L’invité.e surprise est la première exposition personnelle en Belgique de Solène Rigou (°1996, Paris). Déployés dans les deux premières salles de la galerie, ses dessins sur bois aux dimensions d’icônes nécessitent une attention particulière pour prendre la mesure du travail. Le dispositif dans la salle arrière joue davantage sur les échelles des oeuvres et dévoile également trois vestes conçues par l’artiste, contrepoints surprises et pleins d’humour à ses oeuvres sur bois.
Au rez-de-chaussée, l’impression d’être face à des photographies ne s’estompe qu’en s’approchant et en regardant le détail des scènes. Techniquement -parce qu’il convient de parler technique à un moment- le travail est remarquable. Celui d’une virtuose. Mais l’intérêt ne réside pas que dans le savoir-faire. De nombreux artistes, à l’heure actuelle, ont repris la direction de l’hyperréalisme ou du trompe l’oeil mais ne réussissent pas pour autant à animer leurs oeuvres d’un souffle comme le fait Solène Rigou. Son unicité tient dans deux observations. Technique tout de même (le savoir-faire est vraiment exceptionnel) et iconographique (le choix des sujets est singulier et répétitif). Savoir-faire et savoir-juger pour paraphraser l’historien de l’art Daniel Arasse.
Attirée par la lumière, le soleil et les ombres, Solène Rigou a trouvé dans le bois de peuplier -un bois clair- le support idéal pour conférer à son ouvrage une luminosité que le papier ou la toile ne peuvent offrir. Le bois -avec son grain, sa fibre, ses écueils- provoque la main rêveuse. Alors que l’artiste n’utilise que du crayon de couleur, elle opère comme les peintres flamands du XVe siècle en appliquant le pigment de ses crayons couche après couche, comme des glacis, pour arriver à la saturation de la couleur. D’où cet éclat et cette profondeur dans les matières dessinées. Comme ses illustres prédécesseurs, elle prend plaisir à la représentation des matières (cuir, soie, mohair, or, argent, pierres), des effets (transparence, ombres, plis), des fleurs et des plantes, des motifs (lignés, à carreaux), des détails anatomiques (carnation, poils, ongles, veines, lignes de la main),... Par ce processus de couches successives, elle s’éloigne d’un résultat rapide, d’une production tapageuse et de la recherche de l’effet qui s’insinuent de façon durable dans les pratiques contemporaines. On sent la travailleuse proche de l’artisanat, du geste répétitif, l’artiste qui porte en elle « toute la gloire de l’ouvrier » comme disait Bachelard. Solène Rigou dessine des mains à la main. Certes, il y a effet (la ressemblance mimétique est un effet) mais élaboré dans la lenteur, méticuleusement, de façon opiniâtre.
Le savoir-juger se comprend dans le choix de ses sujets qui éclaire d’ailleurs la compréhension de la pratique. Solène Rigou ne dessine que des mains. Aussi importantes que la figure du sujet, elles sont ce qui est le plus difficile à dessiner, elles sont ce qui racontent la personne. Les mains sont des portraits. D’ailleurs le titre de chaque dessin est le prénom de l’ami.e dont la main est représentée. Dessiner des mains, c’est parler de vérité.
La main résume l’homme psychique, peut-être plus encore que le visage qui s’éduque, se masque et se ment. La main ne ment pas.
(Pierre Reverdy)
Chez Solène Rigou, les mains sont généralement à échelle 1/1 et se basent sur des photos prises par l’artiste. Souvent à la sauvette, jamais en pose, parfois en cachette. Ce sont des instants de vie, des moments d’intimité partagés, porteurs de souvenirs pour l’artiste et vecteurs d’histoires imaginaires pour le regardeur. Avec le détail, elle ouvre un monde. Tout en perpétuant la tradition de la mimésis en peinture -la vérité du détail- elle insuffle dans son travail une dose d’étrangeté nourrie par le potentiel narratif. Le détail grandit les choses et ouvre la pensée vagabonde. Fixer l’instant pour Solène Rigou permet de capter un moment vécu, de le revivre en le dessinant, dans une temporalité qu’elle maîtrise avant de l’offrir à l’imagination d’un regardeur futur. C’est du banal rendu universel. C’est redonner de l’importance à la tendresse de moments vécus par tous, des moments éphémères qui passent souvent inaperçus.
Proche des Primitifs flamands dans la miniaturisation du monde, Solène Rigou est sans doute aussi liée aux Primitifs italiens dans son attirance pour le langage des gestes. Il suffit de regarder les anges ou saints chez Giotto : mains ouvertes, fermées, effrayées, au repos, mains priant, montrant, offrant, bénissant, soignant, tranchant, recevant les stigmates... Rigou donne la conscience de la main au travail ou au repos. La main agit, porte en elle une action en devenir.
Face à la pertinence du savoir-faire manuel, d’aucuns objecteront que la machine a pris une place prépondérante dans nos sociétés mais en obser- vant le travail de Solène Rigou, on saluera que le geste antique n’est pas pour autant effacé de la mémoire des artistes. Et il est joyeux de voir que la chorégraphie de la main est ici célébrée, dans son acte et dans sa transmission.














