Andréhn-Schiptjenko a le plaisir d’annoncer The sun stumbles in, la première exposition personnelle à Paris de la peintre allemande Cornelia Baltes. Le vernissage aura lieu le samedi 18 octobre 2025 de 16h à 20h en présence de l’artiste, et l’exposition se poursuivra jusqu’au samedi 22 novembre 2025.

Le travail de Cornelia Baltes se situe à l’intersection de la mémoire, de l’observation et de l’abstraction — une zone d’ambiguïté féconde où le langage visuel de la peinture devient à la fois ludique et profond. Dans The sun stumbles in, Baltes transforme la galerie en un paysage chromatique immersif. Ses compositions — construites à partir de dégradés réalisés à l’aérographe, de gestes audacieux et de minutieuses interventions au pinceau — habitent le seuil délicat entre contrôle et spontanéité, figuration et abstraction, intime et universel.

Les peintures de Baltes ne se fondent pas sur l’observation directe, mais sur le filtre de la mémoire. Elle commence souvent par des esquisses issues d’expériences remémorées plutôt que de la vue immédiate, permettant à l’image d’absorber des détails accidentels de son environnement. Ce procédé confère à ses œuvres une certaine porosité — ses tableaux agissent, selon ses mots, comme des éponges, absorbant des traces du quotidien et les distillant en formes vibrantes et ambiguës. Dans de nombreux travaux, les détails sont amplifiés et examinés comme à travers une loupe forensique : ce qui paraît d’abord fluide et spontané révèle, à l’examen attentif, un long processus de retouches et de raffinements. Sous leurs surfaces lisses et presque industrielles se cache une histoire invisible de travail et de révision.

Techniquement, l’usage de l’aérographe confère à ses toiles une finition veloutée, presque textile, une douceur riche qui brouille la frontière entre peinture et objet. L’effet évoque l’abstraction d’après-guerre — notamment les étendues chromatiques de la Colour Field Painting et le lyrisme gestuel de l’Expressionnisme abstrait — mais Baltes détourne ces traditions grâce à une infusion d’humour et d’humanité. Ses surfaces peuvent sembler parfaites, presque mécaniques, mais les « imperfections » judicieusement placées, les détails minimes ou les faux glissements apparents, constituent autant de clins d’œil au spectateur — un rappel subtil que ces images ne sont pas des artefacts industriels, mais des traces de geste et d’intention.

Ce dialogue entre maîtrise des surfaces et spontanéité gestuelle inscrit Baltes dans une lignée plus large d’artistes contemporains revisitants l’héritage de l’abstraction tout en réaffirmant le rôle de la figuration. Ses formes flirtent avec la reconnaissance : une courbe peut suggérer un palmier ou un oiseau, une forme peut évoquer un membre, un sourire, ou un fragment anatomique, sans jamais s’ancrer dans une représentation précise. L’esprit du spectateur oscille entre le familier et l’incertain, complétant l’image par ses propres associations. Cette ouverture interprétative, et la reconnaissance du rôle actif du spectateur, place la pratique de Baltes dans un échange dynamique entre artiste, œuvre et public.

Dans The sun stumbles in, Baltes élargit encore sa pratique en travaillant à partir d’un ensemble de petits formats développés simultanément. Ce processus sériel, proche d’un carnet de croquis déployé sur un mur, transforme son atelier en laboratoire de jeu visuel. Chaque peinture, bien que autonome, interagit avec les autres comme partie d’un organisme plus vaste — un réseau de gestes et de rythmes qui dépasse les limites de la toile. L’installation elle-même devient une chorégraphie : les toiles sont disposées en grappes et en intervalles, les grands formats ponctuent l’espace comme des pauses mélodiques, tandis que les peintures murales dissolvent la frontière entre œuvre et environnement. Le résultat est une expérience spatiale enveloppante, évoquant la mise en scène performative d’une pièce où chaque œuvre devient un « personnage » doté de sa propre présence.

La tension entre simplicité et profondeur, entre exubérance ludique et précision picturale, anime l’ensemble de l’œuvre de Baltes. Son langage visuel, fait de pigments éclatants, de formes aplaties et de rythmes compositionnels joueurs, dégage une immédiateté joyeuse. Sous cette légèreté affleure pourtant une structure complexe d’oppositions : contrôle versus accident, figuration versus abstraction, surface versus profondeur. En employant l’humour comme stratégie artistique sérieuse, Baltes interroge le poids de l’histoire de la peinture moderniste, retravaillant ses codes visuels avec esprit et irrévérence.

Dans ses peintures, l’acte de voir devient à la fois sujet et méthode. La reconnaissance du spectateur demeure toujours partielle, sa mémoire constamment mobilisée. Baltes nous demande : comment voyons-nous, et que retenons-nous ? En ce sens, son art s’adresse autant à l’histoire de la peinture qu’à la psychologie de la perception.The sun stumbles in n’est donc pas seulement une exposition visuelle — c’est une enquête sur la manière dont couleur, forme et mémoire s’entrelacent pour produire du sens. À travers une danse de gestes et de surfaces, Cornelia Baltes continue d’élargir le langage de la peinture, montrant que sous son apparente simplicité se cache une complexité inépuisable — rayonnante, espiègle et profondément humaine.