoutait lors du développement, tâche la plus ardue. L’enivrant miracle fut ainsi conçu.

Véritable ballet où se mêlent durs à cuir, fougères robustes, fiévreux orientaux, zélés hespéridés, chics chyprés, folâtres floraux, langoureux boisés, la série Drops s’expose comme un laboratoire de merveilles.

Libres hybrides, les parfums se déclinent, au rythme des gouttes, en 100 miniatures tantôt cellulaires, tantôt galactiques, tantôt vaporeuses, qui charment les sens irrémédiablement.

Drops. Une exposition de Christelle Boulé au Grand Musée du Parfum.