Jean Cousin est une figure centrale de l’art français de la Renaissance, ayant œuvré à Sens, ma ville d’adoption, puis à Paris. Peintre, sculpteur, graveur, maître verrier et théoricien de la perspective, il est surtout connu pour deux chefs-d’œuvre exposés au Louvre : Le Jugement Dernier et Eva Prima Pandora. Il est également célèbre pour ses croquis aux significations obscures, ses gravures symboliques et ses écrits mêlant géométrie, alchimie et art sacré.

Alors que d’autres de ses contemporains sont bien documentés, Jean Cousin reste entouré de mystères. Ses origines, ses influences exactes et, surtout, le sens profond de certaines de ses œuvres font encore l’objet de spéculations. Entre symbolisme religieux et secret de maître, il demeure un artiste dont les œuvres sont à la fois intrigantes et énigmatiques.

Au-delà de sa virtuosité technique, ses compositions semblent receler un langage symbolique complexe mêlant christianisme, mythologie, science et références topographiques. Certains indices visuels pourraient même constituer une cartographie secrète reliant lieux réels, paysages antiques et visions surnaturelles.

Né vers 1500 à Sens, Jean Cousin débute comme maître verrier avant de s’illustrer en tant que peintre, graveur, mathématicien et théoricien. Il publie notamment un traité fondamental, Livre de Perspective (1560), où l’art du dessin devient une clef d’accès au divin et à la connaissance cachée. Cette approche pluridisciplinaire rappelle celle de Léonard de Vinci, avec qui Cousin partage un goût pour le secret, les constructions géométriques et la spiritualité dissimulée dans l’art.

Son œuvre majeure, Le Jugement Dernier, semble représenter un théâtre de ruines et une topographie de l’au-delà. Le Christ, auréolé, siège au centre d’une mandorle, séparant les élus des damnés. Les anges pèsent les âmes, les trompettes résonnent, les maudits tombent dans des gouffres embrasés, tandis que les justes s’élèvent vers la lumière. Si le message eschatologique souligne l’inévitable séparation entre bien et mal et la supériorité du jugement divin sur toute puissance humaine, les ruines en arrière-plan évoquent à la fois la Rome antique, avec ses thermes et temples effondrés, et peut-être des édifices réels observés par l’artiste à Sens.

L’inspiration de l’œuvre reste incertaine : s’agissait-il des visions de saint Jean ou d’un premier volet d’un triptyque dont les autres panneaux ont disparu ou n’ont jamais été achevés ? Quoi qu’il en soit, le ciel vide, la tension du Christ et l’expression presque humaine des damnés contribuent à un rendu particulièrement troublant.

La seconde œuvre majeure, Eva Prima Pandora, représente une femme nue allongée, tenant un crâne, avec un serpent et une pomme à ses côtés, devant un paysage en ruine. La nudité, le serpent et la pomme évoquent le jardin d’Éden et le péché originel. Certains pensent que l’artiste a voulu représenter Sainte Marie-Madeleine. Cette dernière est souvent figurée dans des postures de repos ou de méditation, parfois semi-nue, dans la grotte de la Sainte-Baume, dans le sud de la France. Le crâne est son attribut majeur, rappelant la vanité des biens du monde memento mori et soulignant la conversion de la sainte : après avoir été disciple de Jésus, elle aurait passé la fin de sa vie en pénitence, dans la prière et la contemplation.

Certains auteurs établissent un lien direct entre Madeleine et Jésus crucifié : le crâne évoquerait le Golgotha, lieu du sacrifice du Christ, au pied duquel Marie-Madeleine se tient. Enfin, la grotte, la montagne et la côte provençale, particulièrement le site de la Sainte-Baume, pourraient avoir inspiré le décor de cette œuvre intrigante.

La Sainte-Baume, montagne située en Provence, est célèbre pour sa grotte où Marie-Madeleine se serait retirée pour prier et méditer. Selon la tradition, après la mort du Christ, elle aurait voyagé jusqu’en Provence pour annoncer l’Évangile. La légende raconte qu’elle aurait débarqué à Saintes-Maries-de-la-Mer avant de se retirer dans cette montagne. La grotte est ainsi devenue un lieu de pèlerinage dès le XIIIᵉ siècle, fréquenté par Saint Louis et de nombreux fidèles au fil des siècles. Il s’agit donc d’un lieu central pour la tradition chrétienne ; en effet, l’apôtre des apôtres, sauvée et choisie par Jésus, aurait bel et bien fini sa vie en France.

À l’instar de Léonard de Vinci, Jean Cousin combine rigueur théologique et maîtrise artistique, explorant dans ses œuvres la tension entre l’humain et le divin, tout en offrant au spectateur une méditation visuelle sur la foi et la rédemption. Ainsi, dans Le Jugement Dernier, Jean Cousin déploie un univers théologique et symbolique complexe, illustrant le salut, la damnation et la rédemption avec une précision minutieuse, tout en mettant en relief la moralité chrétienne. Aussi, la représentation de Marie-Madeleine accompagnée du crâne illustre à la fois la mortalité et le repentir. Le crâne, en tant que memento mori, rappelle la nécessité de se tourner vers Dieu. Tandis que la sainte incarne la conversion, la fidélité et la vie mystique, l’artiste semble indiquer avec une insistance délayée par une mise en scène savamment organisée, la lutte du bien et du mal et la nécessité de se convertir.

À travers ses œuvres, Jean Cousin manifeste son attachement profond au christianisme, traduisant en images la doctrine, la méditation et la contemplation religieuse, et offrant au spectateur une expérience spirituelle et émotive fidèle à l’idéal moral et mystique de la fin du XVIᵉ siècle.