Antoni Clavé (Barcelone 1913 – Saint Tropez 2005) est un artiste fascinant auquel la Galleria d’Arte Maggiore de Bologne consacrera une exposition monographique à l’occasion de la 56e Biennale de Venise, à la Scoletta dei Battiore. L’exposition veut souligner sa personnalité unique, ses détournements inattendus, souvent d’une complexité profonde et subtile, son désir d’expérimentation sans cesse renouvelé. Artiste reconnu et célébré de son vivant, Antoni Clavé mérite le coup de projecteur de la biennale 2015.

Seuls quelques artistes du XX siècle sont parvenus à mener de front recherche intellectuelle et expérimentation de nouveaux champs plastiques: Antoni Clavé est l'un de ceux-là. La cohérence de sa production et sa complexité, sont au cœur de l'exposition organisée pour la 56e Biennale de Venise. Sur le parvis de la scholetta, la sculpture en bronze, "Guerrier et bouclier" ouvre l’exposition. A l'intérieur, les visiteurs pourront découvrir les expérimentations sur aluminium, gaufrages et collages des années 70, les peintures à l'huile en hommage au Greco qui ont marqué la production de l’artiste au milieu des années 60, ainsi que les œuvres peintes des années 90 et 2000. Figuration et abstraction se jouent de la matière : guerriers en bronze, personnages fantomatiques descendants des gentilshommes espagnols du XVIIe siècle ou expérimentations plastiques des feuilles d'aluminium, Clavé s’amuse à transformer l'absence en présence.

Lorsqu’il lui rend hommage, l’œuvre du Greco fait partie intégrante du patrimoine culturel de Clavé. Ces tableaux frappent par les contrastes d’ombre et de lumière mais aussi par le classicisme architectural de leur composition, leur caractère solennel. Tous cependant ont retenu l’ironique anonymat du commanditaire du portrait : les visages peints par Clavé échappent au spectateur, prolongeant le mystère et renvoyant le regard sur cette main. La main peinte par le Greco est une merveille de carnation. Elle annonce Goya, Manet, obsède par sa perfection colorée, son audace. Clavé l’interprète, la transforme en trace, parfois ajoute l’autre main dont l’empreinte se retrouvera sur plusieurs œuvres postérieures. Et si la fraise demeure le centre de la composition, Clavé s’autorise des clins d’œil humoristiques aux codes de représentations sociales du XVIIe siècle lorsqu’elle devient démesurément grande ou démultipliée en une sorte de mise en abime du cadre encadré.

Dans les œuvres plus récentes, la figuration n’est pas totalement oubliée : les collages sont intégrés et interagissent avec diverses techniques picturales. Chaque décennie ouvre sur de nouvelles expériences au travers desquelles l’artiste transmet le monde. Vu à Vicky Street, illumine le rez-de-chaussée avec son rouge unique - une couleur chère à Clavé – et invite le visiteur à suivre l’inspiration de l’artiste : dans le New York des années 70 et 80 Clavé a découvert les grafittis qu’il a intégré à son œuvre avec son talent rare de combiner la matière et l’esprit, le monde lui-même et sa sublimation plastique.

Henry Focillon a écrit sur la «poésie d'action», nous voyons l'application ultime de ce concept chez Clavé: le geste est une poursuite de l'esprit, une façon d'organiser le chaos, une vocation dont il ne démissionne jamais. Il étudie la profondeur du monde via les objets, les outils et les idées pour déterrer la grâce intérieure dans la tourmente. Les taches de lumière éclairent les tons de terre avec des lueurs inattendues, le noir, le gris et le bleu de Prusse sont constellés d’étoiles. Cette exposition monographique propose une sélection ponctuée de rebondissements et d'expérimentations, envolées vers le nouveau et l'inhabituel, sans jamais oublier les tons chauds de sa mère patrie.